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♪ I've waited for this moment all my life ♪

C'est un peu le problème avec les arlésiennes finalement : si leur sortie effective met en émoi les fans et les forums du monde entier - heureux comme jamais d'achever leur traversée du désert, elles ne tardent jamais à décevoir les attentes de ceux qui faisaient le pied de grue depuis si longtemps. Comme dans un certain film de Louis Lumière, voilà que soufflent des vents contraires, et les partisans d'hier deviennent les bourreaux sadiques de leurs idoles. Ou comment l'adoration sans borne vous transforme en un claquement de doigt en shérif de Nottingham...

Examinons d'abord les cas de ceux qui débarqueront chez vous d'ici une poignée de jours. Car à bien y regarder, Final Fantasy XV et The Last Guardian partagent de nombreux points communs (et vous verrez dans la suite de cette chronique, ils ne sont pas les seuls).

Tous deux s'articulent comme des "suites" de succès passés (à différents niveaux, certes, puisque aucun Final Fantasy canonique ne se situe dans la continuité d'un autre), tous deux ont été annoncés alors que vous déambuliez encore à quatre pattes en couche-culotte, sur des machines d'une génération aujourd'hui doucement éteinte, et (surtout), tous deux ont connu un développement aussi chaotique que médiatisé. Car si vous nous êtes d'une fidélité sans égale, vous savez, très chers lecteurs, que ces deux énergumènes squattent depuis bien trop longtemps les podcasts de la rédaction (époque table à repasser™) sous les sobriquets de Final Fantasy Versus XIII et Trico. Il y a eu tant de débats, tant d'attentes, tant de retournement de situations, tant d'espoirs... trop ?

Voilà, vous avez pris un méchant coup de vieux, et je m'en excuse, mais il était nécessaire. Pourquoi ? Par simple plaisir sadique, premièrement, puis par le besoin de temporalité nécessaire à la réflexion qui va suivre. Car si vous suivez bien ces arlésiennes depuis leurs premières annonces, vous en avez vu des vertes et des pas mûres ! C'est pourquoi je vous invite à vous resituer dix ans en arrière, car c'est bien à cette époque que vous avez pu commencer à attendre patiemment les sorties de nos deux mauvais élèves qui ont intérêt à aller chercher un billet de retard au bureau du CPE...

Votre point de vue n'aurait-il pas changé, durant cette décennie d'attente ? Et vos goûts, sont-ils toujours les mêmes ? Êtes-vous sûr d'être tout à fait le même homme/femme, même joueur/joueuse ? Le jeu vidéo n'a-t-il pas lui non plus beaucoup changé ? Intégrerez-vous ces réflexions au moment de découvrir les titres évoqués ? Alors, qu'attendez-vous de la nouvelle Fantaisie Finale et du dernier Fumito Ueda aujourd'hui ? Parce qu'en dix ans, on a le temps de projeter une palanquée hallucinante de fantasmes sur ce que l'on désire ardemment !

"E3, what are you doing ?!"

Vous trouvez que j'exagère ? Regardez la vidéo ci-dessous, je vous prie. Bon, soustrayions les "Oh my God" et autres bullshit superflus des shows à l'américaine : il en reste néanmoins quelque chose. Kyle Bosman en renverse sa chaise. Nous avons sans doute été nombreux à réagir avec passion et émotion à l'annonce du remake de Final Fantasy VII ou de Shenmue III (coucou Julo et Romain), et c'est évidemment une très belle chose : notre passion débordante pour ce médium est intacte.

Néanmoins, à peine avais-je eu le temps de digérer ces deux coups de génie en termes de communication que le doute s'installait en moi...

Final Fantasy VII Remake d'abord : quid du tour-à-tour ? Et comment retrouver la légèreté du style super deformed de l'original ? Le scénario s'en trouvera forcément bouleversé, tant le design des personnages nuançait la noirceur du propos...

Shenmue III ensuite : le gameplay va-t-il rester le même ? Comment une vision révolutionnaire du jeu vidéo entamée en 1995 peut-elle surprendre qui que ce soit vingt ans plus tard ? Et comment conquérir ceux qui n'auraient jamais touché aux deux premiers opus ?

Autant de questions qui m'amenaient rapidement à un triste constat : Final Fantasy VII Remake et Shenmue III pourraient bien ne satisfaire personne. Ou presque. Revenons aux réactions de l'équipe de feu-GameTrailers (RIP dudes), en particulier celle de Michael Huber, qui a sans doute rendu sourd l'ingé-son en oubliant qu'un micro sature bien vite... Si elle démontre évidemment à quel point ces annonces sont à ses yeux un soulagement passionnel intense, qu'y voit-il, en réalité ? Pour moi, il est très clair qu'il projette dans les deux cas SON fantasme de joueur. A cet instant précis, il interprète ces trailers comme le signe que sortiront son Final Fantasy VII Remake et son Shenmue III, ceux qu'il a tant désiré depuis des années, voire des décennies.

Le problème, c'est que si tout le monde s'est réjoui de la même manière, c'est sans doute que chacun d'entre nous a eu la même réaction que ce journaliste bien enjoué. Ce qui veut dire que nous avons TOUS pensé voir débouler ce que l'on projetait de ces jeux inespérés. Autant de fantasmes de jeu que de joueurs ? Impossible dans ce cas pour les développeurs de satisfaire tout le monde... Le retour de bâton et les déceptions à la pelle risquent donc d'être légions.

Ça va trancher, chérie !

Mais revenons à nos moutons : si leur arrivée tonitruante dans nos salons sonnera forcément comme l'aboutissement d'une attente infinie, la longueur de leurs développement est en elle-même un facteur qui expliquera certaines frustrations. Car si nos arlésiennes - 2016 oblige - se mettent à la page en sortant sur nos consoles de huitième génération, c'est pourtant sur PS3 et Xbox 360 que leur gestation a commencé. Ce que ça change ? Beaucoup de choses ! Car la plate-forme sur laquelle on envisage un projet conditionne dès le départ le champ des possibles : il y a donc fort à parier que si ces jeux avaient été à l'origine pensés pour de plus puissantes bécanes, ils se présenteraient bien différemment à nous aujourd'hui.

Que restera-t-il de Final Fantasy Versus XIII dans le road trip emo de Noctis et ses potes de Shibuya ? Issu de la nébuleuse Fabula Nova Crystallis (du temps où l'on attendait encore Final Fantasy XIII avec impatience), il s'est émancipé pour devenir lui-même le centre d'un agrégat de contenus, en témoignent Brotherhood et autres Kingsglaive. C'est dire si la routourne a tourné pour celui qui porte désormais la lourde charge de donner une suite canonique à une des plus grandes séries du jeu vidéo.

Mais passer d'une génération de consoles à une autre ne se fait pas en un claquement de doigt : sans rentrer dans les détails techniques et l'apprivoisement de nouveaux outils, tout le monde comprendra bien qu'il est très compliqué de remettre à plat tout ce qui a déjà été pensé. Difficile - donc, d'oublier que la créativité des équipes de Square-Enix ou SCE Japan Studio a pu être bridée par la puissance de calcul d'il y a dix ans.

Sans parler des changements de directeurs de ces deux projets : entre le départ de Fumito Ueda en 2011 ou le passage de témoin interminable entre Tetsuya Nomura et Hajime "Tabi" Tabata, difficile d'imaginer une parfaite continuité sur la décennie de développement. C'est comme en politique, finalement : même fraîchement élu, vous êtes tenu par le budget et les mesures votées précédemment par l'ancienne majorité...

The future is now

Il est encore un peu tôt pour projeter sur les futurs Shenmue III et Final Fantasy VII Remake ce genre de considérations, mais en attendant, il me paraît nécessaire de conclure sur une note plus positive. Car si nos deux marathoniens (et ceux qui suivront) n'ont guère de chance de parvenir à combler totalement celles qui les attendent avec ardeur au bord du quai, mouchoir blanc en main, on peut se demander s'ils ne risqueraient pas, à l'inverse, de conquérir le coeur de ceux qui se tamponnent rondement le coquillard de leur ubuesques pérégrinations ?

N'ayant que moi sous la main, je me permets de prendre mon cas : au risque de me faire vilipender, je dois confesser un désintérêt total pour l'oeuvre de Fumito Ueda... Comme le veut l'expression consacrée, ICO m'est "tombé des mains" en l'espace de deux heures, et Shadow of the Colossus ne m'a par la suite jamais fait envie plus que ça. Alors que tous les mecs bavaient dessus, je ne me retrouvais pas dans cette femme qui semblait faire tourner bon nombre de têtes. Soit. Ainsi, si j'attends le quinzième épisode de Final Fantasy avec la même impatience que tous les précédents, la sortie imminente de The Last Guardian ne me fait clairement ni chaud ni froid. Du coup, n'ayant pas attendu dix longues années pour qu'il voie le jour, ne risque-je donc pas d'être largement moins déçu par le résultat final ? C'est peut-être le paradoxe de ces arlésiennes qui nous sont chères : si elles briseront sans ménagement les ferveurs fanatiques de longue date, elles risquent bien de séduire un public inattendu... Et à l'inverse, je ne serai pas étonné qu'un joueur pas forcément transcendé par la mutation du J-RPG trouve finalement son compte dans ce que nous offrira finalement Square-Enix le 29 novembre prochain.

Mais l'étalement d'un développement n'est pas non plus synonyme de difficultés et de réécritures complètes, et cette année nous aura offert un sublime, un magnifique contre-exemple en la présence de The Witness. Après sept ans de gestation, l'oeuvre sans précédent de Jonathan Blow aura permis de mesurer l'incroyable force d'un projet hors du commun porté de A à Z par son visionnaire créateur. La différence ? Si vous avez comme moi suivi le développement via le blog dudit créateur, vous aurez pu constater que le projet n'a fait que s'amplifier depuis le début de gestation : droit dans ses bottes, le géniteur de Braid s'est donné du temps pour creuser sans discontinuer un concept diaboliquement génial (ou génialement diabolique, les deux fonctionnent), sans changer dans son approche initiale. Le résultat ? Un projet de longue haleine (sept ans, donc) qui donna naissance à l'une des expériences les plus intenses qu'il m'ait été donnée de vivre dans mon canapé. Rien que ça. (Note à moi-même : ne pas parler de cet article à ma douce moitié)

Finalement, ce n'est sans doute pas le temps qu'il faut blâmer. Le temps n'est pas (toujours) responsable des ruptures dans la direction artistique et des débarquements à l'emporte-pièce. Actons que les enjeux commerciaux colossaux de ces jeux qui accélèrent notre palpitant à leur simple évocation auront malheureusement parfois eu raison de la vision initiale qu'ils portaient. En attendant, l'espoir est là. La hype n'attend-elle point le nombre des années ? Réponse dans une poignée de jours les amis...


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