Il y a une vingtaine d'années encore, peu étaient les jeux de rôles japonais à franchir les frontières de l'archipel pour se loger dans nos machines européennes. L'erreur a depuis été réparée et nombre de titres du genre, parmi les plus convoités, nous parviennent aujourd'hui. Certains nous échappent encore cependant, comme ce fut le cas pour Radiant Historia, jeu de rôle phare de la Nintendo DS applaudi par la critique lors de sa sortie fin 2010, mais qui avait alors boudé le Vieux Continent. Séchez vos larmes, car Atlus a enfin entendu nos prières.
C'est donc sur 3DS, plus de sept ans après sa sortie originale, que Radiant Historia pose ses bagages pour la première fois en Europe, affublé désormais d'un sous-titre qui sent bon l'édition deluxe : Perfect Chronology. Celui-ci nous est servi dans un tout nouvel écrin, comportant son lot d'améliorations et de fonctionnalités inédites.
Retour vers le futur
Mais attardons-nous d'abord sur ce qui fait le sel de tout bon JRPG qui se respecte : l'histoire. Celle-ci prend place dans le continent de Vainqueur, une terre en proie à un phénomène surnaturel dévastateur remontant à plusieurs siècles : la désertification progressive du monde. Dans ce contexte d'apocalypse imminente, les deux nations les plus puissantes de Vainqueur, Alistel et Granorg, se regardent en chiens de faïence et attendent le moment propice pour prendre l'ascendant sur l'autre. Nous prenons donc le contrôle de Stocke, un blondinet taciturne et agent d'Alistel, qui se voit confier une mission de la plus haute importance tandis qu'on lui remet un étrange grimoire dont il ne saisit pas encore l'utilité : le White Chronicle. Suite à l'échec de sa mission et à la disparition prématurée de ses camarades tombés au combat, Stocke se retrouve expédié dans les couloirs d'Historia, une dimension au delà du temps et de l'espace. Il comprend alors que grâce au livre, il pourra remonter le temps et, ayant connaissance du danger à venir, sauver la mise de ses compagnons. Une fois victorieux, il doit par la suite opérer un choix crucial : demeurer agent de renseignement ou rejoindre les rangs de l'armée.
Le titre d'Atlus prend alors une tournure intéressante puisque le White Chronicle permet à notre héros de revenir en arrière dans le temps et naviguer entre les deux différentes lignes temporelles résultant de ce choix. Ainsi, ce sont bien deux histoires parallèles auxquelles le joueur a accès : la Standard History et l'Alternate History. Et là où les choses se corsent, c'est que ces deux timelines sont interdépendantes et ne peuvent se développer que grâce au concours de l'autre. Si Stocke se retrouve coincé dans sa progression à l'intérieur de l'une de ces dimensions, c'est généralement parce qu'il doit acquérir un artefact ou une compétence dans l'autre. Ainsi, le joueur est sans cesse ballotté entre deux narrations différentes et se retrouve témoin des changements découlant de son choix initial.
Si tout ceci vous paraît abscons, soyez sans crainte : la narration de Radiant Historia est telle que le joueur ne se sent jamais véritablement perdu. En effet, tout au long de l'aventure, Stocke est accompagné de Lippti et Téo, ses deux guides dans la compréhension et l'exploitation des pouvoirs du White Chronicle.
Stocke Options
Tout au long du jeu, le joueur est confronté à de nombreux autres dilemmes, plus ou moins essentiels à la progression du scénario. Toutefois, contrairement à l'alternative évoquée plus haut, ces choix ne mènent pas à la création de nouvelles lignes temporelles. Elles ne consistent qu'en de fausses alternatives, où l'une d'elle aboutit irrémédiablement à une impasse scénaristique dont les conséquences nous sont brièvement exposées. Par exemple, le fait de foncer tête baissée vers les ennemis plutôt que d'établir un plan d'attaque peut conduire à la mort des personnages ou à l'échec de la quête du héros. Mais point de Game Over ici, puisque le White Chronicle permet à Stocke de retourner juste avant le moment de la décision, grâce à un système de noeuds. Ainsi, à chaque fois qu'il rencontre un de ces noeuds, le joueur peut revenir autant qu'il le souhaite à ceux qui ont précédé dans une des deux lignes temporelles. De ce fait, non seulement les actions du joueur peuvent avoir une influence d'une timeline à l'autre, mais en plus de cela, il peut remonter le temps pour trouver la solution à ses problèmes, comme c'est le cas pour l'échec de la première mission évoquée plus haut. Vous suivez toujours ?
Il appartiendra alors au joueur de découvrir tous les noeuds de l'histoire ainsi que leurs conséquences afin de la compléter à 100%. Par ailleurs, cette dimension ludique, qui n'est pas sans rappeler les fameux Livres dont vous êtes le héros, tend parfois à prendre le pas sur la composante narrative puisqu'il m'est souvent arrivé de faire un mauvais choix évident, simplement pour débloquer l'événement associé et revenir en arrière par la suite. Toute portée dramatique dans le déroulé du scénario (mort d'un personnage par exemple) s'en trouve alors fortement amoindrie puisque le joueur peut simplement se dire : "De toute façon, je peux recommencer et choisir l'autre option". Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, la structure narrative de Radiant Historia se révèle finalement très linéaire puisque les alternatives proposées n'en sont pas réellement. Le scénario du jeu met en avant cela dans une perspective quasiment méta, puisque Lippti et Téo ne cessent de nous rappeler combien il est primordial de rétablir la "véritable histoire", comme pour rappeler que celle-ci est déjà écrite (par les développeurs) et que toute déviation nous est impossible, en dépit des apparences.
Un temps pour tout
Une autre conséquence de cette structure narrative atypique, c'est le peu d'importance accordé à l'exploration spatiale, au sens premier du terme. Contrairement à Chrono Trigger dont chaque plongée dans une nouvelle époque permet de découvrir une autre facette du monde, totalement différente des précédentes, le voyage dans le temps dans Radiant Historia sert avant tout le scénario. En conséquence, le joueur est souvent amené à traverser les mêmes plaines, les mêmes cités, encore et encore, et les environnements s'avèrent peu étendus. Seul le dernier "donjon" du jeu propose un peu de challenge dans son exploration (et encore).
Dans le même ordre d'idées, si les compositions de Yoko Shimomura (Kingdom Hearts, Final Fantasy XV) accompagnent à la perfection les lieux et les moments forts de l'aventure, elles finissent malgré tout par devenir redondantes tant Stocke et ses compagnons reviennent souvent sur leurs pas. Pour un titre du genre, l'Original Soundtrack de Radiant Historia semble alors bien courte.
Malgré tout, le monde de Vainqueur se révèle fascinant à découvrir, de l'histoire de sa fondation à celle de ceux qui le peuplent. Chacune des villes du jeu possède son identité propre et jouit d'un background riche, à l'image de Celestia, terre des Satyros, peuple éloigné des ambitions belliqueuses de ses voisins. La trame en elle-même n'est pas en reste puisqu'il réserve son lot de révélations, notamment dans son dénouement, qui saura en épater plus d'un. Nouveauté bienvenue dans cette version 3DS : bon nombre de personnages principaux et secondaires bénéficient désormais d'un doublage anglais intégral qui se révèle particulièrement convaincant. A souligner toutefois que le jeu n'est pas traduit en français, au grand dam des anglophobes... C'est d'autant plus regrettable qu'il dispose de très, TRÈS nombreuses lignes de dialogues. Celles-ci peuvent avoir tendance à traîner en longueur, comme lors des premières interventions de Lippti et Téo, ces didacticiels sur pattes surgissant à la moindre cutscene pour épauler notre pauvre héros déboussolé. A tel point qu'il m'est plusieurs fois arrivé de me demander : "Bon, quand est-ce qu'on marave du mob ?".
Vainqueur par K.O.
Venons-y ! Hormis les boss, tous les ennemis que l'on peut rencontrer dans le jeu se baladent librement dans les zones à traverser, qu'il s'agisse de plaines, d'égouts ou d'étendues désertiques. Une fois qu'ils décèlent la présence de votre personnage, ils se ruent à corps perdu sur lui afin d'engager le combat. Néanmoins, vous avez la possibilité soit de fuir, soit d'anticiper l'affrontement en assénant un coup à l'adversaire avant qu'il ne vous touche : cela l'étourdit et permet aux personnages de bénéficier d'un bonus d'initiative en début de combat.
A l'instar d'un Final Fantasy X, les affrontements sont régis par un système de tour par tour on ne peut plus classique où chaque personnage se voit octroyer un ordre de passage dans la distribution des mandales ; ceci étant matérialisé sur l'écran tactile. Toutefois, cet ordre n'est pas figé puisqu'à chaque tour, le personnage peut troquer sa place avec celle d'un autre personnage, voire celle d'un ennemi. Mais pourquoi diable ferions-nous une chose pareille ? C'est là que les combos entrent en jeu. En assénant un certain nombre de coups d'affilée (attaques simples, magies, compétences offensives) à un même adversaire, les personnages jouissent d'un bonus d'expérience à la fin du combat. Notons à ce titre qu'il n'y a pas de grille de compétences et que ces dernières sont acquises automatiquement selon les aptitudes de chacun en montant d'un niveau.
La spécificité des affrontements de Radiant Historia tient dans la position qu'occupent les ennemis sur le champ de bataille. Si les héros sont alignés sur la partie droite de l'écran, les ennemis eux sont répartis sur un ensemble de neuf positions possibles, représentées par une grille de trois cases par trois. Lorsqu'un adversaire se trouve sur une position avancée, il est possible de le repousser dans une direction (vers l'arrière, la gauche, en l'air... selon la compétence acquise), puis d'enchaîner avec une attaque en combo afin d'accoître les dégâts. Ce système s'avère particulièrement redoutable quand il permet de réunir plusieurs ennemis sur une même case afin de faire d'une pierre, deux, trois ou quatre coups. Relevons enfin l'aide salutaire des Mana Burst, dont l'utilisation dépend d'une jauge qui se remplit au fil des tours avant que le personnage ne délivre une attaque ravageuse sur l'adversaire. En définitive, le système de combat se révèle bigrement efficace, intuitif et rarement répétitif tant les angles d'attaque sont multiples.
Au final, qu'est-ce que ça Vault ?
En fin de compte, il vous faut compter une quarantaine d'heures de jeu pour voir le bout de l'aventure, ce qui est honorable pour un JRPG sur console nomade. De plus, contrairement à de trop nombreux titres du genre, Radiant Historia n'impose pas au joueur d'écumer ses nuits à grinder pour progresser, et ce n'est pas plus mal tant on connait la prépondérance de la narration dans ce jeu.
Il faut cependant compter sur deux ajouts de taille exclusifs à cette version 3DS, et qui viennent gonfler la durée de vie du titre. Le premier porte le doux nom de Vault of Time et se présente comme un donjon comportant plusieurs paliers de difficulté en fonction des créatures rencontrées. En plus de l'expérience acquise, le matraquage de mobs permet de récupérer des petits cristaux, les Mementos, qui font ensuite office de monnaie d'échange pour s'offrir une nouvelle arme ou une pièce d'équipement inédite. Pas forcément des plus passionnants, mais on prend.
L'autre nouveauté s'avère autrement plus intéressante puisqu'elle nous donne accès à une troisième ligne temporelle, en plus de la Standard History et l'Alternate History : la Possible History. On y fait la rencontre d'un tout nouveau personnage créé pour l'occasion, Nemesia, qui nous charge de retrouver un certain nombre d'artefacts dissimulés dans plusieurs versions parallèles de Vainqueur, sous le modèle de l'uchronie ("Et si... ?"). Tout ceci prend la forme de missions indépendantes assez courtes et particulièrement adaptées à des parties rapides. Une option en début de jeu nous permet soit de profiter de cette troisième timeline en même temps que les autres (Perfect Mode), soit d'y accéder une fois l'aventure principale achevée (Append Mode). Compte tenu des nombreux embranchements déjà présents dans cette dernière, nous ne saurions que trop vous conseiller la deuxième option s'il s'agit de votre première découverte du titre.
Enfin, cette version 3DS bénéficie d'une intro animée réalisée par le studio A-1 Pictures (Black Butler, Seven Deadly Sins) et de visuels retravaillés par rapport à la version originale, avec notamment des interfaces remaniées, des skins affinés et des illustrations de personnages plus belles encore qu'auparavant. Que l'on ne s'y méprenne pas toutefois : il ne s'agit bien là que de la remasterisation d'un jeu DS. Ne vous attendez pas à une révolution visuelle.