Merveilleuse coïncidence : après treize ans de disette, deux Half-Life le même mois. Avant l'arrivée d'un nouvel épisode qui fait qu'on se pince chaque jour depuis novembre 2019, Half-Life a droit à un retour au Source. Au moteur Source. Réinvention de l'épisode initial datant de 1998, Black Mesa est un remake de fans qui cherchent depuis 2005 à proposer la meilleure version possible des aventures de Gordon Freeman. Cela a pris du temps. Mais cela en valait la peine.
Toute personne ayant un minimum d'intérêt pour le jeu vidéo le connaît. Même sans avoir joué à Half-Life, sans avoir croisé une fois le regard de G-Man, on sait qui est Gordon Freeman, scientifique dont une journée de boulot banale dans le complexe de recherches de Black Mesa va se transformer en un enchaînement d'emmerdes suite à une expérience qui a mal tourné. On n'ignore pas que le FPS de Valve fait partie des meilleurs jeux de tous les temps, qu'il est un véritable influenceur, si l'on reprend le langage moderne, pour tous les jeux de tir en vue subjective qui sont sortis par la suite. Un jeu avare en mots mais éloquent par sa narration environnementale et qui, après sa séquence d'exposition déroutante et mythique va dérouler, sans cinématiques, en laissant le joueur tout vivre à travers les yeux de son héros muet, une expérience d'une incroyable interactivité, organique, inventive et parfaitement rythmée (grâce à des scripts savamment installés), naviguant entre action, réflexion, plate-forme et survie.
J'ai beau être matinal, G-Man
Cela dit, un rafraîchissement de la mémoire ne fait pas de mal. L'original, jouable gratuitement jusqu'à la sortie de Half-Life : Alyx ? Un beau moment de rétrograming qui a, néanmoins, pris un sacré coup de vieux. Alors pourquoi pas une mise à jour signée par des fans acharnés, à qui Valve a donné le feu vert pour une version commerciale après le succès d'un mod débordant d'amour ? Mais d'abord, pourquoi ? Après tout, ce n'est pas parce que l'on prétend connaître quelque chose sur les bout des doigts que l'on devient soi-même un artisan de génie. Crowbar Collective, regroupement de joueurs éparpillés à travers le monde devenu studio à part entière, a, en attendant, relevé le défi avec maestria.
Sur le plan technique, en dépit des limitations du moteur Source, loin des environnements de développement actuels, si l'on n'est pas trop grincheux et regardant sur les bugs, on constate que le travail abattu sur les textures, modélisations, animations et effets de lumière est phénoménal. Loin de se contenter d'une simple évolution visuelle, les développeurs ont conféré un supplément d'âme et de crédibilité au complexe de Black Mesa. La remise à l'échelle des laboratoires, hangars et autres garages, les multiples détails inédits, quelques rencontres et dialogues (en anglais, avec des sous-titres trop petits et trop souvent aux fraises) et les aménagements inattendus de certaines sections, pour mieux gérer le tempo ou la façon dont on récupère un peu d'énergie ou de bouclier pour sa combinaison via des stations de recharge redessinées, brouillent un peu notre mémoire tout en conférant au tout une structure toujours aussi intéressante. Sans parler de la superbe pêche d'un arsenal bien varié, des sons et musiques tout à fait immersifs. Le premier Half-Life peut être pertinent en 2020. On en a ici la preuve, alors que l'on reste scotché à la souris et au clavier, à profiter d'un feeling FPS indémodable et de quelques puzzles simples, chahuté par le moindre bruit et le moindre saut, qui peut toujours, par la nature glissante de Freeman, agacer et, plus que jamais, motiver le réflexe de la sauvegarde rapide.
J'm'en cure le Xen
La prouesse de Crowbar Collective ne s'arrête pas à cette simple redécouverte d'une saveur d'autrefois sur laquelle on aurait versé quelques épices de die and retry - pour les plus bourrins. La dernière partie du jeu original, considérée par beaucoup comme son talon d'Achille, a eu droit à une refonte totale. C'est même à cause d'elle que Black Mesa a mis autant de temps à arriver. D'une séquence durant au mieux quelques minutes, on passe à tout un monde dans lequel se perdre largement plus d'une heure. Les quatre derniers chapitres jouables (sur vingt en tout), consacrés à l'escapade de Freeman sur Xen, sont méconnaissables. Les simples tas de rochers flottants se sont mués en des montagnes donnant accès à des panoramas aux couleurs chatoyantes, en des jungles extraterrestres oppressantes, en des cavernes où la simple perception d'un grognement indique qu'il faut détaler au plus vite, en des villages temples où il n'y a pas que des ennemis. Et où l'on sait que d'autres avant nous ont déjà posé les pieds. Un façon assez extraordinaire, spectaculaire aussi, de donner plus corps à l'Odyssée de Freeman, renforcer son univers, mais qui, par moments, traîne un peu longueur, la faut à certains gimmicks un peu trop répétés. Mais vraiment pas de quoi se détourner jusqu'au final, mémorable, qui intervient au bout d'une bonne quinzaine d'heures. Ni même se résoudre à ce que Valve remise sa licence aux oubliettes dans les prochaines années.