EDITO. La phrase peut sonner comme une gifle, mais elle sort de la bouche d'un développeur vivant au Japon depuis plusieurs années. "Akihabara est mort". Jadis temple du jeu vidéo, l'Electric Town de Tokyo n'est désormais plus que l'ombre d'elle-même en matière ludique. Si le lieu engendre encore une certaine fascination et concentre toujours une forte activité high-tech, via des chaînes comme le mythique Yodobashi-Akiba, tout doucement le jeu vidéo s'estompe, remplacé par d'autres activités des plus colorées. Constatations et explications.
Le jeu vidéo traditionnel fait ses valises
Cette année, il m'aura fallu moins de deux heures pour faire le tour "ludique" d'Akihabara. Le constat est évident. Le jeu vidéo japonais a drastiquement changé en quelques décennies. Après vous en avoir parlé hier lors d'un premier LIVE en direct de Tokyo, j'ai pu continuer à rencontrer des développeurs et joueurs habitants à Tokyo. L'occasion de préciser les choses.
A Akihabara plus qu'ailleurs, l'âge d'or des consoles de salon est depuis plusieurs années révolu, au détriment du jeu mobile... désormais essentiellement consommé sur smartphones et tablettes. Les joueurs japonais snobent littéralement leur salon pour mieux vivre de manière ultra connectée, comme greffés à leur smartphone. Dans une écrasante majorité, un iPhone.
Le résultat se fait sentir dans les ruelles mêmes d'Akihabara. S'il reste évidemment encore de nombreuses boutiques de jeu vidéo, les linéaires se révèlent plus clairsemés que jamais et l'engouement des joueurs nettement moins marqué. Bien sûr, cela n'empêche pas quelques beaux cartons comme l'actuel raz-de-marée de Super Smash Bros. 3DS, mais il ne s'agit plus que de cas isolés. Certes puissants, mais de plus en rares.
Rien ne se perd, tout se transforme
Mais Akihabara n'a pas fait ses adieux au monde. Loin de là, il a juste opéré une mue. Toujours aussi calé dès lors qu'il s'agit de trouver des produits high-tech au sens large (ordinateurs, câbles, smartphones, tablettes, appareils photos, etc), il est plus que jamais devenu le quartier des maids cafés, des idols (AKB48 et Momokuro en tête), des goodies hétéroclites, ainsi que le haut lieu du porno numérique (DVD, jeux).
Pour les autochtones rencontrés lors de notre reportage, la transformation s'est récemment accélérée. Les maids sont partout. Certaines façades n'hésitant plus à s'ouvrir directement sur les rues à mesure que les mètres carrés dédiés au jeu vidéo pur tendent à diminuer.
En marge de l'avenue principale, des boutiques dédiées comme le (trop) célèbre Super Potato s'impose comme un symbole de cette mutation plus ou moins subie. En quelques années, les rayonnages jadis garnis ont été tout simplement siphonnés... au point de repenser l'organisation même des fameux 3 étages. Evidemment il reste encore de nombreux titres (de quoi faire briller de nombreux yeux, avouons-le), mais les pièces les plus rares sont définitivement absentes, tandis que la plupart des jeux ne sont plus proposés avec boîtes et notices. La pénurie.
Supa Potato #TGSGameblog https://t.co/Hht39rVPOi
- Julien Chièze (@JulienChieze) 15 Septembre 2014
De la passion à la spéculation
Sur le flanc des consoles rétro (Super Nintendo, Dreamcast & co), les stocks ont aussi été asséchés. Les machines restantes sont désormais souvent jaunies, preuve tangible que l'on arrive clairement en bout de course.
Des développeurs vivant à Tokyo depuis plusieurs années m'ont d'ailleurs confié que ce pillage avait été principalement orchestré par des occidentaux qui, loin de venir prendre quelques titres pour leurs collections personnelles, ont littéralement dévalisé les lieux... avant de placer le tout sur eBay. Moyennant une forte hausse des prix. Plus que jamais le rétro est devenu un business potentiellement juteux, et certains sont venus tarir la source. Passion ou simple spéculation ? A chacun de se forger son opinion...
Super Potato, temple du rétro-gaming, a été pillé année après année. Triste. #TGSGameblog pic.twitter.com/U7yYAMhZy6
- Julien Chièze (@JulienChieze) 15 Septembre 2014
Pour s'adapter, des enseignes comme Super Potato laissent ainsi une place de plus en plus importante aux goodies en tous genres. Déjà présents depuis quelques années, portes-clefs Mario, peluches Pikmin, ou pins Sonic occupent désormais une place de plus en plus prépondérantes obligeant des remaniements dans les 3 étages que comportent la boutique d'Akiba. Nouvelle donne, nouvelle époque.
Après, sachez qu'il existe encore quelques boutiques, en périphérie, conservant quelques joyaux. Mais cette fois-ci, il vous faudra les trouver. Les adresses se refilant avec moult précautions. Les rétro-gamers auraient-ils été échaudés par certaines pratiques ? Peut-être.
D'après les échos récoltés par nos soins auprès de développeurs et joueurs nippons, Akihabara est donc bel et bien qualifié de "mort pour le jeu vidéo". Pour ces observateurs, il ne s'agit d'ailleurs pas d'une passade. Les japonais ayant changé leur mode de consommation sur le jeu vidéo, il faut tout réinventer. Je vous en parlerai d'ailleurs prochainement quand il s'agira d'évoquer l'impasse dans laquelle se trouvent actuellement les PS4, Xbox One et Wii U sur le territoire nippon. Attention, soyons clairs : il n'y a, paradoxalement, jamais eu autant de japonais adeptes des jeux vidéo. Paradoxal ? Pas vraiment, et je vous expliquerai bientôt pourquoi...
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Bon salon à tous ! Le jeu vidéo japonais est loin d'être mort, il a juste changé de visage...