Débuté en tant que portage portable et monochrome d'A Link to the Past avant de prendre la forme d'une aventure originale, The Legend of Zelda : Link's Awakening garde une place particulière dans la saga et le coeur de nombreux fans. L'annonce de son retour, sur Switch, remis au goût du jour visuellement, a vite suscité une certaine excitation, ravivé de fantastiques souvenirs. Et soulevé une interrogation majeure : ce classique parmi les classiques a-t-il résisté à l'épreuve du temps ?
La faute aux tourments d'un dérèglement climatique qu'il faudra bien que Zelda prenne au sérieux au lieu de favoriser certains lobbies, comme il lui répète chaque jour, Link se trouve bien embêté au moment de boucler son tour du monde à la voile en solitaire et regagner ses pénates. Après avoir essuyé une tempête biblique qui a réduit son embarcation en miettes, le voilà loin d'Hyrule, échoué sur l'île de Cocolint. L'endroit est charmant, les habitants - quoiqu'un peu bizarres - avenants. Mais entre deux mojitos, une question survient. Comment part-on de cet endroit ? C'est là le problème. Aucun transport. Il n'existe qu'une seule solution : réveiller le Poisson-Rêve, maître des parages sommeillant dans son oeuf, en haut d'une montagne. Comment s'y prendre ? En réunissant huit instruments de musique qui s'accorderont pour jouer la mélodie libératrice. Soit autant de tanières piégées et truffées de monstres à nettoyer.
Souvenir de Marine
Pas d'Hyrule, pas de princesse, pas de Ganon, pas de Triforce. Cela n'empêche pas la quête de demeurer on ne peut plus fidèle à la formule des Zelda en 2D et vue aérienne (avec de rares passages plate-forme en vue de côté). Basique, pourrait-on convenir, alors que l'on s'étonne que seules huit directions sont appliquées en tripotant le stick analogique, conférant une légère rigidité aux animations de notre héros aux grandes oreilles. Mais totalement efficient. La terre à arpenter, qu'on pourrait croire de prime abord minuscule, nous aspire pendant de nombreuses heures qu'on ne voit guère défiler. La construction de l'île et des donjons dont il faut triompher offre une exploration gratifiante, plongeant dans un état d'émerveillement quasi-permanent. On avance dans une direction suggérée brièvement par un mystérieux hibou ou le très téléphonophile Pépé le Ramollo, rencontrant des obstacles ou des butins inaccessibles pour lequel sera requis un objet ou une compétence spécifique. On trouve. On réfléchit. On applique. On s'émeut.
De la quête des clés ou des ouvertures des huit dédales à arpenter jusqu'à la récupération de coquillages (dont le nombre total a plus que doublé, tiens, bon courage aux complétistes) débloquant notamment une lame plus puissante, en passant la traque des réceptacles de coeurs et la longue chaîne de troc, et tout un tas d'autres secrets, les découvertes ne manquent pas. Les utilisations intelligentes des items, dans leur grande majorité des classiques de la série, non plus. Les acquisitions du bouclier, de la plume (pour bondir à l'envi), de la poudre magique, du grappin, de l'arc, des palmes ou encore de l'Ocarina débouchent toujours sur de nouvelles voies et des emplois malins. Avec parfois des combinaisons. Sans overdose. Juste ce qu'il faut pour que l'on y pense quand il le faut. Pour une courbe de progression assez parfaite. Que cela soit dans la fouille de chaque zone et de donjons de plus en plus astucieux et tordus ou le combat, en particulier face à des boss eux aussi très intelligemment conçus, sans se montrer insurmontables car bien calés sur notre cheminement en termes de résistance, impossible de voir de vrais signes de paresse de game design. Il y a tellement à faire et à discerner sans aucun sentiment de frustration ou de lassitude. Plus de vingt-cinq ans plus tard, le génie de Link's Awakening reste intact. Et peut-être un peu simple pour les plus aguerris, qui seront servis par un mode qualifié d'héroïque rehaussant la difficulté à leur convenance - à base de dégâts subis doublés et d'absence de petits coeurs apparaissant aléatoirement. Des fois que.
Ainsi soit-île
Il y a bien des retouches ici et là par rapport à l'original et sa réédition sur Game Boy Color - dont le Donjon des Couleurs, beaucoup trop simple, a fait le voyage. Elles se révèlent assez mineures mais perceptibles. En premier lieu, en extérieur, on relève la fin du découpage par écran, permettant une exploration fluide et sans temps d'arrêt - ce qui n'est pas le cas des intérieurs, pour des besoins de cohérence vis-à-vis de la conquête des lieux et de certaines mécaniques cloisonnées. La carte globale, forcément plus lisible et détaillée, qui masque les régions inexplorées, autorise même un zoom des plus utiles pour les mémoires qui flanchent et le marquage des points d'intérêt. Bienvenue dans la modernité.
Au même chapitre, les connaisseurs affectionneront aussi l'aménagement des boutons, autorisant l'utilisation des tranches pour dresser le bouclier ou courir et l'assignation des objets sur X et Y... Mais peut-être pas l'obligation de passer par la pause pour se retrouver à manipuler son inventaire. Un changement à la volée à l'aide de la croix directionnelle ou à l'aide d'un menu radial n'aurait pas dénaturé l'expérience. On s'en contentera. Certaines distractions se sont aussi musclées, comme la pêche ou le mini-jeu d'attrape-peluches soumis à une physique qui peut faire s'échapper certaines collectes. On n'y passera pas trop de temps, se contentant des grosses prises, mais la diversité, c'est toujours agréable.
Zelda m'écoeure ?
Le plus gros apport est annexe. Il s'agit du remplacement de la petite souris mordue de photos (imprimables via Game Boy Printer) de Link's Awakening DX par Igor. Le fossoyeur apparu pour la première fois dans Ocarina of Time se dégote un nouveau rôle : collectionneur de carreaux représentant des pièces de donjons arpentées auparavant. Il vous propose de créer les vôtres et de les vaincre. Avec conditions pour un tutoriel récompensé ou librement. Les premières esquisses d'un Zelda Maker tant souhaité ? Pas vraiment.
Là où on s'imaginait déjà faire marcher notre créativité à plein régime, placer des monstres et des casse-tête vicieux, on se retrouve avec des pièces déjà croisées, déjà prêtes, dans lesquelles on ne peut strictement rien agencer. Les coffres révéleront un contenu aléatoire, sauf le dernier ouvert, forcément consacré au sésame amenant au boss. Très simple d'accès mais parfaitement dispensable. Tout comme l'usage des amiibo. Seuls ceux liés à Zelda sont compatibles et ne servent qu'à sauvegarder et transporter son "oeuvre" pour la partager sur la console d'un proche. Celui du Link conçu pour le jeu Switch ne fait quant à lui qu'apporter la présence de son double maléfique à notre fabrication.
J'suis qu'un gosse !
La bonne bouille de cet amiibo, représentation parfaite de notre protagoniste, parlons-en. Parlons de l'approche artistique de ce revival, en fait. Plutôt que de reprendre une esthétique déjà éprouvée, le firme de Kyoto et Grezzo ont opté pour une nouvelle. De la 3D toute colorée, très enfantine, très jouet, très Manège Enchanté. Elle a conquis dès les premières images et constitue assurément le point d'accroche de Link's Awakening Switch, le prétexte idéal pour y retourner. Et succomber. On apprécie la visite de chaque région, dont la végétation et les cours d'eaux semblent presque danser. Les tonalités changeantes, notamment du côté de l'étrange flou encerclant l'image, apportent un plus côté atmosphère et aident même à se repérer. D'une pierre deux coups. Dommage néanmoins que le frame rate fasse un peu de yo-yo lors de certains déplacements et lorsque la lucarne affiche un peu trop d'éléments, d'effets de lumière ou de réflexion, aussi bien en mode portable que docké - sans que cela ait de répercussions dramatiques, heureusement.
Ce qui est sûr, c'est qu'on fondrait presque devant l'allure des habitants du village des Mouettes ou des Animaux. Les personnages croisés sont tous adorables, farfelus, et les monstres aussi joliment redessinés, avec juste ce qu'il faut d'inquiétant et de grotesque dans leurs traits. Ajoutez à cela les clins d'oeil amusants à d'autres licences de Big N, une traduction française toujours aussi fantasque - mais qui s'est séparée de certaines spécificités, passées à la postérité, apportées par Véronique Chantel -, et l'on achève de vous tranquilliser sur le fait que les fondations, la vision, l'atmosphère particulière du plus onirique et romantique des épisodes de la saga sont respectées. Dernier mot pour les musiques qui ont elles aussi bénéficié d'une modernisation de bon aloi, avec des réorchestrations plus organiques où s'entremêlent de façon très intime violon, flûte traversière, alto, violoncelle ou encore basson, qui du vénérable thème principal à la Ballade du Poisson-Rêve, auront bien du mal à disparaître de votre esprit.