Quelques mois et un curieux changement de nom plus tard, l'aventure s'appelle désormais Immortals Fenyx Rising, et profite de ce délai offert par les dieux pour sortir simultanément sur deux générations de consoles. Fallait-il voir dans ce report un cadeau venu du ciel, ou une malédiction propre aux panthéons antiques ? A l'instar des deux séries dont il s'inspire plus que largement, la réponse se situe à la croisée des chemins...
Après nous avoir offert une aventure ô combien dantesque et conséquente en 2018, le studio Ubisoft Québec, vraisemblablement insensible à l'overdose de divinités polythéistes, nous plonge donc une nouvelle fois au coeur de la Grèce Antique et de ses mythes connus des spécialistes comme des lecteurs d'Astérix, en livrant une version colorée et un rien désinvolte des classiques d'antan.
Sans se prendre la tête, Immortals Fenyx Rising pioche et mélange sans vergogne dans un large panthéon aux figures bien connues, et l'on retrouve ainsi l'héroïne (modifiable à souhait dans l'éditeur de personnage) éponyme seule en scène, après que son équipage eût été pétrifié par le terrible titan Typhon, et qui va rapidement se laisser guider par ce filou d'Hermès à la rescousse de quatre divinités pour corriger le vil gredin, réfugié dans son volcan. Fenyx ira donc à la rencontre d'Aphrodite, Athéna, Arès, Héphaïstos et leur enchevêtrement de quêtes aux thématiques littéralement mythiques, dans un joyeux melting pot concentré.
Qu'est-ce qu'on a fait aux bons dieux ?
Ces péripéties seront systématiquement commentées par le très enchaîné Prométhée, et ce râleur de Zeus. Respectivement, incarnés par le prolifique Loïc Houdré et l'adoré Lionnel Astier, les voix-off d'Immortals Fenyx Rising tentent de jeter leurs éclairs de comédie sur cette aventure gentiment naïve, pour un résultat... relativement inégal. Laissant volontairement de côté les accents surjoués de la version originale, difficile à supporter sur la durée, la version française voit vite ses intentions fondre comme la cire d'Icare, la faute à une écriture pas toujours pertinente, et qui évite soigneusement de tomber dans le caustique rentre-dedans, trop soucieuse de la philosophie propre au géant français de l'industrie. Certaines blagues font heureusement mouche, mais le personnage assez peu travaillé du père Astier (avec l'immense respect que nous lui devons) ne brille pas particulièrement au-delà de sa gouaille habituelle.
Si le père Léodagan nous gratifie de temps à autre de ses formulations bien à lui, l'enregistrement séparé des principaux personnages s'entend trop souvent pour offrir un commentaire crédible, et la redondance de certaines blagues finira par lasser, même si les nombreuses affaires de moeurs du classieux barbu offrent quelques sourires francs. Plus étonnant, des écarts de niveaux sonores d'une réplique à l'autre viennent parfois fâcher l'oreille, et l'on ne peut que se demander pourquoi seule la version française souffre de ce bien curieux défaut. Tout au mieux sympathique, même en étant bien plus appréciable que l'originale, elle rappelle une fois encore à quel point la direction d'acteurs lui fait trop souvent défaut. Quel dommage de devoir une fois encore le constater avec ce casting, qui aurait mérité une meilleure prise en main, et une écriture plus au niveau.
Copy Comics
Depuis sa première apparition, il n'aura échappé à personne que les aventures de Fenyx la mortelle ont bien plus que lorgné sur le renversant Breath of the Wild, et ce malgré sa parenté tout aussi évidente avec Assassin's Creed, Odyssey en tête. Mais comme un étudiant en dilettante qui aurait rapidement manqué d'inspiration en cours de dissertation et jeté un oeil de plus en plus insistant sur la copie du voisin aux oreilles pointues, l'influence des récentes aventures de Link semble avoir pris le dessus, comme Ulysse sur les Troyens. Alors oui : autant crever l'abcès de suite pour ne plus avoir à constamment y revenir : à moins de nier la réalité comme un Ministre en difficulté, impossible de ne pas voir à chaque coin de colonnade l'influence proéminente du jeu de l'année 2017.
Attachez vos ceintures : la liste est longue, et non-exhaustive. Après son réveil, notre héroïne/héros récupère son épée pour se voir confier une mission : celle de retrouver les quatre divinités/Prodiges de ce monde et triompher de leurs épreuves pour pouvoir se lancer à l'assaut d'un volcan/château situé en plein milieu de ce dernier, menaçant et rougeoyant. Pour ce faire, elle/il devra ainsi explorer librement un monde ouvert et organique, en s'aidant de son nouveau pouvoir : des ailes/Paravoile qui permettent de le surplomber, et de repérer à distance les Cryptes de Tartare/sanctuaires Sheikah pour les marquer, et y triompher de courtes énigmes basées sur la physique et la dextérité afin de récupérer un éclair/emblème et ainsi augmenter progressivement sa barre de stamina, indispensable à la course, mais surtout à l'escalade de toutes les parois de cet univers, qui se découvre donc également à travers sa verticalité. En chemin, Fenyx/Link affrontera de nombreux ennemis en exploitant les éléments du décor environnant : roches, torches, et autres troncs, en alternant ces affrontements avec la résolution de puzzles environnementaux présents un peu partout, et que l'on découvre aléatoirement au gré de son exploration.
Dans un cas comme dans l'autre, notre héroïne/héros pourra compter sur les bracelets d'Hercules/les modules de la tablette Sheikah pour saisir et faire se léviter tous les objets à sa disposition, ou s'aider d'un arc pour compléter sa panoplie. L'univers coloré et un brin cartoonesque se veut organique, riche, et l'on y loote des ingrédients en coupant des arbres, en brisant des cristaux, le tout en avalant les distances sur le dos de sa monture, une fois cette dernière domptée. Nous pourrions développer et multiplier les exemples durant des paragraphes entiers, mais vous l'aurez compris : Immortals Fenyx Rising est sans doute le premier véritable Breath of the Wild-like, et tant pis pour Genshin Impact.
Des dieux et des monstres
Heureusement, quelques éléments viennent également rappeler la parenté de feu-Gods and Monsters, et du CV d'Ubisoft Montréal, qui livrait en 2018 l'un des volets les plus denses de la série Assassin's Creed en piochant dans la mythologie grecque de bien nombreuses influences. Entre la grimpette destinée à surplomber les environs, révéler un bout de carte et déclencher un point de téléportation, sans parler de l'attaque discrète qui ne one-shote par forcément les ennemis, mais offre de bonnes raisons de tenter dès que possible l'approche furtive, par-derrière si possible, histoire de ne pas se faire repérer. La carte du monde porte elle aussi le sceau du géant français, puisqu'avec un peu d'observation à la première personne, les marquages se multiplient, et l'on se retrouve ainsi bien vite face à un déluge d'icônes mélangeant loot, défis divers et variés, missions optionnelles et autres mystères à percer qu'aucun Assassin digne de ce nom n'ignore.
Mais au-delà de ce constat, force est de constater que ce mariage de raison fonctionne plutôt bien : sans prétendre atteindre l'envergure de l'une ou l'autre de ses inspirations, Immortals Fenyx Rising trouve rapidement son point d'équilibre en proposant une aventure colorée (parfois à la limite de la saturation), relativement variée, et suffisamment accessible pour que bon nombre d'aventuriers y trouvent leur compte. Il faut dire que la difficulté relativement modérée le prédestine sans doute à un public assez jeune, mais les cinq zones principales de cet univers mythico-cartoonesque se parcourent avec plaisir, ne serait-ce que pour profiter de ces teintes flamboyantes qui rappellent par moment les délires colorimétriques les plus jusqu'au-boutistes de CSI Miami en profitant des mélodies évidemment splendides de Gareth Coker, qui signe décidément une belle année musicale après son travail sur Ori and the Will of the Wisps, en déclinant un thème principal très sympathique, et en usant avec justesse de choeurs divins, bien dans le ton. Sans se prendre la tête, Immortals Fenyx Rising offre une vision bon enfant de la mythologie grecque, ou les monstres ne font jamais très peur, et où les dieux semblent bien loin de leurs portraits antiques, ô combien plus susceptibles.
La Guerre des consoles aura bien lieu
Peut-être est-ce là que se situe d'ailleurs ce fameux point d'équilibre : à défaut d'être novatrice ou de véritablement tenter quelque chose, l'aventure propose une formule qui fonctionne, entre exploration, narration, combats de-ci de-là, et énigmes plus ou moins réussies, le tout dans un écrin fort sympathique, qui profite d'une direction artistique singulière, souvent basée sur des textures 2D pour mieux donner l'impression d'évoluer dans un film d'animation pour enfants qui n'oublie pas d'en placer une de temps en temps pour les adultes de passage, à l'image des nombreuses évocations des pratiques résolument zoophiliques des deux grecs, selon ce vieux bourru de Zeus qui semble aussi porté sur la bouteille que les terrestres humains. Mais pour profiter de cet aspect visuel relativement chatoyant, encore faut-il être bien équipé : parfaitement calibré sur PS5 et Xbox Series X, grâce à des temps de chargement quasi-inexistants ou une profondeur de champ véritablement appréciable et (surtout) un frame-rate à 60 FPS intestable, la soupe vire progressivement à la grimace alors que l'on tombe à 30 FPS sur PS4/Pro ou Xbox One/X, avant de se ramasser comme Icare après un bain de soleil sur Switch, qui peine à tenir la cadence, et laisse de côté bon nombre d'effets visuels, sans parler des textures méchamment aliasées. Difficile de recommander cette dernière après avoir profité dans les meilleures conditions de l'espace et du "souffle de la nature" expérimenté sur les récentes machines hors de prix.
Version PS5 : La DualSense semi-divine ? | ||||
Si Assassin's Creed Valhalla se moquait éperdument des nouvelles fonctionnalités haptiques de la DualSense, Ubisoft Québec a pris le soin d'expérimenter, et propose donc sur PS5 quelques sensations supplémentaires. Ainsi, la recherche de points d'intérêt s'accompagne d'une très subtile vibration et de gâchettes à retour de force pour compléter les indications visuelles, et le maniement de l'arc profite lui aussi de cette nouvelle technologie pour apporter un petit supplément d'âme. Si l'on saluera évidemment cet effort, Immortals Fenyx Rising atteste une nouvelle fois de la relative frilosité qui semble pour le moment caractériser la plupart des sorties tiers. Allez messieurs les développeurs, encore un petit effort ! |
Le fil d'Ariane Carletti
En revanche, certains couacs bien présents sur toutes les versions ne sauraient se prémunir de l'excuse générationnelle pour plaider leur bonne foi : tous les joueurs savent à quel point Aonuma et ses équipes en ont bavé pour accoucher du monde organique et cohérent de Breath of the Wild, et il n'est finalement pas si étonnant que cela de constater qu'en la matière, Ubisoft Québec a encore quelques progrès à faire. En effet, l'aspect volontairement grossier de bon nombre de polygones qui constituent les éléments de cet univers ne permet pas toujours une gestion fine des collisions, et si l'on reste heureusement loin de la foire généralement constatée à la sortie de n'importe quel Assassin's Creed qui se respecte, force est de constater qu'Immortals Fenyx Rising reste très, trop permissif sur certains aspects pour ne pas lui reprocher.
L'histoire ne dit pas si la jeunesse relative d'un public plus crédule aura pesé dans la balance, toujours est-il que le joueur un rien chevronné ou au moins curieux de l'outil pourra rapidement se permettre quelques fantaisies, surtout à l'intérieur des cryptes et de leurs énigmes où les éléments lévitent, et offrent bien trop de liberté pour ne pas casser le game avec quelques doubles sauts et déploiements d'ailes bien sentis, qui permettent de passer à travers bon nombre de textures. Il en va d'ailleurs de même pour trouver certaines de ces cryptes, normalement inaccessibles sans certaines capacités particulières, mais un monde ouvert où les éléments s'empilent, se combinent et s'agencent avec beaucoup de liberté en laisse justement beaucoup, et l'on peut ainsi rapidement accéder à quelques épreuves sans pour autant parvenir à leur terme. Dommage, et parfois frustrant, surtout lorsqu'Immortals Fenyx Rising patauge dans sa gestion de l'escalade, et décide parfois sans prévenir que la surface sur laquelle vous vous trouvez ne tolère plus l'escalade, et que c'est comme ça.
Thésée-vous !
Il en va parfois de même pour les combats, sans doute un peu trop nombreux pour leur propre bien, tant les patterns se comptent pour chaque ennemi sur les doigts d'une main, et qu'ils finissent donc très vite par se ressembler, et s'enchaîner sans véritable génie. Pour une fois, c'est bien l'héritage d'Assassin's Creed qui prend le dessus, puisque les joueurs de Valhalla pourront dès la première seconde se sentir comme à la maison : esquive, parades, coups spéciaux fonctionnent de manière similaire aux aventure d'Eivor, le combat aérien en sus. A l'instar des affrontements terrestres, ils s'avèrent au moins aussi brouillons, même si la perspective de jouer avec ce nouvel axe offre quelques options supplémentaires.
Mais au final, les collisions font une fois encore des siennes, et le verrouillage de cible encore mal maîtrisé donne souvent l'impression de se retrouver au coeur d'une mêlée gauloise où l'on envoie valser un à un les créatures du bestiaire de circonstance. Il ne faut pas en attendre plus des boss et autres animaux légendaires à débusquer dans chaque zone, puisque leurs patterns se comptent eux aussi sur les doigts d'une main, et donnent trop souvent l'impression d'avoir à faire face à une IA trop mécanique pour opposer un véritable challenge. L'occasion sera donc trop belle de profiter des pouvoirs de Fenyx pour varier les enchaînements, et ainsi profiter des nombreux boosts offensifs que l'on obtient suite à la résolution des nombreuses énigmes environnementales.
H-i-p-H-o-plite
Ubisoft Québec a tout de même eu la bonne idée de restreindre les armes et pièces d'équipement pour ne pas trop s'éparpiller. Il faut dire qu'Immortals Fenyx Rising offre bien assez de surprises lors des phases d'exploration pour ne pas avoir à se prendre la tête sur le couple de lames à manier : il faudra ainsi composer avec une épée pour le combat rapproché, une hache longue pour faire grimper plus vite la barre d'étourdissement, et un arc pour gérer la distance. Si les variations sont bien au rendez-vous, chaque catégorie d'armes évolue toutefois en groupe, en dépensant de précieuses gemmes qui permettent aussi de favoriser la défense via deux pièces d'armure : si chaque glaive propose deux caractéristiques propres, les dégâts infligés seront les mêmes pour l'ensemble de cette catégorie. Certains railleront peut-être ce choix moins stratégique, qui semble pourtant bien raccord avec la tonalité de l'aventure, en plus de favoriser une certaine accessibilité. Mais heureusement que l'on peut visuellement substituer n'importe quelle pièce d'armure pour une autre en conservant ses buffs, car certaines pièces au design Fortnite-esque mettent clairement les deux pieds dans le mauvais goût, et l'on se demande jusqu'où l'on pourra tolérer les libertés prises avec la mythologie qui semblait devoir régir cet univers...
C'est que la brave Fenyx devra également se préoccuper de faire évoluer sa jauge de stamina en venant à bout des fameuses cryptes, mais également de débloquer puis développer des capacités actives ou passives via de multiples gemmes à fastidieusement looter, sans oublier la gestion des potions multiples (soin, boosts offensifs, défensifs...) qui nécessite la récolte d'autres items. Si le sentiment de monter en puissance est bien présent, et que l'endurance permet comme dans Breath of the Wild d'atteindre des sommets autrement inaccessibles, les joueurs devront au final composer avec pas mal de paramètres qui obligent trop souvent à revenir au sein de la Halle des Dieux, sorte de salle de sport mythologique où l'on s'entraîne sous la pression d'Aphrodite, Arès et consorts.