Découvert à l'occasion d'un early access hivernal encore relativement inédit pour votre consoleux de serviteur, c'est peu dire que ScourgeBringer nous avait fait forte impression : avec son galop d'essai, le jeu des français de The Flying Oak nous avait redonné confiance dans un genre déjà essoré, en l'espace de quelques années.
Vous pensiez en avoir soupé des Rogue-lite ? À vrai dire, nous aussi. Et pourtant : décliné à toutes les sauces par des studios soucieux de coller coûte que coûte aux tendances du marché, le genre en forme de variante soft du Rogue-like commençait à tourner en rond. Puis Hades est arrivé le mois dernier, sans se presser, et voilà que la version finale de ScourgeBringer débarque à point nommé avec ses lames affûtées et ses trajectoires maîtrisées. Alors, faut-il replonger ?
Apporteur d'affaires
Soucieux de privilégier un rythme de jeu effréné, ScourgeBringer ne s'encombre pas longtemps d'un scénario en forme de prétexte kubrickesque pour situer l'action de son Rogue-lite au croisement des genres. Sans prévenir, un monolithe s'est un jour abattu comme un jugement divin sur l'humanité, peu à peu décimée. Désormais réduite à sa portion congrue, cette dernière décide alors de pénétrer le châtiment pour tenter de mettre fin à son calvaire, mais vague après vague, les aventuriers s'embarquent vraisemblablement pour un voyage sans retour.
En plus de poser le décor et d'identifier clairement un antagoniste nébuleux, que les humains ont pris la peine de renommer l'Apporteur, l'enchaînement de plans fixes qui sert d'introduction à ScourgeBringer permet surtout d'installer une ambiance et une direction artistique, qui se base étonnamment sur des aplats de teintes ombres pour se démarquer des canons parfois plus colorés du genre. Un choix judicieux tant sur le fond que sur la forme, comme nous aurons l'occasion de le détailler d'ici quelques paragraphes. En revanche, difficile de s'enthousiasmer pour la bande-son signée de Joonas Turner, bien trop répétitive pour se distinguer, et qui oublie malheureusement les enseignements du vénérable maître Uematsu, qui sait à quel point un thème de combat doit être suffisamment intelligent pour ne pas vite donner envie de couper le son. Avec une telle emphase sur des guitares rythmiques et dropées, on peut dire que la sauce ne prend absolument pas.
Le dépassement de swag
À l'image de son univers, ScourgeBringer préfère aller directement à l'essentiel, et pose dès la première minute les bases de son gameplay : salle après salle, la jeune Kyhra devra faire le ménage (selon l'expression consacrée par la présidente de la région Île-de-France) et se débarrasser de tous les ennemis présents à l'écran avant de poursuivre son exploration sous forme de génocide méthodique. L'accent est donc clairement mis sur les innombrables affrontements qui parsèmeront votre progression, et permettront à force d'échecs et de persévérance d'affûter skill et réflexes. Bien dans son époque, le jeu prend un malin plaisir à construire chaque affrontement en deux vagues successives, qui offrent un très bref répit afin de se repositionner, et de continuer à faire grimper le multiplicateur de score sans toucher le sol. Une mécanique pousse-au-crime aussi intelligente que perfide, qui donne envie de prendre tous les risques, quand bien même les drops de points de vie restent rares, et que le prix en boutique s'envole à chaque boss défait. Quelle vie.
C'est que le moindre point de vie vaut son pesant d'or : pour espérer triompher des cinq mondes à l'impitoyabilité exponentielle (et plus si affinités), il faudra patiemment apprendre à réagir au quart de tour, à trouver la bonne parade dégainée à la seconde près. Chaque ennemi possède évidemment son pattern bien à lui, mais leur profusion dans chacun des environnements du jeu s'entend comme autant de variations sur un thème presque semblable, qui nécessite une adaptation de tous les instants. Heureusement, Kyhra possède plus que du répondant dans son arsenal.
Kyhra, te quiero amor
Notre héroïne est en effet taillée pour la réussite, alternant entre coups classiques au corps-à-corps, tirs à distance pour zoner sans stress, et mouvements défensifs destinés à renvoyer les boulettes adverses à l'envoyeur. Ajoutez à cela un dash qui peut ou non se combiner à une action offensive, et vous obtenez une palette plus que complète, qui permet une fois digérée de se sortir de bien des traquenards, à condition de ne pas être trop gourmand (croquant) non plus. C'est qu'avec son action frénétique qui pousse sans cette au combo ininterrompu, ScourgeBringer est bien plus pousse-au-crime qu'il n'y parait : lors des premiers runs, on se défait facilement des deux vagues de monstres à annihiler sans ménagement, en alternant justement dash, renvoi et projectiles et tirs entre les deux yeux, et ainsi se prendre pour un PGM en puissance... avant que la réalité ne nous rattrape bien vite.
Malgré les bonus glanés en cours de route et les autels de sang qui débloquent à chaque run une capacité temporaire plus ou mois pratique, la difficulté joue parfaitement son rôle, et la progression fluide des débuts s'envole bien vite, alors que les ennemis se font plus résistants, les murs transparents, et les bords de l'écran poreux et bouclés comme les ancêtres Asteroids ou Pac-Man. Malgré cette volonté de changer la donne à chaque nouvel environnement, les ennemis aux formes parfois similaires et la dimension répétitive de l'exercice finissent inlassablement par grignoter l'envie immédiate de relancer un run après une défaite. Un point dommageable pour un titre qui base sa progression sur un skill que l'on ne peut améliorer correctement qu'en s'y consacrant pleinement. Alors certes, les options d'accessibilité sont toujours là pour apporter un contrepoids, mais on ne pourra que s'interroger sur la pertinence de proposer d'entrée de jeu une invincibilité permanente, puisqu'elle neutralise complètement l'expérience.
Roots, Bloody Roots
Il faudra donc compter sur un arbre (littéral) de compétences pour progressivement mettre toutes les chances de son côté, en grapillant quelques points de vie supplémentaires et pérennes, puis de renforcer la contre-attaque, la durée des étourdissements ou s'octroyer une furie bien pratique pour les moments de détresse. Et ils seront nombreux. Chaque mid-boss et boss vaincu rapporte en effet son lot d'items à dépenser une fois la défaite encaissée, l'assurance de ne jamais mourir pour rien, même si les derniers attributs indispensables à ceux qui voudraient finalement comprendre le fin mot de l'histoire coûtent la peau des fesses. Car si ceux qui jetteront l'éponge en cours de route n'auront que faire des journaux de bords glanés ici et là, les joueurs qui effectueront le saut de la foi découvriront un récit plus intelligent et plus profond qu'il n'y parait, offrant une véritable réflexion sur la notion de châtiment, et la place qu'il occupe dans l'imaginaire des cultes sectaires. C'était assez inattendu... et d'autant plus dommage de ne pas pouvoir en découvrir l'ultime révélation à cause d'un freeze de fin de run qui donne littéralement envie de jeter sa console par la fenêtre. C'est qu'il faudra développer des trésors d'agilité et invoquer la chance toutes les cinq minutes pour traverser l'ultime épreuve. Autant vous dire qu'avec un élan stoppé net, nous ne sommes pas prêts d'y retourner.
Malgré sa difficulté croissante et une certaine répétitivité (donc), la perspective de voir Kyhra se renforcer peu à peu malgré tout une bonne raison de repartir combotter sans jamais toucher le sol, dans un ballet d'une vivacité assez rare, et qui procure de très bons moments dans la zone, une fois la complexité du système digérée. L'investissement physique et mental est réel, et comme dans tous les bons représentants du genre, on verra venir le hit à des kilomètres, avant de se demander pourquoi diable on aurait finalement choisi de donner un coup supplémentaire plutôt que de l'esquiver. L'appât du gain, sans doute.