Drôle d'impression au moment de lancer Dragon Quest XI S : annoncé en juillet 2015, le nouvel épisode canonique de la saga préférée des Japonais est historiquement le premier jeu à avoir officiellement été annoncé sur celle qui était encore à l'époque appelée "Nintendo NX". Trois ans et des slimes plus tard, nous voici enfin face à la copie tant attendue.
Un petit rappel contextuel est évidemment nécessaire avant d'entrer dans le vif du sujet : Dragon Quest XI, c'est en plus d'un nouvel épisode de la série ayant donné naissance au genre du J-RPG un véritable cas d'école. Pour la première fois dans sa longue histoire, un Dragon Quest allait sortir sur deux plateformes que tout oppose : la 3DS et la PlayStation 4. Deux consoles (déclinées en collectors pour l'occasion), qui donneront lieu à trois versions du même jeu, en 2D et en 3D, comme si Yuji Horii, vénérable créateur de la saga, n'était pas parvenu à trancher, ou que la symbolique était cette fois trop forte.
Ultime Menace
Nous voici donc revenu en septembre 2019, avec ce portage qui s'enorgueillit d'être l'Edition Ultime, et tente donc de jouer malgré tout la carte de la nouveauté, sur la base d'une aventure datant (déjà) de 2017. Que vous ayez ou non déjà parcouru le monde d'Erdrea, Square Enix a cette fois mis les petits plats dans les grands, histoire que tous les rôlistes trouvent ici une nouvelle raison de craquer. Amputée de la version "chibi-3D" qui restera donc exclusive à la 3DS nippone, cette Edition Ultime combine l'approche 2D tout en pixel avec un portage de la version PlayStation 4.
Dès l'écran titre, il vous faudra donc choisir un peu plus que le traditionnel blase de votre héros mutique : opterez-vous pour une aventure kawai old-school, ou pour une adaptation contemporaine ? Qu'importe, finalement, puisque les indécis ou les plus curieux pourront toujours changer de dimension lors des feux de camps nocturnes. Si la promesse initiale de "changer à la volée" n'est pas tenue en ces termes, vous pourrez tout de même choisir de commencer au début de chaque chapitre, histoire de voir si l'herbe est vraiment plus verte ailleurs.
Symphonic Sweet
Forcément moins éclatante que sur PlayStation 4, on sent la version 3D de Dragon Quest XI parfois à l'étroit sur Switch : moins fin, moins fluide, et peinant régulièrement à afficher des ombres stables, nous avons connu le monde d'Erdrea bien plus accueillant. ET PORTABLE ? Mais les bonus et/ou ajouts sont au final suffisamment nombreux pour que l'on passe assez facilement par-dessus ces quelques considérations techniques. La présence des voix japonaises, d'abord, est une première dans la série, et se demande bien pourquoi : comme nous en discutions il y a peu avec Horii, elles collent parfaitement au character design d'Akira Toriyama, et renforcent forcément l'immersion.
Mais surtout, cette Edition Ultime s'accompagne ENFIN des orchestrations symphoniques des compositions de Koichi Sugiyama, un oubli qui n'avait pas manqué de nous surprendre lors de la sortie occidentale du jeu sur PlayStation 4. Cette injustice est donc cette fois bien réparée, même si les "puristes" pourront toujours opter pour les enregistrements midi originaux. Interprétés par le Tokyo Metropolitan Symphony, ces arrangements symphoniques offrent à Dragon Quest XI un supplément de classe indéniable, même si, malgré tout, on sent comme en 2017 que le vieux compositeur de 88 ans n'a pas fait preuve du même génie qui l'habite d'ordinaire. Sympathique mais franchement pas mémorable au vu des riches antécédents de la série, la bande-son pourra tout de même relever la tête. Le bonus de pré-commande permettant d'opter pour les divines mélodies de Dragon Quest VIII sonne t-il comme un aveu ? Nous vous laisserons seuls juges. Enfin, dans les ajouts inédits à cette ressortie, les plus cramés du bulbe pourront s'offrir un ou plusieurs handicaps grâce aux Quêtes Draconiennes, qui vous empêcheront par exemple de pouvoir acheter des pièces d'équipement ou de lancer des sorts.
Dis leur que j'ai pas le temps
Se lancer dans Dragon Quest XI S en optant pour la 2D, c'est découvrir une toute autre facette de l'aventure, une histoire simple, aux ficelles connues, qui file à 100 à l'heure sur l'autoroute du pixel art. Soucieux d'offrir aux vieux nostalgiques qui suivent la série depuis ses débuts une expérience résolument à l'ancienne, le ton serait presque métamorphosé, offrant ainsi une raison toute trouvée de recommencer l'aventure si vous l'aviez par ailleurs déjà bouclée. Les scènes d'exposition, les dialogues, les cut-scenes qui prennent tout leur temps dans la version 3D sont ici expédiées en deux sauts sur place et autant de lignes de textes, laissant comme à l'époque aux joueurs le soin de s'imaginer le détail des travers intérieurs qui déchirent notre petite équipe. Quitte à complètement zapper certains moments avec un fondu au noir, ce qui pourra à juste titre surprendre. Mais le plus étonnant, c'est qu'une poignée de séquences iront directement piocher dans la version 3D de Dragon Quest XI pour faire avancer l'histoire : l'introduction du jeu ou encore la fameuse course de chevaux de Gallopolis (rendue plus facile suite aux retours négatifs des joueurs nippons) en sont quelques exemples. Vous avez dit "bizarre" ?
Ancienne école oblige, les ennemis autrefois visibles sur la world map disparaissent au profit d'une bonne vieille mécanique de rencontre aléatoire, et l'interface revient à des bases rudimentaires, quitte à rendre l'hexagramme un peu moins facile d'accès. La nouvelle indication qui vous permettait de savoir qu'un boss allait bientôt finir par trépasser est également mise de côté, pour entretenir un suspens moindre dans la version originale. Les combats s'enchaînent en revanche à la vitesse de l'éclair, et Yuji Horii ne nous avait pas menti : l'équilibre de cette version 2D est effectivement différent de son pendant tridimensionnel. Points d'expérience, difficulté, tout est ici rebrassé, afin de permettre à chacun des deux rythmes de profiter de ses spécificités. L'exploration des villes en pixels et résolutions des sous-quêtes s'effectuent en deux temps trois mouvements, là où la des bourgades polygonées demandent de gravir nombre d'échelles et autres toits en tous genres, obligeant le jour méticuleux (à raison, dans un Dragon Quest) à y passer bien plus de temps. En revanche, il faut reconnaître que les différentes villes et contrées semblent parfois avoir été expédiées en 2D, faisant perdre de leurs superbes à des lieux comme Gallopolis et son désert, pour ne citer qu'eux. Pour ceux qui recherchent plutôt l'entertainment, la version 3D, malgré ses limitations techniques, s'impose.
Extreme Makeover : Dragon Quest Edition
L'approche old school héritée des débuts de la série fera évidemment l'impasse sur les voix, qu'elles soient anglaises ou japonaises, mais le jeu vous proposera tout de même d'opter pour les réorchestrations symphoniques suscitées, quitte à accoucher d'un mélange visuel et sonore entre deux époques. En revanche, l'intégralité des musiques n'ont étonnamment pas fait l'objet de ce travail, et on s'étonnera donc parfois de revenir sans l'avoir demander aux versions midi chères au coeur des joueurs nippons. Ça, et le jingle qui vient accompagner l'arrivée d'un nouveau compagnon de route. Les puristes seront évidemment ravis de constater que les historiques bruitages sont évidemment toujours là, et les nouveaux venus s'enthousiasmeront de la présence d'une fonction d'aide (désactivable à l'envi) qui vous garantira de ne jamais être perdu dans ce vaste monde.
Jouer à Dragon Quest XI dans ses deux versions, c'est aussi constater que l'aventure a sans doute été pensée en trois dimensions avant de faire l'objet d'une sorte de demake cher à Internet : certains lieux sont parfois à peine reconnaissables, et la quantité d'items à récupérer absolument partout aura obligé les développeurs à intégrer sur la world map nombre de clairières "cachées" (à la The Adventure of Link, pour ceux qui ont souffert), histoire d'équilibrer cette collecte. Mais l'approche 2D, en plus de bénéficier d'un charme aussi désuet que délicieux, presque anachronique, c'est aussi l'occasion de profiter des quêtes nostalgiques offertes à Chronopolis, dans lequel votre joyeuse troupe voyagera dans le temps pour porter secours à tous les anciens épisodes numérotés de Dragon Quest. Un bonus forcément alléchant, qui reprend les thèmes originaux de Koichi Sugiyama, histoire de brosser les fans dans le sens du poil. Même si ces expériences se cantonnent trop souvent à de bien petites zones (parfois une unique pièce !), elles permettent de revivre quelques moments choisis qui boostent un peu une aventure en 2D plus expéditive. Quant à savoir si les plus téméraires pourront également télécharger Dragon Quest premier du nom, il faudra d'abord pousser jusqu'au bout du endgame, que l'on sait par nature chronophage...