Vingt-six ans, c'est le temps qu'il aura fallu à Charles Cecil et Dave Gibbons pour donner suite à leur collaboration sur Beneath a Steel Sky, classique parmi les classiques du point and click. Enfilant une robe plus moderne, Beyond a Steel Sky est-il le genre de projet qui peut, après autant d'années, plaire aux nostalgiques et séduire les curieux ?
Australie, dans un futur plus ou moins proche et surtout assez peu amusant. La pollution et la guerre ont ravagé la Terre. Le pays des Kangourous ressemble à un immense désert, appelé le Ravin, où seules une poignée de cités tiennent encore debout. Robert Foster est un ravineur au passé très particulier. Il a sauvé Union City de l'emprise du super-ordinateur LINC aux côtés de son androïde Joey, qui lui est resté sur place pour tenter de rendre la vie des habitants meilleurs. Menant une existence paisible avec la tribu qui l'a accueilli, il doit finalement retourner dans cette cité tentaculaire et étouffante pour retrouver un jeune garçon, Milo, kidnappé par un imposant quadrupède mécanique.
Minos et cortex
Drôle de sentiment qui nous assaille une fois l'introduction, 100% comics, passée. C'est que le passage à la 3D et au Cel Shading, qui fait parfaitement honneur au style de Gibbons, surprend lorsque l'on se souvient de la 2D pixelisée de Beneath a Steel Sky. Et que se rendre dans cette mégalopole qu'on a eu bien du mal à quitter il y a plus de deux décennies fait un peu peur. Qu'est-ce qui nous y attend ? Retrouvera-t-on ses marques rapidement ? Joey se porte-t-il bien ? Les premiers éléments de réponse tombent alors que l'on arrive aux portes de la ville. LINC a laissé place au système MINOS, Joey à un Conseil qui se charge de veiller au bonheur des habitants. Entrer n'est pas une sinécure. Foster, qui ne manque jamais de commenter le moindre fait ou le moindre objet qu'on lui demande d'examiner, doit encore ruser, parler aux bonnes personnes, associer les bons objets. Si les commandes, tout à fait adaptées à la manette, font penser à un jeu d'aventure à la Telltale, on a déjà, en quelques minutes, la sensation d'être revenu dans les années 90.
Cecil bon de partir n'importe où
La raison est simple : on tourne déjà énormément, on se triture les méninges pour tenter de comprendre comment accéder à ce sandwich réclamé par un gamin peureux planqué dans une poubelle, comment bénéficier d'un statut de citoyen, comment faire pour qu'un foutu gang-gang, volatile vorace et antipathique, lâche un appareil électronique indispensable, comment se retrouver dans un camion rempli de hot-dogs moisis et malodorants. La logique de la première séquence est facile à suivre. Le nombre d'accessoires dans l'inventaire et d'éléments de décor avec lesquels agir se révèle assez faible, et l'interface suffisamment intuitive, pour que, à force d'expérimentations, on puisse entrevoir une ouverture. La suite donne autrement plus de fil à retordre.
Chapitré sans en avoir l'air, avec une poignées de zones assez vastes où s'aventurer, Beyond a Steel Sky a, une fois les murs d'Union City dépassés, du mal à se montrer explicite sur la marche à suivre. Comme dans les jeux d'antan, et malgré un système d'indices qui peut faciliter un chouïa l'orientation, il faut énormément tâtonner, explorer, être certain d'avoir bien poussé tous les dialogues (généralement savoureux) au bout de leurs options. Dieu merci, on n'a plus besoin de balayer l'écran pour un simple pixel. Cela ne veut pas dire qu'on ne va pas en baver pour autant. Les développeurs ont pris un malin plaisir à placer des distractions et fausses pistes, à nous laisser penser qu'il faut s'intéresser à certaines choses qui ne mènent qu'à un cul-de-sac. De fait, on perdra souvent du temps pour rien (boucler peut facilement prendre une quinzaine d'heures, là où la solution sous les yeux, on monterait à quatre ou cinq), avec une certaine frustration. Ce qui ne rendra pas la découverte de la solution moins gratifiante, au contraire. À l'ancienne, dira-t-on.
Un jour on l'aura dans l'Union
L'autre difficulté provient de l'usage d'un outil de piratage. Grâce à ce scanner sophistiqué, tout appareil automatisé peut se voir bidouillé, d'un automate à un ordinateur en passant à un panneau publicitaire. Il suffit de changer l'ordre de certaines fonctions, de les transférer, pour obtenir le résultat souhaité, de l'appel au secours d'un robot de nettoyage à ce qui permet à une carte cachée de s'afficher en hologramme. Enfin, "il suffit"... Lorsque plusieurs sont impliqués dans la manipulation, il faut garder en tête que la portée n'est pas infinie. Il y a en tout cas, à travers cette mécanique de puzzle toute simple de quoi s'amuser et créer des situations salvatrices mais aussi hilarantes.
L'humour, Beyond a Steel Sky n'en manque pas. Dans la continuité de l'épisode original, développant plus que convenablement l'évolution d'Union City, il garde néanmoins un ton sombre, qui ne refuse aucune mise en garde sur le concept utopique du bonheur collectif et du tout surveillé et noté. Comme une mise en garde sur ce qui attend notre monde actuel. On devine très vite que, derrière la façade, il y a quelque chose de pourri. Quoi ? On est heureux, façon de parler, de le comprendre au fil de l'enquête. Moins que, derrière une esthétique qui rend parfaitement en captures d'écran, la vie soit si peu présente dans Union City, les animations d'une telle rigidité, et les problèmes techniques (enchevêtrements de polygones, cadrages aux fraises...) et bugs si présents, gâchant bien souvent la mise en scène et le punch de certaines phases. Ce que, pour le coup, en dehors des mordus de Beneath a Steel Sky, les joueurs auront plus de mal à accepter.