Il y a ces titres drapés dans un maelstrom médiatique. Ces jeux que l'on croit déjà connaître, tant nous avons été abreuvé de trailers, d'images, d'infos. Et puis il y a d'étonnantes fulgurances. Celles que l'on découvre au détour d'une discussion, d'un bouche à oreille vertueux. Presque un peu par hasard. Oui, Sword & Sworcery EP fait incontestablement partie de ces belles découvertes. Un jeu indépendant qui laissera une trace indélébile dans une mémoire de tout joueur un tantinet curieux. Rencontre avec le premier chef-d'oeuvre artistico-ludique de l'iPad...
Les références sont si évidentes qu'elles finissent par en devenir d'inévitables hommages. La Triforce de Zelda, les Sylvains de Princesse Mononoke, les ombres d'ICO, l'ambiance générale de Shadow of the Colossus, les clins d'oeil à Another World... Sans le savoir, Shigeru Miyamoto, Jordan Mechner, Eric Chahi et Fumito Ueda ont forgé la magie de Sword & Sworcery. Développé par les petites équipes de Superbrothers et Capybara, et mis en musique par les (prodigieuses) mélodies de Jim Guthrie, ce jeu d'aventure au style point & click ne pourra laisser indifférent. Actuellement exclusivement disponible sur iPad (et bientôt sur iPhone et iPod Touch), cette quête vendue à petit prix (3,99€) vous entraîne dans un conte où l'imaginaire joue à plein. Véritable pépite sensible et immersive, elle dote l'iPad d'un titre profond, prouvant qu'il n'y a pas que le snack-gaming dans l'iVIE.
Perdu entre rêve et réalité
Dans un monde fait de forêts denses et de falaises escarpées, perdu entre ICO et Mononoke, la progression s'effectue en résolvant des énigmes visuelles ou sonores. Le plaisir tactile est alors total et sera utilisé de diverses manières. Une double pression sur l'écran et l'héroïne se déplace d'un point à l'autre. Il est possible de zoomer/dézoomer pour découvrir les décors dans leur ensemble, tandis que d'une pression maintenue, vous vous mettrez à prier. Des moments pendant lesquels les interactions se multiplient... encore faut-il se situer au bon endroit, au bon moment. En effet, il existe deux univers. Un monde bien réel, et un autre perdu dans vos rêves. Pour y accéder, vous allez devoir vous assoupir et découvrir alors un territoire partageant certaines similitudes... et de réelles différences. La course de la Lune aura aussi son importance. En terme de gameplay, les rares combats (maximum une petite dizaine dans l'ensemble du jeu) s'effectuent en basculant son écran verticalement. A ce moment, une épée et un bouclier apparaissent. Plus que de l'agilité, c'est bien du rythme et du timing qui seront ici requis. Simple mais efficace. Pour apprécier Sword & Sworcery, il faut aimer rêver. Si vous laissez voguer votre imaginaire derrière les montagnes, tripez en déplaçant des falaises ou en jouant de la musique avec des branches d'arbre du bout du doigt, si vous parvenez à vous imaginer dans ce monde hostile et pourtant si envoûtant grâce à des magistrales visites de tombeaux antiques, de caverne irréelle... vous rentrerez réellement en communion avec l'aventure.
Océan mélodique
Et puis il y a la bande-son signée Jim Guthrie. Si puissante et inspirée, que dès la fin de ma première session de jeu (le tout est découpé en chapitres), je me ruais sur iTunes pour l'acheter. Cela faisait bien longtemps. Il y a du mystère dans son instrumentation, beaucoup de nostalgie dans certaines mélodies, de la légèreté dans d'autres, mais avant tout une force inouïe. Des synthés profonds, des rythmes chaloupés. Il faut voir comment les créateurs ont réussi à utiliser les musiques en osmose totale avec le visuel déjà très inspiré de Sword & Sworcery pour comprendre combien l'expérience se révèle viscérale. Et puis il y a cette nature diaboliquement vivante. Ces lapins, ces biches, ces oiseaux qui s'enfuient à votre arrivée. Ce monde existe. Vous en faites partie.
Diamant ludique ?
Dans mon coeur, Sword & Sworcery a tout du petit chef-d'oeuvre. Sa fragilité, son ambiance, son visuel simpliste mais si évocateur laissant tant de place à votre imaginaire, son histoire narrée par touches légères, sa progression lente mais riche en moments mémorables... Tant d'éléments contribuent à le rendre unique. Cela ne peut faire malheureusement oublier un gameplay sans trouvaille majeure (du click & play avec rotation de l'iPad pour les rares combats) et surtout quelques aller-retours un peu pénibles sur la fin (à moins que vous ne trouviez une manière Kojimesque de procéder... sanctionnée par un 99% de complétion, au lieu des 100%). Mieux vaut aussi maîtriser la langue de Shakespeare tant l'ensemble est exclusivement présenté dans un anglais fort policé. Ambiance expressions chevaleresques... le tout mâtiné d'humour. De beaucoup d'humour même. C'est d'ailleurs aussi la force de ce titre oscillant entre le sérieux, voire le dramatique, et de sporadiques moments de légèretés. Une aventure arty, émouvante, exaltante... unique.
Avec une durée de vie située entre 3 et 5 heures en fonction de votre surpuissance à braver les énigmes, Superbrothers Sword & Sworcery EP est une aventure qui s'achève relativement vite certes, mais en apothéose. Son finish laisse un goût étonnant. De ceux qui alimente les titres de Fumito Ueda. Si on m'avait dit que mon prochain coup de coeur vidéoludique allait être sur iPad, je le confesse, je ne l'aurai pas forcément cru. Et pourtant. Par la simplicité de son gameplay, la richesse évocatrice de son monde et son talent narratif, Sword & Sworcery s'impose comme la plus belle surprise de ce début 2011. Un petit-grand chef d'oeuvre... à tout petit prix !