CHRONIQUE. On ne va pas se le cacher : ici comme ailleurs, le dernier projet du studio Playdead a fait sensation. Il aura même remporté le Gameblog Awards du Meilleur Jeu Indépendant de 2016. Un authentique chef d'oeuvre.
Profitant du succès critique de son aîné spirituel Limbo, l'introspectif Inside en reprend bon nombre de codes, non sans en repousser les limites. Aussi bavarde que limpide, cette incessante fuite en avant laisse notre sens de l'observation et notre imaginaire plaquer une lecture plus ou moins personnelle de ce que cherchent à raconter les chaleureux Danois.
Décryptage...
INSIDE, un accouchement dans la douleur
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Another prick in the wall
A première vue, le sujet semble pourtant assez évident : pour on ne sait quelle raison, un jeune garçon (une fois encore) se retrouve à courir au milieu d'une forêt quelconque. Tombant rapidement nez-à-nez avec des hommes en noir affairés à un trafic plus que suspect, notre simple avatar grille bien vite sa couverture et devient alors pour ses prédateurs bi et quadrupèdes un témoin bien gênant.
Annihilation de l'individu, contrôle des foules, négation de la personnalité : tout le monde s'accordera bien rapidement pour convenir qu'Inside dépeint avec brio une dystopie Orwellienne efficace et au final rocambolesque. Mais ce final, justement, a contribué à me faire repenser complètement différemment l'aventure que je venais de vivre... Inside ne pourrait-il pas être compris comme une complexe métaphore de la naissance d'une vie, de sa conception in utero, à son accouchement ?
Si vous avez tenu jusqu'ici, je vais supposer que vous avez vous aussi bouclé l'aventure, et que je peux ainsi sans vergogne vous spoiler comme un malpropre (ou alors vous vous en tapez complètement car vous ne comptez pas jouer à Inside, mais portez néanmoins un certain intérêt pour son message, ce qui fait sans doute de vous un être plus qu'étrange).
Commençons donc par la fin, si vous le voulez bien : nu comme un ver, notre jeune protagoniste (appelons-le Jimmy, pour la forme) finit par se mêler à un amas de chair humaine en suspension dans un aquarium qui semble attirer tous les badauds du coin. De là à y voir un spermatozoïde victorieux qui termine victorieusement la course la plus importante de sa vie, il n'y a qu'un pas !
Observons alors la suite des événements : une fois fécondé, cet amas de chair informe laissant apparaître des membres en tous genres (peut-être comme un symbole de l'instinct viscéral qui nous pousse à perpétuer l'espère sous quelque forme que ce soit) s'active enfin, devant les yeux ébahis d'une assemblée avide de découvrir le visage du nouveau-né. Malheureusement pour eux, la perte des eaux va se révéler assez violente, et ce n'est pas un hasard si cette libération du foetus ouvre la voie au dernier segment d'Inside...
En effet, les dernières minutes de jeu - qui correspondraient selon notre grille de lecture à l'accouchement à proprement parler, font voler en éclat la relative tranquillité qui accompagnait le joueur depuis le début de l'aventure. Bien sûr, arriver jusqu'à ce point de rupture ne fut pas de tout repos, mais les environnements préalablement traversés jouissaient tous d'une certaine quiétude sonore malgré leur apparente noirceur. Que ce soit en traversant la forêt inaugurale, les champs de maïs ou le complexe inondé, l'absence quasi-totale de thème musical apaise, malgré le danger omniprésent. C'est dire si la rupture est brutale dès lors que le "foetus" pulvérise son écrin au milieu des cris d'effroi et du verre brisé : à la limité de l'incontrôlable, il ouvre la voie à un chaos assourdissant en détruisant absolument tout ce qui aura le malheur de croiser sa course folle. Qu'il est difficile de quitter contre son gré le chaleureux confort d'un bain prolongé dans le liquide amniotique...
Partant de ce constant, on pourrait même envoyer valser mémé dans les orties et extrapoler sans vergogne en voyant dans l'unique "meurtre" imposé une préfiguration de l'OEdipe à venir : se tenant fermement face à celui que tout désigne comme le patron (ou au minimum l'une des têtes pensantes) de cette usine nauséabonde, Jimmy avance, pas à pas, avant de se défenestrer et de réduire à l'état de porridge ensanglanté la seule figure d'autorité clairement identifiable. Ou comment tuer le père en règle.
Foetal Bazooka
Mais toute cette violence sortie de nulle part prend rapidement fin avec le dernier tableau d'Inside. Notre cher amas de chair pulvérise une ultime barrière, avant de dévaler une pente ornée de conifères, pour finalement s'échouer dans un silence de mort sur ce qui ressemble fort à un petit banc de sable dont la quiétude n'a d'égal que la saleté. La lumière artificielle qui se focalise de manière bien pratique sur cette intrigante scène conclusive ne serait-elle justement pas un peu trop opportune pour ne pas représenter le pâle éclairage d'une maternité quelconque ? A plus forte raison que ledit tableau est annoncé à peine cinq minutes plus tôt, dans la mesure où l'heureux événement est attendu par tous à l'extérieur...
Si vous commencez à émettre quelque doute à ce stade de ma lecture capilo-tractée, ce qu'elle n'est peut-être pas si tordue que ça ! Profitons-en pour remonter complètement le cours d'Inside et tenter d'y voir plus clair, je vous prie. Déboulant d'on-ne-sait-où, notre petit d'homme en devenir se retrouve d'emblée confronté à une ribambelle d'hommes en noir qui semblent visiblement vouloir lui faire la peau sans ménagement. Au vu du flou artistique volontairement entretenu dès le début de son intrigue par Inside, il ne tient qu'à notre fertile imagination de combler les vides.
Qui donc pourrait bien faire sauvagement la peau à notre jeune spermatozoïde tout juste propulsé à la vitesse folle de 50 km/h (ce qui, en pratique, fait démarrer notre aventure au moment précis de l'éjaculation de monsieur, CQFD) ? Eh bien... tout ! Oui, tout ! Comme dans un vieux jeu NES opportuniste et donc codé avec les orteils, l'IA est carrément craquée et ne laissera aucun répit à notre pauvre petite tête de flagelle : acidité vaginale, contraction de l'utérus, glaires et fermeture du col, tout nous amène à comparer ce parcours du combattant au replay d'un niveau du chapitre 6 de Super Meat Boy...
Ainsi, après avoir vaillamment résisté aux attaques visant à l'annihiler sans ménagement, notre joyeux gamète peut profiter d'un (trop bref) moment de répit en la présence d'un paisible champ de maïs. Saviez-vous que le maïs représente dans la culture maya la semence originelle, source de toute vie sur Terre ? Maintenant, vous savez. Mais à peine a-t-il le temps d'extirper sa petite tête de cette forêt vierge de verges qu'il atterrit non sans surprise dans une opportune brouette de... cochons morts. Coincés dans cet état transitoire entre la mangeoire et le jambon fumé, on peut légitimement s'interroger sur la présence de cet amas macabre ! Mettant de côté les blagues zoophiles de rigueur, je retiens surtout leur état : décédés. Que peut-on bien trouver d'aussi inanimé alors que la course à l'ovule bat son plein ?
The umbilical brother
C'est là que ça devient intéressant (non pas que je vous balade depuis le début de votre lecture pour des prunes) : au même titre que les corps humains en stagnation qui parsèment allègrement la seconde moitié d'Inside, je vois dans ces pauvres porcins les tentatives couronnées d'insuccès d'inséminations artificielles passées.
Oui, vous avez bien lu et oui, vous êtes toujours bel et bien sur Gameblog en pleine lecture de votre tribune du lundi, dont c'est d'ailleurs aujourd'hui la "renaissance". Passons, je vous prie. Inséminations artificielles disais-je, qui nous en apprennent d'un coup plus sur ce couple désireux de faire un enfant à tout prix, sans y parvenir. Le nombre élevé de corps infantiles en flottaison nous laisse d'ailleurs imaginer le désespoir qui doit habiter le couple en question, las de voir les injections échouer les unes après les autres.
C'est dire qu'il est attendu, le rejeton ! Alors pas étonnant que la populace se bouscule au portillon pour admirer la bave aux lèvres ce que l'on qualifie souvent bien vite de "miracle de la vie". Je vous épargne du coup le laïus sur cette poignante scène où "l'autre" vole nage au secours de notre être en devenir pour lui permettre de respirer sous l'eau grâce à un habile câble qui semble être le seul élément lui permettant de rester en vie : difficile d'y voir autre chose qu'un cordon ombilical...
Mais alors que je vous entends racler votre gorge et me prépare donc à valser entre crachats et insultes fleuries, je vous dois bien quelques explications pour épargner votre précieuse salive. Non, je ne suis pas en train de marteler haut et fort que le propos d'Inside s'inscrirait uniquement dans la métaphore natale et ses conséquences : j'y ai joué avec attention, et je ne pourrai évidemment pas nier l'habile critique d'une société atrophiée où l'esprit (critique) est contrôlé et les idées soumises à l'approbation préalable des dépositaires de l'autorité.
Ce que je cherche à démontrer, c'est que la subtile narration dépourvue de parole et de texte du dernier né du Studio Playdead permet grâce à une mise en scène qui frôle le génie d'y plaquer plusieurs interprétations cohérentes dépassant l'immédiateté de ce que l'on peut y comprendre. Cette force fait bien entendu d'Inside une oeuvre singulière et remarquable, qui risque de faire date dans la manière de raconter une histoire simplement, avec maestria, mais qui risque également de marquer l'histoire du jeu vidéo. N'est-ce pas là la marque des chefs d'oeuvre ? A bon entendeur...
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