Pour la seconde fois depuis ses débuts en 2007, la série Assassin's Creed s'offrait l'an passé une pause, pour reprendre des forces, se ressourcer et - nous l'espérions - nous revenir dans une forme olympique, quand bien même les épisodes antiques seraient déjà derrière nous. C'est donc après une année sabbatique que nous avons une fois de plus coiffé l'éternelle capuche, et mis le cap sur le Grand Nord...
Mais avant de profiter de l'ivresse visuelle des aurores boréales et des rayons de l'aube non loin du cercle arctique, c'est bien sur la terre du Nouveau Monde que nous retrouvons Layla et ses compagnons de cavale. Flanquée de son nouvel artefact sur lequel nous laisserons planer une part de mystère pour ceux qui n'ont pas encore mis le cap sur l'île mythique d'un certain Assassin's Creed Odyssey, la jeune femme se glisse une nouvelle fois dans l'Animus pour remonter la trace d'une fière guerrière Viking, dont la présence si loin de ses pénates remet en cause bien des certitudes.
Colchiques dans les braies
Soucieux de ne pas verser dans la publicité mensongère, c'est bien sur les terres de l'actuelle Norvège qu'Assassin's Creed Valhalla pose le décor, et marque d'emblée quelques points en flattant la rétine. Certes, les personnages de la saga millénaire font toujours preuve d'une certaine raideur dans leur apparence ou leurs déplacements, mais à peine a-t-on parcouru quelques kilomètres sous un ciel septentrional et menaçant que le charme opère : à l'instar de quelques récentes superproductions, ce nouvel épisode témoigne d'un travail amoureux de la lumière, sublimée à chaque instant, et qui trouve sur la surface rocailleuse des montagnes locales une toile pour exprimer tout son potentiel, dévoilant à chaque moment de la journée de nouvelles teintes assez saisissantes. Mais la vie n'étant pas toujours bien faite, notre héroïne va bien vite se voir contrainte de mettre le cap sur de nouvelles terres, verdoyantes, alors que son père adoptif de roi décide qu'une page doit se tourner au pays des Vikings. Qu'à cela ne tienne, c'est en compagnie de deux représentants d'un Ordre bien connu des joueurs que notre petit groupe met les voiles, pour gagner les côtes d'une Angleterre encore morcelée, et prête à cracher ses richesses à coup de crânes fendus et de tubes digestifs empalés. Une certaine idée de la diplomatie, sans doute. Peu importe, puisqu'à la beauté des côtes enneigées succède la beauté du caillou breton, sur lequel le moindre sous-bois s'entend comme un prétexte à célébrer la saison, et malgré un level design toujours assez sage, parcourir ce qui deviendra un jour l'Angleterre reste un régal pour les yeux, alors que le crachin local offre des contrastes rarement exploités dans le jeu vidéo, en mélangeant un soleil couchant d'automne au nuage menaçant de la côte. Certes, la carte postale n'est pas aussi dépaysante, mais l'amour de la couleur qui ressort de chaque paysage ravira à coup sûr ceux qui savent apprécier la beauté d'un paysage, aussi proche de leur quotidien soit-il. Le trio de compositeurs Kyd/Selvik/Schachner fait d'ailleurs des merveilles, en exploitant habillement des instruments traditionnels pour rendre les villes plus crédibles, mais aussi en privilégiant parfois les ambiances imperceptibles, pour laisser l'environnement pleinement s'exprimer. Au-delà des cris de Vikings assoiffés de richesse, vos oreilles vont voyager. Et encore, on ne vous a même pas parlé d'Asgard...
On casse trop le binôme
C'est donc de zéro que notre joyeuse troupe entend repartir en ces terres ennemies, un postulat qui permet rapidement de mettre en avant l'une des nouveautés de cet épisode nordique : la Colonie. Ce campement en forme de base au sein de laquelle viendront progressivement s'installer les talents locaux croisés au gré de votre aventure occupe une place centrale dans Assassin's Creed Valhalla, puisque sa croissance conditionne bien des activités annexes, sur lesquelles nous allons nous attarder. En plus de planter la lame des Assassins dans la gorge de tout ce qui vous sied guère, il faudra oeuvrer pour le bien commun et le développement de votre campement de fortune, en exploitant le pillage et la mise à sac, élevés au rang d'art par les guerriers à la chevelure de feu. Si bon nombre de raids s'avèrent optionnels, le scénario vous enverra parfois à l'assaut de façon plus structurée, à base de béliers à déplacer et de cibles à atteindre pour remporter la victoire, un ajustement qui rend l'exercice moins pénible que dans Odyssey, et c'est tant mieux. Il faut dire que les côtes anglaises se prêtent particulièrement bien à la navigation en drakkar, et le moindre village qui a eu la mauvaise idée de s'installer au bord de l'eau sera alors synonyme de précieuses ressources. Les phases de pillages consistent avant tout à trouver les richesses principales de chaque localité, qui se dissimulent parfois derrière des portes blindés ou des coffres bien trop lourds pour être manoeuvrés seul.
C'est malheureusement là qu'Assassin's Creed Valhalla dévoile ses premières failles : que vos troupes ne fassent que semblant de lutter contre l'ennemi est une chose, mais qu'elle ne répondent pas présent lors des action à effectuer en binôme en est une autre. Entre les routines qui n'aboutissent pas et les troufions qui bloquent votre progression à coups de bugs de collision, il y a de quoi fulminer, par Thor ! La série nous a depuis trop longtemps habitués à des bugs plus ou moins trollesques, mais cet épisode semble atteindre les limites de notre tolérance sur current-gen, alors que ce souci disparaît en passant sur Xbox Series X. Pourquoi nécessiter autant d'actions groupées lorsque le moindre PNJ peut se montrer incapable de s'orienter correctement ? Une fois couverte de gloire et de sang, Eivor peut alors bâtir ateliers, magasins, brasseries et autres stands de pêche, qui justifient assez aléatoirement leur présence : s'il est toujours pratique de forger son équipement au saut du lit ou de percer les mystères de la chasse, la construction de la Colonie devient vite un puits sans fond qui appelle toujours plus de matériaux, et donc, de nouveaux meurtres.
These are the Danes I know
Mais la vie n'est heureusement pas faite que de pillages, et l'intrigue politico-mystique à laquelle la série nous a habitués reprend vite ses droits, alors qu'il convient rapidement de nouer des alliances avec les provinces environnantes, et de placer à leurs têtes quelques nouveaux rois plus favorables aux échanges trans-maritimes. À l'instar des deux derniers opus, le ton se veut proche de la réalité de l'époque tout en restant léger, et c'est donc sur la base de têtes tranchées et de fientes putréfiées que nos personnages rient de bon coeur en buvant jusqu'à la lie leur précieux l'hydromel. Les rencontres sont une nouvelle fois nombreuses, alors qu'Eivor s'enivre et copule telle la païenne décomplexée peu au fait de la pudibonderie catholique, au cours de célébrations qui mettent en scène les rois de l'époque et futurs chefs de dynasties, Ceowulf ou Oswald en tête. L'arrivée de la célèbre lame et de l'ordre de "Ceux que l'on ne voit pas" ravira sans doute les fans, même si la présence un poil capillotractée des Assassins pourra faire se lever quelques sourcils interrogatifs. Que l'on se rassure : la jonction avec l'Assassin's Creed originel est en tous cas assurée. Entre deux pillages et construction de bâtiments au sein de sa Colonie, Eivor devra donc jouer de la Lame avec agilité, un exercice rendu bien plus aisé par la modification du système de niveau, qui avait fait son apparition dans l'Égypte Antique. Le nombre d'armes a également été revue à la baisse : que l'on opte pour une hache à deux mains, une lance ou un fléau, Assassin's Creed Valhalla privilégie l'amélioration à base de matériaux récoltés à la profusion de loot, un très bon point qui permet de passer moins de temps dans les menus et les boutiques. Au pire, les plus pressés profiteront des nombreux paramètres de difficulté, pour trouver leur point d'équilibre, et oublier les bien vilains checkpoints peu habilement placés.
Far Cry Me A River
En effet, si la notion de "puissance" demeure, tout comme le gain d'expérience pour chaque ennemi exécuté ou nouveau lieu découvert, elle s'affiche de manière chiffrée, mais se conjugue désormais avec un arbre de compétences qui n'est pas sans rappeler le célèbre Sphérier de Final Fantasy X, revisité à la sauce Ubisoft. Trois voies s'offrent ainsi à vous : celle de l'ours, du loup et du corbeau, avec leurs spécificités propres, et l'on y progresse librement en dépensant ses points pour augmenter ses statistiques, maximiser sa résistance ou sa létalité, et atteindre les noeuds centraux synonymes de nouvelles capacités. En laissant le joueur libre de ses choix, le roleplay est ainsi assuré, sans pour autant se montrer aussi contraignant qu'auparavant. Les points dépensés peuvent même être récupérés pour être investis ailleurs en cas de besoin. Désormais, l'équipement n'est plus conditionné à un niveau chiffré, une véritable libération pour les joueurs qui n'en pouvaient plus de trouver de nouvelles armes inutilisables en l'état. Le choix de l'équipement est d'ailleurs rendu ici un peu plus stratégique, puisque chaque les meilleures pièces seront aux couleurs de l'une des trois voies, et un set coordonné maximisera ainsi ses effets. Bien entendu, la progression restera contrainte et guidée, puisque les différentes Provinces nécessitent tout de même d'avoir franchit un certain pallier. Avec trois continents représentés, il y a d'ailleurs de quo faire, et que l'on prennent le large en direction du Nouveau Monde ou que l'on explore la future perfide Albion. Et quitte à nous répéter, Assassin's Creed Valhalla fait preuve d'une direction artistique souvent renversante en ce qui concerne ses environnements : où que l'on se trouve, le soleil s'amuse à faire percer ses rayons à travers la frondaison automnale, ou à éclairer les bâtiments colorés des envahisseurs, qui coexistent avec les ruines de l'Empire Romain, dans un contraste aussi saisissant qu'historiquement pertinent. Dès lors, quel dommage que les personnages fassent encore preuve de tant de raideur, et empêchent la série de pleinement s'épanouir sur le plan narratif.
Les Anglais se font débarquer
Mais les problèmes techniques ne s'arrêtent malheureusement pas là, puisque sur les consoles qui s'apprêtent à tirer leur révérence, Assassin's Creed Valhalla semble lesté par une conception parfois dépassée, qui met à mal le moindre effort de mise en scène. Parfois diablement mal ficelé, le jeu enchaîne les absurdités jusqu'à parfois atteindre le stade de mauvaise blague. Prenons un exemple révélateur : après une scène de dialogue qui s'arrête de façon abrupte, un chargement laisse la place à un plan aérien de quelques secondes, auquel succède un autre chargement, avant qu'une cut-scene ne vienne faire avancer l'intrigue, pour enfin nous catapulter après un dernier écran noir dans une autre localité, car telle semble être la volonté du narrateur. Et l'anecdote n'est pas isolée, loin s'en faut : de bout en bout, le jeu fait preuve d'une non-optimisation qui casse le moindre effet de mise en scène, et hache menu un rythme rendu bancal par la seule technique, car personne chez Ubisoft ne semble vouloir faire évoluer la formule, pour enfin la rendre plus souple, et plus organique. En 2020, la comparaison est encore plus douloureuse, surtout après une année blanche. Les chargements de sauvegardes après une défaite nous placent parfois juste avant une cinématique, synonyme de nouveaux temps morts, une pratique qui sur l'ensemble de l'aventure laisse une impression de conception brouillonne, très loin des standards actuels, suivez mon regard. Pour les moins patients, la lassitude de la collectionnite pourrait également pointer le bout de son nez : toujours mieux dissimulée, mais toujours très présente, la collecte conditionne la progression au sein de la Colonie, malgré son côté chronophage et répétitif. En plus de passer du temps à longer les côtes pour piller villages et bourgades anglo-saxonnes, il faudra se lancer à la poursuite de nouvelles techniques, assignables aux boutons de façade en maintenant l'une des deux gâchettes, pour donner au final lieu à une interface et une prise en main d'une bien trop grande complexité. La caméra n'arrange parfois pas la situation, en s'éloignant de l'action, ou en accusant parfois le coup lorsque les adversaires se multiplient, un détail qui n'arrange clairement pas nos affaires. Les artefacts et autres indices nécessaires à l'accomplissement de nombreuses quêtes prennent en plus un malin plaisir à se terrer en profondeur, et obligent à chercher un accès parfois barricadé, ce qui fait de la moindre chasse au trésor un exercice bien trop long pour amuser sur la durée.
Oh, Mercie !
C'est d'autant plus dommage que l'aventure regorge d'activité ô combien sympathiques, comme le flyting, cette joute verbale qui permet de gagner en charisme et de mener à bien certaines négociations, ou encore le redoutable Orlog, jeu de dés inventé pour l'occasion, et qui donne lieu une fois les règles digérées à de formidables affrontements stratégiques, et l'on commencera souvent l'exploration d'un nouveau village par la rencontre avec le champion local. En plus de se montrer ingénieux et addictif, l'Orlog récompense chaque victoire avec un totem qui permettra de terrasser ses futurs adversaires avec encore plus de classe. Addictif on vous dit. Assassin's Creed Valhalla se donne en plus bien du mal pour opérer une sorte de synthèse de la série, en piochant dans chaque épisode passé une trouvaille de gameplay : entre la dissimulation encapuchonnée du premier, le développement de sa base emprunté à Assassin's Creed II, la multiplicité des environnements similaire à Assassin's Creed III, l'exploration maritime de Black Flag, les mystères à résoudre d'Unity, la dimension RPG d'Origins et la chasse méticuleuse aux membres de l'Ordre directement reprise d'Odyssey (coeur sur toi bébé), il y en a pour tous les goûts. Mais à bien y regarder, Assassin's Creed Valhalla n'en ferait-il pas un peu... trop ? Nous ne parlerons évidemment pas de l'intrigue, qui risque d'en surprendre plus d'un, mais qui interroge forcément sur la direction qu'entend prendre la série. Il y a pourtant tant à faire, alors que les quêtes principales se séparent et offrent de nouvelles perspectives (parfois littéralement divines) à explorer, mais il est sans doute regrettable que le temps passer à flâner et à expérimenter les innombrables défis disséminés sur plusieurs maps occupent tant d'heures de jeu, car avec une telle synthèse, la série gagnerait clairement à faire plus avec... moins.