La saga Mana se dilue lentement mais sûrement depuis le départ de Koichi Ishii, son créateur. Notre homme n'est quant à lui pas en panne d'imagination, bien que son studio Grezzo ait surtout émergé au travers des remakes de Zelda sur 3DS. Ever Oasis s'aventure en effet dans le désert, histoire de faire souffler un vent de fraîcheur dans le monde de l'Action-RPG, saupoudré ici de graines de simulation de vie. Une bonne "(Shéhé)rasade" de nouveauté à l'horizon ?
Dans le sillage d'un bref prologue déroulé tel un tapis volant, voilà d'emblée le héros (ou l'héroïne) promu chef d'oasis. Vocation qui suppose une relation étroite avec le génie de l'eau, Esna, afin de protéger et de faire prospérer ce coin de paradis en proie aux forces du chaos. Il en résulte de nombreuses tâches, à commencer par l'exploration du désert à la recherche de voyageurs, dans l'optique que ces derniers viennent s'installer et ouvrir éventuellement leurs "boutifleurs". Des échoppes qu'il faut ensuite réapprovisionner avec les denrées issues du potager, mais surtout du butin ramené des expéditions à travers ces terres inhospitalières. L'oasis attire ainsi sans cesse plus de "manchouettes" assoiffées d'achats qui se délestent de leurs "aquagemmes", la monnaie locale. Avec cette effervescence et l'accroissement de la population, l'oasis s'étend, offrant dès lors davantage d'espace aux activités. Voici donc les grands principes d'Ever Oasis, expliqués pas à pas durant les premières heures aux airs de tutorial zélé, quoiqu'il ne s'appesantisse pas assez sur le management de l'équipement et le moment à partir duquel il est possible de façonner son équipe, guère lointain heureusement.
Conte aride
Car la coopération constitue la valeur essentielle de cette épopée, sans que son cheminement ne s'attarde trop non plus sur l'histoire des compagnons, ou le background global. Le récit se résume à quelques gouttes de dialogues distillées au gré des rencontres, et des requêtes soumises par ces recrues. Alors que tant de RPG tendent à noyer leur scénario dans un fleuve d'informations aux ramifications tentaculaires, l'intrigue résolument limpide d'Ever Oasis se décante au fil des jours, et des nuits qui passent. Une légèreté narrative rafraîchissante, parfaitement dans le ton de cette oeuvre débordante de couleurs et de bonne humeur, que soutient une bande son au diapason. Seules les missions liées à la trame centrale comportent un véritable développement quant à leur mise en scène, ou leur teneur, les autres n'étant que prétextes à de banals allers-retours. Là encore, ce pragmatisme se révèle pourtant appréciable au regard du cheptel d'habitants potentiels à accueillir au sein de l'oasis, d'autant que chacun de nos comparses hérite de petits traits de caractères, de goûts et de talents particuliers - évolutifs de surcroît - un peu à l'image des villageois d'Animal Crossing.
Microcosme florissant
Certains "Granéens" peuvent faire pousser des magasins, plus florissants une fois leur quêtes annexes accomplies. D'autres se rendent utiles en se chargeant des travaux récurrents, tels que l'agriculture, les livraisons, voire la recherche de ressources aux quatre coins du monde. Ce beau boulot d'entraide dispense du train-train quotidien à la Harvest Moon, sans jamais l'oublier, ne serait-ce que parce que le temps s'écoule vite. Chaque journée amène son lot de visiteurs dès que le soleil se lève, son coucher initiant les occupations nocturnes. Si le chef d'oasis n'a pas obligatoirement besoin de dormir, la collecte régulière du fruit des ventes s'impose pour disposer des fonds nécessaires à la plantation de nouvelles boutiques, ou de leurres destinés à augmenter leur attractivité, le tout par le biais d'une interface de gestion des zones de chalandise plutôt rudimentaire. L'achat et la fabrication d'objets s'avèrent aussi coûteux, le troc ne restant qu'une alternative très limitée. Veiller au bonheur des résidents n'a toutefois pas de prix, puisque leurs sourires entretiennent l'égide salvatrice de l'arc en ciel, qui allonge considérablement la barre de santé de nos aventuriers.
Cimeterre par ci, bâton par là
Le plus souvent accompagné par des habitants, quasiment tous enclins à partir en expédition, le chef d'oasis consacre en effet la majeure partie de son existence à arpenter les régions desséchées de Vistrahda, pas si désertiques d'ailleurs, compte tenu de la faune assez dense, et changeante à l'heure du crépuscule. Des ennemis visibles (à l'instar de leur niveau) que l'on a loisir d'éviter, les hostilités se déroulant directement sur le champ de bataille selon la méthode traditionnelle des Action-RPG. Malgré une caméra et un ciblage un chouïa récalcitrants dans les lieux exigus, les combats se montrent très dynamiques, avec un panel de mouvements réparti entre les coups vifs ou plus appuyés, les attaques magiques ainsi que les roulades d'esquive, timing à l'appui. En outre, le passage instantané d'un camarade à un autre permet de s'adapter rapidement aux situations, telles que les offensives à distance ou la réanimation d'un membre de l'escouade. Les faiblesses des créatures à des armes déterminées encouragent naturellement à optimiser les formations, autorisant de puissants phénomènes de synergie, a fortiori grâce à leurs aptitudes spécifiques qui n'ont pas qu'une fonction guerrière.
Pouvoirs de génie
Au delà de celles vouées à la récolte de matériaux, certains pouvoirs ont une rôle crucial dans la résolution des énigmes. Ces dernières inspirées à l'évidence de Zelda se situent essentiellement dans les donjons, eux-mêmes très semblables en matière de structure. L'expérience de Grezzo justifie ces références aux allures parfois de clin d'oeil, tandis que quelques mécaniques se distinguent par leur ingéniosité. Néanmoins les cavernes réellement massives et habitées par un Boss digne de ce nom ne sont pas nombreuses, la plupart se cantonnant à une poignée de salles. Une envergure relativement réduite qui s'applique à l'ensemble de cet univers, en dépit d'habiles jeux de perspective avec le relief pour donner une impression d'immensité. Presque chaque dune ou monticule de rochers dissimule une grotte, sans que cela n'empêche de ressentir l'ivresse de la découverte, renforcée par les musiques orchestrales exaltant un parfum mystérieux des mille et une nuit. Enfin, les plus téméraires trouveront un challenge à leur mesure parmi les dédales générés aléatoirement devant les murs de hiéroglyphes, l'âme en moins. Au demeurant, Ever Oasis se veut à taille humaine, dans tous les sens du terme.
L'eau rance de Manabie ?
Bien que l'absence (pour le moment ?) d'une option multi joueur soit regrettable, pour ne pas dire inexcusable en réseau local, le studio de Koichi Ishii emprunte une voie moins simple qu'il n'y paraît, et aucunement simpliste. La facilité se traduit ici par une accessibilité bien pensée et l'ajout d'éléments pratiques au fil de l'avancée. Parallèlement à la délégation des labeurs redondants, des points de téléportation font gagner du temps, notamment "l'aquaportail" pour marquer une petite pause à n'importe quel endroit et se restaurer illico au bercail. L'occasion également de monter en niveau en jetant un oeil à la vie de ce jardin d'éden, où chacun trouve sa place et se réjouit des foires à venir. Car de la même manière que cette oeuvre dévoile lentement son ampleur, comme une pyramide ensevelie qui ressurgit du sable, elle renferme un grand message. Il y a là le testament de ses aïeuls, la dynastie Mana, mais aussi une dimension écologique et philanthropique. En témoignent le désenvoûtement des bêtes sauvages après les joutes au lieu d'une mise à mort, et l'accent porté sur les différences culturelles entre les tribus, des migrants qui viennent enrichir la communauté. Loin d'être d'un mirage, Ever Oasis deviendra par conséquent un souvenir inoubliable pour ceux qui s'y arrêteront.