La rédaction de Gameblog a contacté quelques développeurs, qui reviennent sur l'année écoulée pour partager leurs meilleurs moments de jeu vidéo. David Cage est le fondateur et PDG du Studio Quantic Dream, auquel on doit Nomad Soul, Fahrenheit et récemment Heavy Rain.
Sélec de Dev' : David Cage (Heavy Rain)
2010 aura été une année bizarre à bien des égards. Tout d'abord, c'est certainement l'année qui a vu le plus de jeux avec un niveau technique aussi élevé. Il y a une vraie homogénéité qui se dégage et on sent que de plus en plus d'équipes maîtrisent le développement des consoles de nouvelle génération. Paradoxalement, c'est aussi l'année où je me suis personnellement le plus ennuyé. L'excellence technique et graphique masque très souvent le vide intersidéral du contenu. Encore des jeux où on tire, on saute, on s'accroche à des plateformes, et on ne sait toujours pas pourquoi on fait tout ça. De l'action physique, des explosions, de l'adrénaline, et toujours pas de sens. Après une heure de galipettes et après avoir dézingué plusieurs centaines de gusses tous pareils qui ne nous avaient finalement rien fait, on est envahi d'une grande lassitude et on se demande si tout ça est vraiment amusant.
Souvent aussi, dans la première heure de jeu, il y a un début d'histoire, des enjeux, on a quasiment le sentiment de presque comprendre de quoi ça parle... avant que finalement on sente que le scénariste a été viré de la pièce et qu'on n'a plus en face de soi qu'un déferlement d'action de plus en plus absurdes et répétitives, ce qui fait perdre pied aux joueurs exigeant vaguement plus qu'une resucée interactive d'un direct-to-DVD de Jean-Claude VanDamme.
Pour jouer les Cassandre, je dirais que cette année 2010 pourrait bien être la fin d'un cycle. Le jeu vidéo est arrivé au bout des règles qu'il a inventées il y a vingt ans. Il les a usées jusqu'à la corde, exploitées ad nauseam, et il faudra désormais inventer quelque chose pour convaincre les gens de dépenser 60€. Quelque part, c'est peut-être une bonne nouvelle. Quand on regarde les jeux qui se sont bien vendus cette année, on retrouve les licences établies (Call of Duty, FIFA, Gran Turismo, God of War et quelques autres), alors que le reste de l'industrie a été de déception en déception, avec des chiffres de ventes parfois déconcertants tant ils sont insignifiants (voir Tony Hawk Shred, par exemple). Seuls quelques titres auront tiré leur épingle du jeu cette année, une grande partie n'ayant pas réussi à trouver son public le plus souvent par manque d'audace et d'originalité.
Les conséquences sont dramatiques pour l'industrie, et on n'avait pas vu autant de studios fermer leurs portes en Angleterre et aux Etats-Unis depuis bien longtemps (la France n'ayant de toutes manières plus qu'une poignée de studios current gen, l'impact a été somme toute limité...). Si l'industrie continue de faire les mêmes jeux de la même manière, il y a fort à parier que les ventes continueront de s'effondrer, entraînant avec elles plus de développeurs et d'éditeurs. Le temps de loisirs des gens n'a pas augmenté, et ils doivent aujourd'hui le partager entre de plus en plus de sollicitations (télévision, DVD, Internet, Mobile). Ils sont donc de plus en plus exigeants dans leurs choix, et chaque contenu doit montrer tout son intérêt pour justifier son achat. Une étude récente TNS-SOFRES sur les occupations des 12-17 ans montrait que le jeu vidéo n'arrivait qu'en 9ème position des activités favorites des adolescents en France, loin derrière les amis, la famille, internet ou les réseaux sociaux. Cette situation est évidemment particulièrement inquiétante pour l'industrie du jeu qui est en train de perdre de son importance sur son public historique.
L'autre évènement majeur cette année aura été pour moi la confirmation de la révolution Apple. Les jeux sur iPhone, iPod et iPad, efficacement soutenu par iTunes, sa communauté de développeurs talentueux et son business model original, auront démontré que d'autres voies étaient possibles, tant sur le hardware que sur les business models. On pourra argumenter avec mépris qu'il ne s'agit que de « jeux casual », mais ce serait ignorer l'arrivée de middlewares comme Unreal Engine, de titres comme GTA Chinatown Wars, The Settlers, et d'éditeurs comme Take2, Electronic Arts ou Ubisoft. Ces plates-formes ont un potentiel extraordinaire parce qu'elles sont simples d'accès, plaisantes, originales, créatives, parce qu'elles ont enfin su se doter d'un système de distribution électronique simple et accessible à tous. Il y a énormément de leçons à tirer de ce qui se passe côté Apple, et tous ceux qui souhaitent réussir dans les années à venir feraient bien de regarder leur exemple de près.
Un mot sur le social gaming qui a su recréer une bulle spéculative cette année comme on n'en avait pas vu depuis l'avènement d'internet puis des MMO... Je ne me prononcerais pas sur l'intérêt créatif de ces jeux, ce n'est pas là leur propos. Par contre, je crois que certains acteurs du marché commencent à se demander comment ils vont rentabiliser les sommes délirantes qu'ils ont investies dans des jeux en Flash. Avoir une communauté de millions d'utilisateurs gratuits est une chose, arriver à gagner de l'argent avec en est une autre. Je crois que les mois à venir vont aider tous ceux qui ont investi des centaines de millions dans ce business à bien saisir la différence...
En conclusion, 2010 restera globalement une année médiocre pour l'industrie (sauf pour Activision et quelques autres). J'espère pour ma part que la baisse des ventes va provoquer une réaction, et que plutôt que d'essayer de dupliquer le succès du family entertainement de la Wii, les éditeurs s'orienteront vers des pistes plus intéressantes à long terme, moins opportunistes, qui passent nécessairement à mon sens par le soutien de la création, de l'originalité, de l'innovation, à destination d'un public plus large. Ce n'est pas en abaissant le média qu'on le rendra plus populaire et plus accessible, c'est au contraire en le rendant plus innovant et plus intéressant qu'on attirera le plus grand nombre.
Les jeux qui ont marqué mon année
Mon jeu préféré de l'année est FIFA 11. C'est sans conteste la meilleure itération du jeu, et les features online commencent à devenir vraiment intéressantes. C'est dire le niveau de créativité des jeux vidéo cette année...
Comment ne pas être admiratif devant l'immense succès commercial de la franchise Call of Duty ? Activision a fantastiquement bien joué en faisant alterner deux équipes de développement et en livrant à chaque Noël un jeu qui ravit les fans. Le FPS n'est clairement pas ma tasse de thé, mais je suis impressionné par le challenge technique et de production, la qualité du produit et l'effort de création dans un genre qui s'y prête généralement peu.
Limbo a été une des bonnes surprises, avec une direction artistique surprenante, des principes de jeux simples mais plaisants, pour une expérience assez inhabituelle.
Dans un genre plus classique, j'ai apprécié Darksiders. Rien de vraiment nouveau dans ce jeu, mais des influences plutôt bien digérées, après une première heure un peu bourrine, le jeu prend vraiment toute son ampleur. Comme quoi, il est encore possible de faire du presque neuf avec du très vieux.
Ma déception
La critique est aisée, mais l'art est difficile, comme dit le proverbe. Je connais trop la difficulté de créer un jeu pour me permettre de critiquer les uns ou les autres. Je sais aussi que lorsque le résultat n'est pas convaincant, il faut souvent faire la distinction entre les responsabilités du développeur, de l'éditeur et du marketing. Nombreux sont les jeux qui ont été portés par une équipe ayant une véritable vision qui ont été massacrés à l'arrivée par l'intervention inopinée de l'éditeur ou les « bonnes idées » du marketing... Pas de liste de flops en ce qui me concerne, donc. Juste un mot quand même sur les nouveaux devices qui sont apparus sur le marché cette année. Kinect n'est pas pour moi une déception. Le device de Microsoft fait ce que je m'attendais qu'il fasse (j'avais exprimé mon scepticisme dans différentes interviews depuis la présentation un peu trop flamboyante d'il y a deux ans). Par contre, la direction initiée par Microsoft est innovante. Elle n'est pas mature aujourd'hui, mais elle porte certaines promesses intéressantes pour l'avenir. À noter que pour Kinect comme pour le Move, j'ai eu un peu de mal à m'exciter pour les jeux proposés : casual gaming, family entertainment, mini-jeux, il n'y avait finalement pas besoin d'un nouveau device pour refaire ce que la Wii fait très bien depuis plusieurs années. Il reste à espérer que le contenu véritablement innovant est encore à venir, sinon ces devices sont mort-nés.
Mon plus attendu 2011
Côté jeux, l'année a donc été plutôt passable dans l'ensemble, entre suites sans intérêt, fausses bonnes idées, quelques IP incontournables et nouveaux devices. On ne devrait pas avoir de mal à faire mieux l'année prochaine, et il faudra pour cela que des produits innovants changent la tendance, globalement dans une tendance à la baisse inquiétante cette année. J'attends avec impatience le Last Guardian de Ueda-san (que j'ai eu l'immense plaisir de rencontrer cette année), qui devrait apporter un peu d'air frais dans un marché un peu sclérosé...