The End is Nigh s'ouvre les deux pieds ancrés dans son époque, alors qu'un Youtubeur rageux pète un câble en direct au moment où son nouveau jeu freeze. Comble de l'anachronisme, notre streameur monochrome diffuse sur l'Internet moderne un jeu de plate-forme sur une bonne vieille cartouche faite de plastique et autres composants bizarroïdes du siècle dernier. Victime collatérale de l'obsolescence programmée, notre héros renfermé nous révèle qu'il s'imagine être le seul survivant d'une apocalypse dont nous ne saurons à peu près rien, dans un premier temps. Privé de son jeu rétro fétiche, Ash doit se résoudre malgré lui à quitter son nid douillet pour tenter l'impensable, sinon l'impossible : sortir pour se faire un ami. Projetant même un peu rapidement une idylle naissante, pourquoi ne pas aller jusqu'à repeupler la planète ? Ainsi ses propres enfants pourront eux aussi... Ah ouais. Quand même.

They say jump, you say how high

Ceux qui sont déjà familiers avec l'univers aussi tordu que scatophile et poisseux de McMillen retrouveront sans surprise toutes les ficelles qui le composent depuis une décennie : moins coloré qu'un Super Meat Boy ou même qu'un Binding of Isaac (si si), The End is Nigh embarque néanmoins son lot de sproutch, flotch et autres bruitages de matières fécales jetées à même le sol. Miam. Le choix des teintes limitées et extrêmement ternes colle parfaitement au propos apocalyptique du titre, et renvoie à une désolation permanente ou ne subsistent que des parasites bien décidés à vous faire la peau.

Visuellement sommaire, The End is Nigh se concentre justement sur son essence, sa raison même d'être : son gameplay. Et au diable le reste ! Encore plus dépouillée que Super Meat Boy, la nouvelle création de McMillen semble avoir décanté durant des mois pour ne garder que la substantifique moëlle du jeu de plate-forme : un saut au nuancier resserré, un bouton de glisse qui permet également d'embrasser plus intensément la loi de la gravité, et vous voilà paré à en baver des heures durant. Puisque le jeu s'entend comme une suite spirituelle du succès indé de 2010, on en viendrait presque à regretter ce choix quasi-monacal dans la restriction de la palette de mouvements : oubliez walljump, course et autres fioritures qui viennent pimenter le genre depuis belle lurette, The End is Nigh est fon-da-men-tal-iste.

Au poil de sseuf

Mais ce choix tranché se comprend d'autant mieux que le level design s'avère une nouvelle fois aussi millimétré qu'impitoyable. Que vous soyez un esthète du pad (coucou les vieux schnoks) ou un perdreau de l'année (fuyez, pauvres fous !), vous allez mourir, périr, clamser, crever, et la même chose dans l'autre sens. D'ailleurs la première donnée qui s'affiche après votre pourcentage de complétion, c'est le nombre de fois où vous serez passés de vie à trépas. Et croyez-moi, ça grimpe vite, mais alors très vite ! Ce n'est même pas grave cela dit : le décès n'est ici qu'un état d'une brièveté absolue qui jamais ne dure. Bien conscient du degré d'exigence réclamé par ce challenge à déconseiller aux rageux, McMillen rend une nouvelle fois le respawn instantané, pour mieux courir vers une nouvelle mort certaine.

Si Super Meat Boy était un jeu de plate-forme cloisonné, The End is Nigh fait au contraire voler en éclat les contours de l'écran, pour mieux s'ouvrir vers l'exploration. Entendons-nous bien : chaque screen considéré individuellement incarne bel et bien un challenge certain, complexe et requérant un doigté pianistique, mais la progression s'effectue sans aucune interruption. C'est là toute la dualité osée de The End is Nigh : proposer sous forme de tableaux une exploration finalement très libre. Si l'on sautera (à raison) de joie dès lors que l'on parvient enfin à passer un improbable enchaînement de sauts, il ne faut pas s'imaginer enfermé par ce que l'on arrive à lire à l'écran. En game designers avertis, McMillen et Glaiel s'amusent à truffer les niveaux de zones cachées où l'extase de la découverte cède bien vite la place aux larmes de désespoir dès lors que l'on prend conscience du défi à relever... Car dans ces zones bonus où l'on glanera méga-tumeurs et cartouches rétros, la punition peut s'avérer bien pire que la mort : il n'est pas rare que pour un malheureux saut raté, il faille recommencer les tableaux avant d'obtenir une (seule) nouvelle chance de retenter le coup. Parfois, le remède est bien pire que le mal. Et ça, c'est sans compter sur les jeux rétros qui s'adressent a priori à des êtres venus d'ailleurs...

Etudes sur l'hystérie

Il ne sert de toutes façons à rien de protester, d'hurler, de vociférer contre les développeurs ou de fracasser son pad contre le mur : The End is Nigh n'a que faire de votre frustration. Une erreur, et c'est un indiscutable retour à la case départ. Point à la ligne. Dès lors, on valorisera l'humilité et l'endurance psychologique nécessaires pour conserver un semblant de santé mentale devant pareille épreuve. Et si l'on se gardera bien de vous expliquer pourquoi, sachez que les souffrances des premières heures se révèlent finalement être un conditionnement mental et musculaire difficile, mais parfaitement justifié au regard de ce qui vous attend par la suite, tenez-vous le pour dit... Et encore, le premier run vous fera immanquablement passer à côté de nombre d'items bien précieux pour faire le tour de la question : c'est là que le machiavélisme du duo fera une fois de plus mouche, puisque les warp points existants n'apparaissent qu'en début de zone. Concrètement ? S'il vous manque simplement la tumeur du niveau 1-15, ce sont les 14 tableaux précédents qu'il faudra à nouveau braver pour jouer les complétionnistes. Oui oui, vous avez bien compris.

McMillen Farmer

L'un des points les plus surprenants des aventures d'Ash reste finalement sa bande-son : déjà responsable de The Binding of Isaac, le duo Ridiculon remet le couvert en optant cette fois pour une OST uniquement composée d'oeuvres classiques. Piochant allègrement du côté de Satie, Tchaïkovski ou Liszt, les réarrangements sont souvent très étonnants et déroutants, à défaut d'être cohérents de bout en bout.

Les mélomanes avertis s'amuseront à retrouver les airs les plus marquants du XIXème siècle (exception faite de Mozart), tandis que les autres s'interrogeront peut-être sur le sens de cette drôle de bande-son faisant la part belle aux distorsions de guitares et aux batteries bien grasses. Le tout au milieu de sons bien crado, rappelons-le.