Débarqué sans crier gare il y a déjà quinze ans, le premier opus de Disgaea avait produit son petit effet dans l'univers fermé des jeux de rôle tactiques. Bon an mal an, voilà que la série en est à son cinquième épisode majeur. Ça tombe bien, puisque nous avions complètement oublié de vous en parler au moment de sa sortie sur PlayStation 4. Et l'ami Joniwan qui répond aux abonnés absents ! Le pauvre est trop occupé à mesurer les différences entre les hauteurs de jupes des deux derniers Guilty Gear, et on l'en excusera. Du coup, c'est bibi qui récupère le bébé. N'étant pas de nature à être émoustillé par des paires de fesses à la sauce Flash, la discussion s'annonçait rude. Bon, je vous rassure, Disgaea 5 et moi continuerons d'aller boire un verre ensemble. Mais de temps en temps, pas plus.
Voilà déjà donc quinze ans que Disgaea est venu habilement squatter le créneau du T-RPG japonisant à souhait, réduisant presque à néant la concurrence dans ce secteur. Ah, qu'il est loin le temps où quelques éditeurs se tiraient la bourre pour profiter de la brèche ouverte par l'antique Final Fantasy Tactics... En tous cas, la compétition, ce n'est pas ce qui risque d'inquiéter ce Disgaea 5 Complete tout juste sorti sur Switch. Est-ce pour autant une raison suffisante pour craquer ?
Ichi c'est Paris
Pour ceux qui auraient réussi à consciencieusement l'esquiver durant tout ce temps (et dans ce cas il y a objectivement peu de chances que vous soyez réellement en train de lire ces lignes, ne nous voilons pas la face), Disgaea est donc une série de Tactical-RPG pur jus, avec à peu près tout ce que l'on peut imaginer d'inhérent au genre. Concrètement, vous conduirez donc une armée de joyeux drilles démoniaques à travers des niveaux isométriques modérément peuplés d'ennemis, toujours plus balèzes et/ou vicelards.
Ça, c'est évidemment ce que l'on observe de prime abord. Tel un Stéphane Plaza des Ténèbres, il conviendra de gratter la couche de finition délicatement talochée à la truelle pour tirer la substantifique moelle de Disgaea. Sous ses airs de jeu d'échecs trop longtemps infusé au shônen, la série phare de Nippon Ichi Software offre un système riche et profond qui pourrait bien vous empêcher de voir la lumière du soleil durant ces prochains mois. Logique pour un jeu faisant la part belle aux démons.
Prinny Dieu ni Maître
Pour ceux qui se posaient encore la question, le message envoyé par Nippon Ichi Software est désormais clair : l'évolution est une hérésie, et les infidèles finiront sans ménagement au bûcher. Bien cordialement. Solidement campée sur ses fondamentaux, la série ne bougera malheureusement pas via ce cinquième épisode le moindre cil ou autre poil de cul. Seul le chapitre introductif résumant à marche forcée les principaux éléments de gameplay pourrait éventuellement ne pas larguer d'emblée les nouveaux venus. C'est là toute la prise de risque de ce pari : hermétique au changement, Disgaea ne semble pas préoccupé par l'ouverture si chère à Sarkozy, mais ne propose en même temps aucune véritable raison de repartir plus de cent heures durant dans ses innombrables sous-mondes aux fidèles de la première heure.
Alors on peut légitimement s'interroger : à qui ce cinquième épisode s'adresse-t-il véritablement ? La sortie de cette version "Complete" sur une console aussi grand public que la Switch eût été l'occasion d'une main tendue. Il n'en est rien. Pour les accros en manque qui auraient déjà bouclé Fire Emblem Echoes, ou par miracle loupé la sortie de Disgaea 5 : Revenge of Alliance sur PlayStation 4 en 2015, il restera évidemment la possibilité de se délecter d'un jeu de rôle tactique toujours aussi soigné, dans son lit comme dans le métro. Attention à ne pas louper son arrêt par contre, cela arrive même aux meilleurs. Car sachez que si vous ne descendez pas à Cité Universitaire, certains trains du RER B vous emmèneront jusqu'à Bourg-la-Reine...
Le sous-monde insoumis
Pour le reste, Disgaea 5 Complete réussi à introduire un certain nombre de nouveautés bienvenues sans (trop) bouleverser l'équilibre global de la formule. On retrouvera ainsi avec plaisir les attaques combinées, qui en plus de déclencher de sympathiques animations clichées mais pêchues vous feront gagner moult bonus en fin de tableau, la possibilité de recruter une armée sur-mesure et de la faire évoluer selon ses moindres désirs, ou encore un savant découpage des tours de jeu qui permettent sans frustration de construire pas-à-pas sa stratégie. La progression de ses personnages et de leurs différentes statistiques requiert malencontreusement toujours autant de grinding maladif, sachant que chaque compétence ne progresse que si l'on s'en sert, à la Final Fantasy II, pour ceux qui savent.
Côté nouveautés (depuis le quatrième épisode, entendons-nous), on notera d'abord l'apparition de l'opportune jauge de revanche, qui se remplit au fur et à mesure que votre équipe se mange mandales et autres sorts ennemis, et permet une fois pleine de recourir à une attaque spéciale différente pour chaque protagoniste. L'escouade de recherche permet - ô surprise - d'envoyer des membres de votre crew glaner items et autres joyeusetés quand vous n'avez pas besoin d'eux. On a connu plus original. Enfin, le comptoir des quêtes annexes permettra quant à lui de se renseigner sur les objectifs optionnels que chaque mission vous amènera à remplir, un plus appréciable dans la mesure où il faudra refaire bon nombre d'entre elles pour correctement prendre du grade.
Si vous vous demandez encore à ce stade de votre lecture ce que ce portage Switch apporte pour justifier son nouveau sous-titre (en plus de sa portabilité bienvenue), je vais vite mettre fin à vos timides espoirs... En effet, cette galette soi-disant complète se cantonne à intégrer les huit DLC sortis sur PlayStation 4, ainsi que deux ou trois têtes connues issues des précédentes itérations. Ah, j'oubliais les trois nouvelles classes, elles aussi piochées dans le passé de la saga. On ne va pas se mentir : c'est bien léger.
Ça va farmer chérie
Disgaea 5 Complete n'abandonne évidemment pas l'une des caractéristiques immuable de la saga : le grinding à outrance. Nous l'avons évoqué plus haut, il conviendra d'utiliser la plupart de ses capacités pour les faire évoluer, ce qui limite d'ores et déjà la progression. Mais quand on ajoute à cela la possibilité de recruter 108 personnages et de les monter jusqu'au niveau 9999 (!), on frise carrément l'overdose. Il va sans dire qu'avec les possibilités quasi-infinies de customisation proposées, les petits malins profiteront d'obscures et savantes méthodes alambiquées pour atteindre le niveau maximum. Et que les plus jeunes se rassurent : chaque joute permettra de toutes façons de glaner quelques levels supplémentaires. On pourra toujours, dans le pire des cas, cuisiner son curry maison. D'abord parce qu'il permet de booster les dégâts facilement, et surtout parce que c'est un de mes plats préférés.
Et c'est peut-être là que réside toute la rhétorique à double-tranchant de Disgaea : en proposant un demi-milliard de sous-menus et une infinité de magasins à visiter régulièrement, il ferme sans se retourner la porte à tous ceux qui n'adhéreraient pas tel quel au concept. Si vous avez quelques mois devant vous et que vous cherchez d'abord un système aux ramifications sans fin, c'est gagné ! Pour les autres...
Moi c'est Axel Foley, mec !
Depuis le quatrième épisode, la série Disgaea peut se targuer de décliner ses vers dans la langue de Morsay. Une preuve de bonne volonté me direz-vous ? Que nenni, gentes lecteurs ! Certes rendu compréhensible, le jeu passe son temps à nous laisser imaginer les conditions infernales dans lesquelles sa traduction a dû voir le jour, mec. Si on avait su, on aurait sans doute alerté l'inspection du travail, mec. Mal tournée, lourde et parfois truffée de fautes, la version française de Disgaea 5 Complete invitera dès les premières minutes tous ceux qui le peuvent à changer la langue de leur console pour éviter un avant-goût de l'enfer, rien que ça.
A sa décharge, cette traduction s'appuie comme elle peut sur un scénario des plus basiques et une galerie de ce que l'animation japonaise a su produire de plus cliché. Bien loin de l'écriture ô combien plaisante du premier épisode, Disgaea 5 Complete constitue sans aucun doute un melting pot désastreux d'un univers élaboré sans la moindre inspiration originale. Pour la faire courte (votre temps est précieux, le mien aussi), vous incarnez Killia, un adolescent maladroitement tourmenté par son amnésie, qui ne jurera que par sa soif de revanche envers le terriiiiiiible Void Dark, tout un programme. À ses côtés se pavaneront sans génie : Seraphina, la moe girl qui monte sans raison dans les aigus et n'a d'yeux que pour l'emo-démon suscité ; Red Magnus, le bourrin super-balèze et super-décérébré ; Christo, le tacticien silencieux qui remet sans cesse ses lunettes sur son nez, pour que l'on comprenne que c'est l'intello de la bande ; ou encore Zeroken, le gamin sous amphétamines qui saute dans tous les coins en n'écoutant que ses pulsions... N'en jetez plus, la coupe est pleine.
Ajoutez à ce casting OSEF une trame inintéressante qui n'a de cesse de vous renvoyer à l'amnésie de son héros pour justifier un déroulement elliptique faits de flash-backs incessants et de révélations qui n'en feront pas bouger une seule, et vous obtenez là un cocktail raté, flemmard et insipide. Et à ceux qui rétorqueraient un peu vite que le scénario d'un T-RPG ne l'affecte en rien, on leur demandera pourquoi Disgaea 5 Complete se révèle aussi bavard pour ne brasser que du vent, mec.