Relativement méconnue en occident, la série des Sakura Wars jouit d'une popularité certaine dans son pays d'origine (où elle est connue sous le nom de Sakura Taisen). Cette popularité est d'ailleurs si importante que son retour était le plus réclamé par les fans nippons de SEGA. Lorsque SEGA a annoncé au cours d'un SEGA Fes qu'un nouveau Sakura Wars était en développement et que, contrairement à la plupart des épisodes de la série, il allait avoir droit à une sortie en occident, la réaction logique était de s'attendre à ce que l'éditeur nippon mette le paquet pour ce retour de la Brigade des Fleurs sur le devant de la scène. Tous ces éléments, combinés aux nouvelles ambitions de SEGA, font que Sakura Wars surprend. Et pas nécessairement dans le bon sens du terme.
Sakura Wars débute dans les années 40, durant la 29e année d'une version fictive et steampunk de l'ère Taishô (qui s'est déroulée de 1912 à 1926 dans la réalité). Le joueur incarne Seijuro Kamiyama, jeune capitaine tout juste affecté au Théâtre Impérial où les membres de la Brigade des Fleurs font les actrices le jour et défendent Tokyo la nuit. Dix ans après la Bataille de Tokyo, un calme relatif semble régner dans la capitale japonaise. Les finances du Théâtre Impérial sont au plus bas, les spectacles ne font plus recette et les robots de combat de la troupe, les Kôbu, sont totalement obsolètes. Les missions de ce bon Seijuro seront donc multiples. Il devra d'un côté remettre le Théâtre Impérial dans le vert, contribuer à protéger le Japon face aux attaques de monstres et refaire de la Brigade des Fleurs une force de premier plan. Tout en gérant les états d'âme des membres de sa troupe. Les tâches s'annoncent ardues et elles le seront.
À la manière d'une série classique, chaque épisode met l'accent sur une des héroïnes de la Brigade des Fleurs afin de développer son arc scénaristique personnel, tout en faisant avancer l'histoire principale en toile de fond. La structure narrative de Sakura Wars est par ailleurs un des points forts du jeu. Le découpage est réussi, l'histoire gagne progressivement en intensité et on apprécie de développer les différentes sous-intrigues (notre description de l'histoire reste volontairement vague pour ne pas gâcher la surprise de la découverte à ceux qui s'essaieront à au jeu). L'utilisation habile des scènes cinématiques animées contribue elle aussi à donner l'impression de suivre une série. Histoire d'accentuer encore plus cette sensation, chaque épisode in-game se termine comme un épisode d'anime, avec une bande-annonce de l'épisode suivant. Et l'effet est réussi. Il convient par ailleurs de souligner que la base de l'intrigue est l'oeuvre de Jiro Ishii, l'auteur et réalisateur de l'excellent visual novel 428 : Shibuya Scramble. On regrettera simplement l'impossibilité, assez incroyable en 2020, de ne pas pouvoir sauvegarder n'importe quand sa progression. Il est en effet nécessaire d'attendre un interlude pour sauvegarder.
"-Capitaine, je suis follement amoureuse de toi !
Sakura Wars étant la nouvelle suite d'une série qui ne date pas d'hier, il est logique d'avoir peur de passer à côté d'une partie de l'intrigue lorsque l'on est un joueur novice. Bonne nouvelle pour les nouveaux venus, le jeu est un soft reboot. même si des références sont faites à des personnages d'autres épisodes de la licence, l'intrigue de Sakura Wars se suffit à elle-même et est accueillante pour les novices. Pour finir cette partie du test, un mot sur la localisation du jeu. SEGA a eu la bonne idée de proposer des sous-titres en français en accompagnement des voix japonaises originales. Si cette localisation est globalement satisfaisante, il est possible de regretter que la manière de s'exprimer de certains personnages ne colle pas vraiment avec l'époque dans laquelle se déroule l'aventure. S'il est impossible de l'affirmer, il ne serait pas surprenant que l'équipe de traduction en français ait travaillé à partir du texte en anglais, et ait cherché à différencier les attitudes des protagonistes en utilisant des expressions idiomatiques actuelles. Vu le contexte dans lequel se déroule le jeu, cela fait un peu tâche. On est très loin des problèmes de traduction présents dans un jeu comme Dragon Ball Z Kakarot, mais la situation devait malgré tout être évoquée.
Une traversée de la campagne du jeu au cours de laquelle le joueur aura pris le temps de parler fréquemment avec tous les personnages demandera une vingtaine d'heures. Les joueurs les plus motivés qui souhaitent rester plus longtemps plongés dans l'univers du jeu ont divers moyens mis à leur disposition pour prolonger l'expérience. Un mini-jeu de Koi Koi, jeu de carte traditionnel japonais (qui se joue avec de hanafuda) que les fans des jeux Yakuza connaissent bien, est introduit en début d'aventure et ensuite accessible n'importe quand (même sans lancer la campagne principale). Ensuite, le jeu donne la possibilité de collectionner des portraits des protagonistes du jeu et des précédents Sakura Taisen dont la totalité ne peut être obtenue en une seule partie. Le titre permet également de refaire à loisir les séquences d'action du jeu. À ces dernières sont ajoutées des objectifs qui permettent d'augmenter le niveau de confiance des camarades. Enfin, la quête principale dispose de plusieurs fins (liées à un choix spécifique fait à un moment de l'aventure) et d'un New Game+. Les joueurs séduits par Sakura, Azami, Claris et compagnie auront donc de quoi passer de longues heures en leur compagnie. Mais pour votre serviteur, une fois a suffi.
- Hein ? Qu'est-ce que tu viens de dire ?
À l'origine, les Sakura Taisen sont des hybrides de jeux de drague et de RPG Tactiques. Dans Sakura Wars, la partie drague est bien conservée tandis que la partie RPG a été remplacée par de l'Action. Si ce choix a certainement été fait pour attirer un large public, difficile d'affirmer que ce choix a été le bon du point de vue de l'intérêt du gameplay. En effet, les phases d'action, en plus d'être rares, ne sont pas particulièrement intéressantes ou palpitantes. Lorsque les quelques démons qui composent le bestiaire limité du jeu attaquent, les membres de la Brigade des Fleurs montent dans leurs robots Kôbu et partent à l'assaut des forces du mal.
Au cours des passages de combat (qu'il s'agisse des petits "raids" qui interrompent brièvement une fois par épisode les phases d'exploration/dialogues, ou des séquences de combat qui concluent les épisodes), le jeu passe en mode Beat 'em All simpliste dans lequel deux boutons servent 90% du temps pour faire des enchaînements basiques et peu nombreux. Malheureusement pour les amateurs de gameplay plus pointu, le jeu de SEGA ne permet pas de débloquer de nouvelles capacités et/ou techniques de combat. Ce que vous faites en début d'aventure, vous le ferez toujours à la fin. Autre détail regrettable, il n'y a pas vraiment de courbe de progression dans Sakura Wars, le jeu reste très simple du début à la fin. Et c'est d'autant plus dommage qu'il y a quelques détails sympathiques et que l'univers du jeu permettait d'aller beaucoup plus loin. À noter malgré tout que chacune des membres de la Brigade des Fleurs dispose de compétences qui lui sont propres en cours de combat. Claris peut par exemple attaquer à distance, Hatsuho est puissante au corps à corps avec son immense marteau et Anastasia peut planer après un saut grâce à son parapluie. Mais comme il n'est globalement pas possible d'incarner n'importe quelle héroïne dans n'importe quelle mission, il faut penser à utiliser leurs capacités lorsque chacune d'entre elle est mise en avant.
-Rien, je pensais simplement à voix haute."
Les amateurs du beau jeu pourront quant à eux chercher à réaliser des esquives parfaites. Une esquive effectuée au bon moment ralenti le temps pendant quelques secondes et permet de contra-attaquer. Et il faut bien admettre que réussir un contre parfait est satisfaisant. Autres éléments réjouissants : les attaques spéciales. Lorsqu'un personnage remplit sa jauge d'attaque spéciale, il a la possibilité d'envoyer une attaque destructrice faisant beaucoup de dégâts (très utile contre les boss) et précédée d'une petite intro plutôt classe. Plus classe encore : les attaques duo.
Lorsqu'il est en mission, Seijuro est toujours accompagné au minimum d'une des membres de la Brigade des Fleurs. Le joueur peut passer d'un personnage à l'autre à loisir pendant les affrontements. Et lorsqu'il se bat bien, en faisant beaucoup de dégâts et en subissant peu, il augmente la confiance entre lui et ses coéquipières (les relations qu'il entretient avec ses camarades dans les phases Aventure influent également sur le moral des troupes en début de combat). Une fois un certain niveau de confiance atteint, il peut lancer, une fois par combat, une attaque duo précédée d'une scène cinématique animée très réussie qui illustre le rapport entre les deux protagonistes. Globalement, la jouabilité de Sakura Wars est accessible et le jeu dispose de quelques bonnes idées. Le hic, c'est qu'à trop vouloir jouer l'ouverture aux néophytes, le jeu perd en profondeur et ne procure pas de sensation d'accomplissement au joueur.
Avant ces passages orientés action se trouvent les phases d'aventure. Et ce sont elles qui occuperont le plus gros du temps du joueur. Au cours de ces dernières, Seijuro peut explorer les différentes pièces du Théâtre Impérial et y interagir avec quelques uns de ses visiteurs mais surtout avec son staff. Autrement dit, ses coéquipières, collègues et sa supérieure. En parlant à ces dernières, le capitaine va apprendre à les connaître et dans certains cas se voir confier de brèves missions, parfois limitées dans le temps, qui lui permettront d'améliorer ses relations avec ces dernières. Seijuro pourra également sympathiser avec une poignée d'autres PNJ situées aux quatre coins de Tokyo ainsi qu'avec les brigades rivales. Ces autres personnages pourront eux aussi confier de petites quêtes pas spécialement passionnantes (comme retenir dans l'ordre les commandes des clients d'un restaurant par exemple) mais qui servent à améliorer les rapports entretenus avec ces derniers.
Terrace House Steampunk Edition
Sakura Wars est un jeu très bavard. Le relationnel jouant un rôle prépondérant dans le déroulement de l'aventure, Seijuro va beaucoup discuter avec les différents personnages importants de l'intrigue. Via le système LIPS, le héros dispose de quelques secondes pour sélectionner les réponses qu'il fait aux protagonistes qui lui adressent la parole. Et qui dit choix multiples dit types de réponses différentes. En fonction des réponses faites, le joueur va améliorer ou nuire aux rapports qu'il entretient avec tel ou tel personnage. Comme souvent dans les jeux qui proposent des dialogues à choix multiples, les répliques qui suivent le choix du joueur ne sont pas toujours cohérentes. Mais si cela donne lieu à quelques enchaînements de phrases curieux, ce n'est clairement pas handicapant pour la compréhension des conversations et des situations. Dans certains cas, le joueur peut également sélectionner l'intensité avec laquelle il va parler. Afin de motiver ses troupes par exemple. Mais il n'est pas toujours approprié de crier sa réponse et cela influe aussi sur les rapport entretenus. À noter à ce propos qu'un mauvais choix d'intensité peut donner lieu à des situations qui parviendront à tirer un sourire au joueur. Autre détail à souligner, si le coeur vous en dit, et que vous êtes au bon endroit au bon moment, vous pourrez également tenter de vous rincer l'oeil à différents moments. À vos risques et périls...
Lorsqu'un certain niveau de confiance est atteint avec telle ou telle héroïne, un "événement de confiance" devient accessible (ce type d'événement peut être manqué). Ce type de séquence correspond à une scène au cours de laquelle Seijuro se retrouve en tête à tête avec une des membres de la Brigade des Fleurs, à un moment où celle-ci a un petit coup de mou. En passant en revue son environnement ou certaines parties de son corps, le capitaine peut essayer de remonter le moral de subordonnée, la reluquer ou essayer de la draguer. Ces séquences paraissent interminables et pas particulièrement intéressantes. D'autant plus qu'elles terminent invariablement sur la même situation. Seijuro pense qu'il va conclure, tout pousse par ailleurs à croire que c'est le cas. Mais en fait non. Si les amateurs de ce type de mise en scène et d'ambiance n'y verront certainement rien à redire, et diront peut-être que c'est ce qu'ils attendent d'une telle expérience, l'ensemble est extrêmement caricatural et un peu kitsch. Du point de vue de la narration, ces phases de drague sont clairement les moins intéressantes du jeu.
Ambiance rétro, mais pas que
La réalisation de Sakura Wars peut être évoquée sous deux angles différents. Le premier est celui de la réalisation technique. Et là, il semblerait presque que l'équipe de développement a voulu proposer un retour dans le passé qui ne se limite pas à l'époque dans laquelle se déroule l'aventure. Sans exagération, le titre de SEGA donne l'impression de sortir une génération trop tard. La modélisation des personnages et des environnements est assez basique et les animations sont clairement vieillottes. Seijuro, lorsqu'il court dans les phases aventure, fait de la peine à voir. Les quelques raids qui viennent parfois interrompre la monotonie des phases d'aventure se déroulent systématiquement dans le même décor étriqué. Et pour ce qui est des phases d'action principales, elles se déroulent dans des décors répétitifs qui font un peu de peine à voir en fin de génération PS4. Toujours du côté des soucis de réalisation, la caméra se bloque parfois contre des éléments du décor pendant les combats. Et quelques baisses de framerate peuvent être remarquées dans les phases les plus chaotiques des combats, y compris sur PS4 Pro. Du point de vue de la réalisation sonore, il est possible de regretter que l'intégralité des dialogues ne soit pas doublée même si une grande partie l'est.
Le second angle est celui de la réalisation artistique. Et là, le constat est bien plus élogieux (décors des phases d'action mis à part). Pour ce qui est des personnages, ils sont l'oeuvre de Tite Kubo, l'auteur du célèbre manga Bleach. Si certains regretteront peut-être les traits exagérés de certains personnages, les protagonistes sont dans l'ensemble réussis et leurs Kôbu ont fière allure. Mais ce qui marque principalement en ce qui concerne la réalisation artistique de Sakura Wars, c'est cette version steampunk du Tokyo des années 40. Malheureusement, ces environnements sont pour le moins petits en termes de superficie. Mais ce qu'il est possible d'en voir est très agréable à l'oeil. Il aurait été appréciable de pouvoir visiter davantage ces lieux réinventés. Du côté de la partie sonore du jeu, le travail est dans l'ensemble de qualité. Les doubleurs japonais font un excellent travail et les musiques collent parfaitement à l'ambiance du jeu. Ces musiques justement, dont l'entêtant thème principal, sont l'oeuvre de Kohei Tanaka, compositeur historique de la série qui a également travaillé sur les musiques de l'anime One Piece ou sur des jeux vidéo comme Gravity Rush. Mais comme pour plusieurs autres éléments du jeu, on regrette que SEGA ne soit pas allé plus loin. Car si les musiques sont agréables, elles sont relativement peu nombreuses et finissent par paraître répétitives. D'une manière générale, on ne peut être qu'étonné par le manque d'ambition de ce titre présenté comme la grande (ré)introduction de Sakura Wars au public. La licence a du potentiel, mais il n'est dans l'ensemble pas réalisé ici.