Après avoir nourri les espoirs et les craintes de millions de joueurs à travers la planète, le dernier chapitre des aventures de Sora s'offre enfin à nous, cinq ans et demi après son annonce. A bien des égards, il paraît impossible pour Tetsuya Nomura, Tai Yasue et leur équipe de combler les attentes de tous les fans, tant est considérable leur envie de replonger dans cet univers et d'en découdre une bonne fois pour toutes avec Xehanort. Et pourtant, il se pourrait bien que ce soit à eux avant tout que s'adresse ce Kingdom Hearts III.
A la fin de l'épisode précédent, Sora apprend qu'il doit retrouver ses pouvoirs et acquérir celui de l'éveil, seul capable de sauver ses amis en perdition. Il est pour cela envoyé sur la piste d'un héros ayant connu la même mésaventure par le passé, un certain Hercule...
Endgame
Après une sublime vidéo d'introduction au son du Face my Fears d'Utada remixé par Skrillex (ugh...) et un petit passage par le traditionnel palier de l'éveil faisant office de didacticiel, nous retrouvons Sora, flanqué de ses compagnons de toujours Donald et Dingo, faisant cap sur le monde du Mont Olympe (issu du film d'animation Hercule). Ils y découvrent une Thèbes en proie à un chaos provoqué par le bouillant Hadès. De leur côté, Riku et Mickey se lancent à la recherche d'Aqua, égarée dans le Domaine des ténèbres depuis plus de dix ans. Pendant ce temps, Xehanort et ses sbires tentent de réunir les treize réceptacles des ténèbres nécessaires à son plan visant à provoquer une nouvelle Guerre des Keyblades et à forger la X-blade.
Si vous êtes déjà largués, autant vous le dire tout de suite : vous risquez de bisquer souvent avec ce Kingdom Hearts III . On pouvait s'en douter avec la parution des compilations des précédents épisodes ces dernières années, mais on a maintenant la confirmation que ce dernier chapitre des aventures de Sora s'adresse avant tout à ceux qui suivent la saga depuis ses débuts. Fort heureusement, un effort de pédagogie est fait avec la présence de courtes vidéos récapitulatives accessibles via le menu ainsi que la multiplication de scènes qui rappellent les enjeux en cours tout en les faisant progresser. Ces dernières ralentissent parfois le rythme de l'aventure mais s'avèrent pourtant cruciales à la compréhension de l'intrigue, surtout pour ceux qui prennent le train en marche.
Reconnect
A ce sujet, on peut noter que la mise en scène durant les cutscenes bénéficie d'un plus grand soin que par le passé, avec des réactions plus réalistes - on reste dans quelque chose de très anime tout de même - ainsi qu'un travail sur les différentes émotions véhiculées par les personnages. De plus, la transition entre certaines cutscenes et les phases d'exploration et de combat se fait naturellement, sans coupure comme c'était systématiquement le cas auparavant. Toujours dans cette idée de proposer un jeu plus organique, les commentaires pendant les phases d'exploration font leur apparition, avec Donald et Dingo notamment qui commentent régulièrement ce qu'ils voient ou avertissent Sora de la présence d'un item caché.
Reconnect étant le mot d'ordre de cet épisode, toutes les intrigues développées jusqu'à présent trouvent leur point de convergence avec ce Kingdom Hearts III. Aucune question n'est laissée sans réponse (quasiment) et chaque scène, chaque personnage trouvent ici son utilité - hormis peut-être Maléfique et Pat, sans doute de trop dans cette aventure. Ainsi, et cela n'a pas toujours été le cas par le passé, chaque visite d'un monde Disney est justifiée par l'intérêt que la bande à Xehanort y porte.
A Whole New World
Moins nombreux que dans les précédents épisodes majeurs, les mondes Disney présentent la particularité d'être très variés au niveau du level design, avec un facteur commun : des zones plus espacées et moins linéaires. Ainsi, le monde de Toy Story s'apparente pour 90% à une gigantesque zone explorable, une sorte de "monde ouvert", tandis que celui de La Reine des Neiges s'avère plus classique, avec une succession de zones plus ouvertes mais néanmoins cloisonnées à la God of War, pour citer un exemple récent. Ces mondes regorgent de passages secrets avec des coffres à dénicher, ainsi que de petites activités annexes propres à chacun d'entre eux, comme le contrôle de méchas (combat) ou la luge (exploration) pour les deux mondes précités. On peut regretter au passage l'omniprésence dans certains mondes de parois en surbrillance qui servent à indiquer celles qui sont en mesure d'être gravies par Sora grâce au mode fluidité mais qui sont susceptibles de nuire à l'immersion du joueur.
Dans l'ensemble, le travail effectué sur les mondes Disney témoigne d'un véritable respect du matériau d'origine, et notamment en ce qui concerne les personnages, très proches dans leur comportement et leurs motivations de ceux dont ils sont tirés. Pour toutes ces raisons, le Royaume de Corona (issu du film Raiponce) est peut-être celui qui tire le plus son épingle du jeu selon moi, avec un réel plaisir dans l'exploration, un rythme soutenu de la narration et un travail remarquable sur la fidélité des personnages. Notons d'ailleurs que cet épisode présente (enfin) des PNJ figurants - certes pour la plupart muets - dans ses zones habitées ! Une banalité pour la plupart des jeux, une nouveauté pour la série Kingdom Hearts.
Beau comme un Pixar
Se calquant sur les films dont elle est inspirée, la direction artistique est globalement très réussie, même si la cohabitation d'univers très bigarrés et chatoyants avec des mondes plus réalistes et sombres peut étonner. Ceux qui s'en sortent le mieux sont naturellement les mondes issus de films en animation 3D, avec des personnages de Toy Story ou de Raiponce très proches de leurs modèles cinéma, mais également celui du film live Pirates des Caraïbes, qui présente un Davy Jones criant de vérité. Malheureusement, le monde de Winnie l'Ourson fait littéralement tache tant les modèles et les décors accusent une bonne décennie de retard sur le plan technique. Sur cet aspect justement, notons une certaine fluidité du jeu dans l'ensemble, hormis à de rares occasions au sortir du menu ou lorsque de très nombreux ennemis vous assaillent.
Élaborée comme depuis Birth by Sleep avec le concours de Tsuyoshi Sekito et Takeharu Ishimoto, la bande son de Yoko Shimomura parvient à s'imposer comme l'une de ses plus grandes réalisations. Si l'on sent bien quelles ont été les pistes déléguées aux deux bonhommes, celles de Shimomura se démarquent par l'accent mis sur l'épique et le retour d'anciennes mélodies remises au goût du jour. Dans l'ensemble, les sons typiquement synthétiques disparaissent au profit d'une bande originale plus orchestrale, plus cinématographique, plus grandiose.
Toujours sur le département sonore, et puisqu'on n'y coupera pas : non, Kingdom Hearts III ne propose pas de doublage français. Le doublage anglais remplit toutefois très bien son office, avec la présence remarquée de Rutger Hauer, qui remplace au pied levé le regretté Leonard Nimoy pour prêter sa voix au ténébreux Xehanort.
L'embarras du choix
C'est peut-être ce qui m'avait le plus marqué lors de mon premier contact avec le jeu en mai de l'année dernière : le nombre assez incroyable de possibilités de gameplay lors des affrontements et qui confinerait presque à l'overdose. Heureusement, et comme l'on pouvait s'en douter, l'apprentissage de ces différentes facettes du combat se fait de manière progressive au cours du jeu. Ainsi, il est possible d'attaquer, de lancer des sorts et des objets, de se servir du tir visé permettant d'atteindre plusieurs ennemis en même temps, d'utiliser les coopérations (attaques combinées avec d'autres personnages) et d'invoquer des compagnons tels que Ralph (du Monde de Ralph) ou Ariel (de La Petite Sirène) grâce aux liens permis par les Rapproche-coeur. A cela s'ajoutent les traditionnelles compétences actives (combos, parades...) et passives (double saut, booster magique...) qui s'engrangent au fil des niveaux et qui peuvent être activées en fonction des PC (Points de Compétence) disponibles par perso.
En plus de ces éléments que l'on retrouve dans divers épisodes précédents s'ajoute une nouvelle trouvaille : la possibilité de faire appel aux attractions, comme le Bateau pirate ou les Tasses folles, directement héritées de celles que l'on retrouve dans les parcs Disney. Ces attractions sont l'occasion d'un véritable spectacle de sons et lumière, très efficace sur les ennemis, au détriment parfois de la lisibilité des combats quand elles sont déclenchées dans des espaces confinés.
Keyblade Master
Mais la nouveauté de gameplay qui a mon sens emportera l'adhésion de tous les joueurs, c'est la possibilité de porter trois Keyblade en même temps et d'alterner entre elles en plein combat. Plus qu'une simple variante esthétique et sonore (les bruitages diffèrent sensiblement selon la Keyblade exploitée), chaque Keyblade peut évoluer en une, voire deux autres formes quand on tabasse suffisamment d'ennemis d'affilée. Ainsi, la Keyblade issue du monde de Monstres et Cie peut se transformer en une paire de griffes mécaniques plus efficaces puis en une paire de yo-yos permettant d'atteindre des ennemis éloignés. Au-delà de cette forme, il est dès lors possible d'activer un coup de grâce dévastateur sur les Sans-coeurs ou Similis alentours. Cette mécanique de gameplay ne réinvente pas la façon d'aborder les affrontements mais procure un plaisir de jeu immédiat et varié, selon que l'on utilise telle ou telle Keyblade.
Une fois leurs conditions remplies, les coopérations, les attractions et les changements de forme de Keyblade sont rendues disponibles mais uniquement pendant un laps de temps limité, lequel s'affiche juste au-dessus du menu de combat. Toutes ces possibilités de gameplay peuvent se cumuler et il appartient alors au joueur d'enclencher celles qui l'intéressent, en navigant entre elles. Dès lors, si on pouvait craindre un surdosage à ce niveau-là, il est tout à fait possible de ne s'en tenir qu'à une approche plus traditionnelle de l'affrontement, à base de combos et de magies, sans jamais faire appel aux coopérations ou aux attractions. A l'exception peut-être des combats de boss, plus ardus forcément et dont la mise en scène tutoie les sommets de la série.
Game and Watch
Très tôt dans l'aventure est mis à la disposition de Sora un Gummiphone, sorte de tablette remplaçant le carnet de Jiminy et qui permet à ce dernier de consigner une nouvelle fois son voyage. On y retrouve de nombreuses pages explicatives sur les points sensibles de l'intrigue à destination du joueur ainsi que des fiches de personnages, des résumés, la liste des coffres à dénicher par monde etc... Ce Gummiphone, c'est l'occasion pour Sora de prendre en photo les lieux traversés, mais également les Emblèmes fétiches, petites têtes de Mickey disséminées partout dans le jeu et dont l'obtention est nécessaire au visionnage de la scène finale cachée, indisponible lors de la rédaction de ce test.
En plus de la recherche de ces emblèmes, le joueur pourra dévier de la quête principale afin de dénicher les matériaux pour l'amélioration des armes et de l'équipement ainsi que les ingrédients nécessaires à la confection de plats. Donnant lieu à de petites séquences de gameplay amusantes en compagnie de Rémy de Ratatouille, ces plats octroient au joueur des bonus de stats temporaires pour les combats à venir. Évoquons également le cas des sympathiques mais anecdotiques mini-jeux du Royaume classique, inspirés des vénérables Game & Watch de Nintendo. Au nombre de vingt-trois, ces mini-jeux sont à débusquer dans les recoins cachés des mondes.
Gummitigé
J'ai évité de le mentionner jusque-là mais la bête noire de la saga est de retour, j'ai nommé : le vaisseau Gummi. Après nous avoir promis une nouvelle approche des séquences en Gummi dans cet épisode, qu'en est-il réellement ? Celles-ci se divisent désormais en deux phases : la phase d'exploration et la phase de combat. La première voit notre vaisseau Gummi s'émanciper enfin des couloirs invisibles dans lesquels il semblait être condamné pour voguer librement dans l'Océan du Milieu, vaste espace qui sépare les mondes. Le joueur peut alors décider ou non de rejoindre directement les mondes qui l'intéressent ou de se ruer sur un ennemi, ce qui ouvre sur la phase de combat, plus proche que jamais de ce que l'on peut voir dans un shoot'em up traditionnel avec son lot de vaisseaux à abattre et de scoring.
On salue l'effort, mais au vu du caractère parfois injouable et franchement inintéressant des phases d'exploration en Gummi, auquel on ajoute l'amélioration du vaisseau sur lequel personne ne s'attardera, on se demande si on n'aurait pas pu s'en passer définitivement tant ça n'occupe, en plus, qu'une infime partie du titre.
La fin d'un voyage
Au final, comptez une trentaine d'heures de jeu si vous filez en ligne droite, soit à peu près l'équivalent des deux épisodes numérotés précédents. Ajoutez à cela toutes les quêtes annexes et les défis à réaliser et vous pouvez bien faire porter ce nombre à cinquante.
Impossible enfin de conclure la rédaction de ce test sans évoquer la fin du jeu, dont je me garderai de dévoiler le moindre élément de l'intrigue ici. Occupant cinq bonnes heures, la dernière ligne droite de Kingdom Hearts III constitue tout simplement l'apogée de toute la saga. Forte de séquences à la fois chargées en émotions, en moments épiques et en poésie, cette dernière partie transcende l'expérience du joueur, mais plus encore celle du fan.
Car oui, cet ultime épisode de la quête de Sora se présente comme un véritable hommage aux fans, à ceux qui sont là depuis le début et qui ont persévéré, épisode après épisode, et ce malgré les circonvolutions de l'intrigue qui trouve ici, enfin, sa résolution. Une séquence notamment leur est intégralement dédiée, égratignant pour la première fois dans la série le quatrième mur. Le leitmotiv Reconnect prend alors tout son sens puisqu'il ne fait plus seulement référence à la quête de Sora pour rétablir les liens avec ceux qui se sont égarés mais il permet à Tetsuya Nomura et à toute son équipe de signifier aux fans que par leur soutien et leur dévouement à cette saga depuis presque dix-sept ans, ils font partie de ce grand tout qu'est Kingdom Hearts.