Fréquentes mais discrètes, c'est à Activision et son studio québécois Beenox que l'on devait les dernières aventures sur consoles et PC de l'Homme-Araignée. En 2016, alors qu'au cinéma Spidey rejoignait ses collègues Avengers chez Marvel Studios, Sony fit son show avec le super-héros, dévoilant lors de l'E3 son exclusivité PS4 développée cette fois par Insomniac Games : Marvel's Spider-Man. Un blockbuster du jeu vidéo qui possède les qualités mais aussi certains des défauts inhérents à ce genre productions, accentués ici par un manque d'originalité.
Le chemin était déjà tracé, la nouvelle référence établie par un autre justicier masqué, de chez DC celui-là. En 2009, avec Batman : Arkham Asylum, puis trois autres jeux de la même série au fil des années, Rocksteady redéfinit la manière d'incarner le Chevalier Noir, offrant une formule efficace, clefs en main, pour qui souhaiterait la décliner. Ce fut le cas, par exemple, avec Captain America : Super Soldier, les jeux Spider-Man de Beenox et donc... ce Marvel's Spider-Man. Étudiée, assimilée et reproduite par Insomniac, la méthode Arkham est maîtrisée, marche toujours pour qui l'aurait déjà appréciée à Gotham mais - et c'est ce qui déçoit après plusieurs heures de jeu - n'est ici pas vraiment sublimée. Qu'importe, dans les premiers instants, la plongée dans New York depuis la cime des buildings permet d'abord de s'émerveiller des capacités de l'Araignée et des qualités techniques et plastiques du jeu.
Des toiles dans les yeux
Car comme l'arachnide qui monte et descend sur son fil, l'enthousiasme n'est jamais à l'équilibre à propos de Marvel's Spider-Man mais varie au rythme de ce qui nous est donné à jouer. Indubitablement, incarner l'Araignée dans ce qu'elle a de plus acrobatique et virevoltante constitue l'un des plaisirs immédiat de ce AAA qui propose un terrain de jeu formidable avec l'île de Manhattan (reproduite à l'identique de la réalité, mais agrémentée de la tour des Avengers et autres QG Oscorp). D'abord car Spider-Man répond au doigt et à l'oeil, procurant des sensations qui relèvent bien vite de l'instinct, tant il est facile de se balancer d'un immeuble à un autre, après avoir couru sur la façade vitrée d'un 50e étage pour ensuite se propulser dans les airs grâce à sa toile arachnéenne. Elle est poétique cette expérience qui donne à incarner le Tisseur dans ce qu'il y a de plus grisant avec ses capacités, cette faculté à dompter la jungle de béton et d'acier par des déplacements surnaturels, en triple Axel à des hauteurs vertigineuses. La ville est belle, surtout au crépuscule, et constitue un terrain de jeu formidable.
Un éléphant qui se balançait...
Malheureusement, c'est au service d'une intrigue et de missions insipides qu'on joue l'acrobate dans la majeure première partie du jeu. En premier lieu car si le récit est ici inédit, il ne propose pas une aventure de Spider-Man très prenante. Elle est même carrément barbante. Quel dommage, alors qu'il ne s'agit pas ici d'une adaptation, qu'on se retrouve avec des incarnations de Peter Parker, sa tante May et le panthéon habituel de vilains, aussi classiques, peu inspirés. En dehors des clous, on devra tout juste se contenter d'une Mary-Jane Watson, pugnace journaliste, un peu plus développée et donc charismatique qu'à l'accoutumée, et d'un mentor inhabituel pour Peter. Mais ce ne sont pas seulement les cinématiques avec cet ennuyeux Parker qu'on a envie de passer, mais aussi les puzzles déjà-joués cent fois ailleurs, proposés lors de petites missions scientifiques. Tout comme les phases d'infiltration avec l'amie Mary-Jane, pensées évidemment comme un moyen de varier les plaisirs, mais qui deviennent vite une corvée tant elles s'apparentent à une formalité téléguidée, au regard de l'intelligence artificielle très limitée des ennemis. Qualité et défaut du blockbuster donc qui, s'il propose une plastique et une technique époustouflantes, sonne souvent creux dans son récit et ses enjeux, pourtant carburant de l'implication du joueur. Evidemment, plus petit sera l'âge de celle ou celui devant l'écran, plus on sera enclin à adhérer audit récit, sempiternelle origin story (pas du héros heureusement, quoique, rendez-vous au prochain jeu...) et vains mystères autour d'un méchant de façade qui peine à délivrer un semblant de charisme malgré ses immenses pouvoirs.
Alors que dix années sont passées depuis la sortie du premier Batman Arkhman et ses suites, il est légitime d'exiger plus de sophistication dans les missions et l'intrigue d'une formule copiée-collée. D'autant que le déroulement des journées imposé par le récit (il n'y a pas de cycle jour-nuit), rend encore plus apparentes les ficelles d'une narration qu'on n'imagine plus trouver dans des jeux récents de cette envergure. Elle n'offre pas la possibilité de donner un supplément d'âme à New York, magnifique terrain de jeu dont on prendra plaisir à photographier les monuments avec Spidey accroupi au sommet, entre chien et loup, mais artificiel, malgré les saluts des passants, les jolis graffitis et quelques références à l'univers Marvel glissées ici et là. Proposer par exemple des rendez-vous à heure fixe aurait été un moyen facile mais efficace de donner l'impression que des vies s'animent dans la citée sans l'entremise du héros. D'autant que les innombrables lignes de dialogue du jeu, très bavard, à l'image du Tisseur, constituent déjà un pan important et réussi pour l'immersion. On notera avec satisfaction que le jeu est intégralement doublé en V.F., moins de devoir changer la langue de la console pour passer en VO, une fonction qu'on aurait imaginé disponible "à la volée".
Araignée du matin et du soir
Et dans ce même mouvement de balancier entre déception et enthousiasme, Marvel's Spider-Man prend une autre ampleur à peu près au deux-tiers du jeu. Comme si Insomniac avait enfin décidé à ce stade de débrider une histoire et des idées retenues jusqu'ici pour faire gonfler la durée de vie. Ça fait long, mais ça vaut le coup ! Déjà parce que la grande carte de Manhattan se colore de nombreux nouveaux points au moment où la trame s'obscurcit, pour autant de missions qui se diversifient encore entre infiltration, combats de mêlée, poursuite aérienne, désactivation de bombes, donnant alors de quoi satisfaire les appétits de défis variés et de collection, sans rien réinventer mais en le faisant bien. L'intérêt de s'écarter du chemin balisé de l'histoire principale réside essentiellement dans la possibilité de gagner de nombreuses tenues de Spider-Man, issues des comics comme des films, et de multiples gadgets qui n'ont rien à envier à ceux de Bruce Wayne. Si toutes les propositions ne sont pas savoureuses, au moins le menu est généreux. Et même des idées sous-exploitées jusqu'ici, comme le fait d'incarner un autre personnage, prennent une ampleur nouvelle par le simple ajout d'une bonne idée : utiliser Spider-Man comme une arme répondant à ses indications, alors que dépourvu de super-pouvoirs on doit rester discret et permet ainsi à celle ou celui qui l'incarne de se rappeler du caractère sensationnel d'un personnage comme l'Araignée, et pourquoi il est si satisfaisant de se glisser dans son collant.
Des flashs comme ça, il y en a, comme il y a de véritables money shots pour filer l'allégorie du blockbuster, en particulier lors des combats spectaculaires face aux boss dans la dernière partie. Mais sur l'intégralité de l'expérience, ça oscille, c'est tout du long en courant alternatif, là où l'on aurait aimé que la montée se fasse crescendo, sans descendre, jusqu'au dénouement. Au final, on s'amuse beaucoup si, de manière obsessionnelle, on adore nettoyer les missions sur la carte de Manhattan et collectionner tout ce qui peut l'être, mais on s'interroge sur les faiblesses de ce Spider-Man, lui qui pique tout à Batman, pour ne pas le restituer avec une valeur démultipliée au regard du nombre d'années depuis lesquelles la formule Arkham a été répliquée. Gageons que Marvel's Spider-Man 2 saura développer plus de personnalité et un équilibre cette fois mieux maîtrisé...