Cela vous arrive-t-il, parfois, tandis que vous vous prélassez dans votre lit, prêts à vous endormir, d'apercevoir dans l'obscurité de votre chambre une ombre que votre imagination fertile interprète comme une silhouette, une lueur comme un regard, et de vous précipiter sur l'interrupteur pour rallumer la lumière ? Maintenant représentez-vous ce court instant puisé dans vos peurs enfantines s'étendre à un jeu d'une demi-douzaine d'heures et vous obtenez Those Who Remain, thriller psychologique concocté par le studio indépendant Camel 101.
Tandis qu'il se rend dans le motel où crèche sa maîtresse, bien décidé à mettre un terme à cette relation, Edward n'y rencontre pas âme qui vive. Il chemine alors vers Dormont, ville plongée dans l'obscurité et frappée par de mystérieuses disparitions. Sur sa route, il se rend compte que les ténèbres l'observent.
Stay in the light
Comme beaucoup de jeux du genre, le début de Those Who Remain est assez abrupt. Il nous met dans la peau de cet Edward Turner, sans que l'on sache bien qu'il est ni ce qu'il cherche. On observe l'environnement à travers ses yeux et au fil de la progression, on en apprend un peu plus sur lui et son passé douloureux, grâce à ses réflexions personnelles. Edward ne sachant souvent pas lui-même où il se trouve, le joueur s'identifie à lui et sa quête de vérité. Une autre intrigue se court-circuite petit à petit à la sienne : celle d'Annika, adolescente dont la mort tragique quelques temps auparavant serait à l'origine des ténèbres qui se sont emparées de Dormont. Des coupures de journaux et des notes personnelles nous permettent d'en apprendre plus au sujet de la malédiction qui semble frapper la ville. Penchez d'ailleurs plutôt sur les sous-titres anglais, la localisation française semblant tout droit pondue par Google Trad.
Très vite, une voix murmure à l'oreille d'Edward : Stay in the light, injonction programmatique car au coeur de l'expérience de Those Who Remain. Chaque fois qu'Edward s'approche de l'obscurité, il peut entrevoir des silhouettes aux yeux étincelants qui n'hésiteront pas à lui planter une hachette dans le thorax s'il s'en approche trop. Ces créatures silencieuses participent à l'ambiance fantasmagorique et très réussie du jeu. Edward doit constamment rester dans la lumière, ce qui rend certaines séquences astucieuses et stressantes pour le joueur : ainsi, dans une maison, on se demande si un interrupteur sert les dissiper les ténèbres de la pièce adjacente ou à plonger dans le noir celle dans laquelle Edward se trouve, faisant apparaître d'un coup d'un seul les créatures d'ombre.
L'Enfer, c'est (pour) les autres
Qu'il se trouve dans un champ, dans un poste de police ou dans un supermarché à l'abandon, le joueur doit trouver le moyen d'allumer certaines lumières menant à des zones sinon inaccessibles. Il se lance en quête d'allumer tel générateur, de trouver tel fusible manquant ou d'écarter tel obstacle qui empêche un éclairage de s'infiltrer dans une pièce. Néanmoins, ces lumières qu'Edward doit suivre pour progresser tendent à rendre explicite l'aspect dirigiste du jeu, inhérente il est vrai au genre : le joueur ne doit pas s'écarter de la voie qui lui est tracée.
Certaines pans du jeu essaient de proposer autre chose lorsqu'Edward franchit des portails lumineux le menant à une sorte de monde parallèle, suspendu dans le temps et où les lois de la physique semblent différentes. Il est même souvent obligé de s'y rendre pour écarter un obstacle inamovible dans le vrai monde. Au départ simples visions d'une dimension parallèle, ces séquences prennent des atours proprement fantastiques, voire tortueux à la fin du jeu, à la manière de ce que proposent souvent les productions Bloober Team (Layers of Fear, Observer), dont on voit très bien ici les influences.
S'agissant du "vrai" monde, il prend peu à peu des allures de purgatoire quand nous est demandé de choisir de pardonner ou de condamner un individu ayant commis l'irréparable (en lien avec la mort d'Annika), ce dont on n'a connaissance qu'en récoltant des informations un peu partout autour de soi. Ces dilemmes moraux, binaires mais multiples, ont pour conséquence d'influer sur la fin du jeu : ainsi, trois dénouements sont possibles en fonction des décisions du joueur.
Les démons intérieurs
Si les ténèbres dans lesquelles sont plongés les lieux traversés par Edward participent à l'atmosphère pesante du jeu, il faut bien dire qu'elles servent également bien souvent de cache-misère. Le titre est franchement très vilain et les rares silhouettes humaines entrevues rappellent les personnages très poupée de cire du premier BioShock (paru en 2007, tout de même), le charisme en moins. La gestion des éclairages est complètement loupée - ce qui est un comble pour ce jeu - avec certains objets qui apparaissent régulièrement en surbrillance sans la moindre raison. Du côté du département sonore, ce n'est pas beaucoup mieux avec des bruitages au mieux corrects, au pire franchement à l'ouest (ou lorsqu'un coussin fait le même bruit qu'une caisse en bois au lancer). Heureusement, les choeurs dissonants qui accompagnent les créatures sont réussis, de même que les effets sonores inversés lorsque l'on erre dans dans le monde parallèle.
Edward n'a aucune arme à sa disposition, pas même de lampe-torche, ce qui lui aurait été bien utile pour dissiper les ténèbres à la manière d'Alan Wake. Les actions possibles sont réduites au strict minimum : interagir, courir, attraper et lancer, ces deux dernières n'étant vraiment pas intuitives. De façon générale, le gameplay paraît austère, le joueur se contentant souvent d'ouvrir une tripotée de casiers et de tiroirs pour trouver ce qu'il cherche. Il n'est d'ailleurs pas aidé par le pointeur de visée, très exigeant, vous obligeant à être parfaitement devant l'objet en question. Le joueur est également soumis à quelques énigmes qui, sans être renversantes, permettent de faire appel à son sens de l'observation et de faire varier l'expérience, laquelle ne s'étend pas au-delà de six à sept heures de jeu.