Depuis Arx Fatalis, Arkane a fait bien du chemin. Le studio français s'est imposé comme une valeur sûre du Jeu Vidéo avec Dishonored, licence largement acclamée à travers le monde. Quelques mois à peine après la sortie de l'inoubliable deuxième volet de cette série, les hommes de Raphaël Colantonio reviennent avec un projet de longue date. Un pari risqué. Le reboot de Prey, qui n'a plus de commun avec le jeu de 2006 que le nom. Mais qui parvient, lui aussi, à nous mettre la tête à l'envers. Et ce n'est pas qu'une affaire de gravité.
En 2032, tout va bien. Non mais vraiment. Après l'attentat raté sur le président Kennedy en 1963, le monde a fait des progrès fulgurants sur le plan scientifique. La conquête de l'espace ? Une formalité. Ah oui, il y a un petit problème avec une race extra-terrestre, les Typhons. Mais grâce à vous, Morgan Yu, tout va bien. OK, vous ne vous souvenez pas que vous êtes un éminent scientifique et que vous menez à bien, avec votre frangin Alex, des recherches concernant ces étranges bestioles sur la Station orbitale Talos I, mais tout va bien. Oui, c'est vrai, il semblerait qu'il y ait eu un petit souci de sécurité et vous n'ayez qu'une clé à griffe pour vous défendre, mais tout va bien. On peut convenir que... Bon, d'accord. La réalité, c'est que rien ne va. C'est la merde. Y'en a partout et, en plus, on dirait que les survivants et même les machines assurant sécurité et bien-être ont pété un câble. Tirez-vous.
Je vous Prey
On croit d'abord se retrouver dans un Dishonored 2 spatial qui aurait pris l'esthétique art-déco de BioShock. On se dit qu'on a affaire à un FPS jonglant entre action et infiltration mais qui va vite, grâce à un arbre de compétences fourni et une poignée d'armes que l'on a le loisir de faire évoluer, nous laisser occire les ombrageux contrevenants avec une certaine facilité. Et une grosse vingtaine d'heures plus tard, on observe les crédits, satisfait mais lessivé, vidé. C'est que la marchandise était trompeuse. On aurait dû se méfier que les développeurs allaient bien prendre le titre au pied de la lettre. Dans Prey, Morgan Yu est bien une proie. Facile, avec ça. Il/Elle a les moyens de se défendre mais de façon très limitée, rationnée. Et si on note bien une barre de vie extensible et une combinaison supposée encaisser certains dégâts, il faut simplement se faire à l'idée que la moindre rencontre a des chances de s'avérer fatale. Surtout que la visée se révèle assez compliquée pour un "simple" scientifique.
Dans cette station gigantesque et majestueuse complètement dévastée, le moindre petit Mimic, créature arachnide capable de copier un objet du quotidien et de vous sauter à la tronche sans crier gare, a le don irritant de vous ramener à votre dernière sauvegarde. Parce que le viser relève de la gageure - surtout avec cette clé ridicule qui pompe une énergie folle et sous l'effet du stress. Et l'on ne vous parle pas des plus gros monstres, des plus rapides, de ceux qui ne sont perceptibles qu'à l'aide de la fonction scanner du casque, de ceux qui manipulent l'électricité, le feu, on encore les rares humains encore vivants. Le bestiaire dans sa globalité donne envie de se carapater. Et ce n'est pas sale. C'est juste du bon sens. Rester sur ses gardes, avancer dans la paranoïa la plus totale, créer des diversions DOIT devenir une seconde nature. Sans bruit. En gardant son sang-froid. En vérifiant bien que les tourelles et autres opérateurs censés réparer blessures et accrocs vestimentaires n'ont pas été manipulés.
Un Typhon fond, fond
Bref, si vous cherchez une étiquette à accoler à Prey, c'est plutôt celle du Survival. Et d'un Survival dur sur l'homme, intransigeant, injuste avec les approximations et qui vous susurre "sauvegaaaaaaaarde" quand vous avez avancé d'un mètre. Mais de très bonne facture, ne serait-ce que pour son atmosphère (portée par une bande-son de très haute volée et une foultitude d'éléments à lire et écouter) qui évoque volontiers Dead Space ou encore Alien Isolation. Et le fait qu'on ne vous fait pas de cadeaux. Notamment en termes de ressources. Ah, c'est sûr, c'est sympa de trouver un 9mm, un fusil à pompe, un laser éradicateur ou de je ne sais quoi encore. Mais elles sont où, les munitions ? Et si on a besoin de se recoudre après une âpre bataille remportée sur le fil ? D'accord, il faut explorer. Ça tombe bien, les architectes ont bien bossé. C'est aussi gigantesque que magnifique ici - si l'on occulte le bordel ambiant, les cadavres et les Typhons. Du coup, on se rend dans les différentes sections et même dans l'espace, sans trop rechigner. Sauf lorsqu'on change de zone, ce qui occasionne des chargements pénibles d'une bonne minute dans le meilleur des cas.
Talos look Coco
On admire l'envergure des décors, pleins d'endroits où se planquer, notamment en hauteur, sans indications ou marquages façon Mirror's Edge pour ne pas briser la cohérence, bourrés d'obstacles qui auront besoin d'un code ou d'un piratage (avec un mini-jeu rigolo et énervant), d'une réparation ou d'une force de 10 hommes pour être levés. On adore pirater, réparer ou soulever des encombrants pour accéder à d'autres salles. On apprécie d'employer le Canon à Glue (une des grosse trouvailles du jeu) pour se créer des chemins en plus de figer les ennemis ou empêcher un panneau voltaïque de nous réduire en miettes. On kiffe littéralement de pouvoir, entre autres capacités avancées comme celles de générer des explosions ou de s'inventer des alliés temporaires empruntées à ces streums qu'on aura analysés dans l'ombre, faire parler le Mimétisme et se transformer en une paire de ciseaux, un classeur, une tasse à café en vue de se faufiler dans de minuscules interstices. Les possibilités sont grandes. Prey fait preuve d'une inventivité et d'une générosité qui forcent le respect. A tel point qu'on enragera presque de ne pas débloquer la globalité de l'impressionnant arbre de compétences en une seule partie - avant d'en lancer une nouvelle pour voir si l'on n'a pas pris de mauvaises décisions ou zappé d'autres requêtes de survivants. Mais quand bien même il y a de la surface à explorer et avec laquelle faire joujou, la peur au ventre mais des étoiles dans les yeux, le problème demeure : tout ça, ça bouffe des matériaux. Et y compris en farfouillant, on se rend vite compte qu'il va falloir trouver d'autres solutions.
I am Morgan of Yu (air connu)
Pour avoir une chance de résister et prouver qu'on existe dans des lieux inspirés mais pas fous techniquement, où l'on croise des gens aux modélisations parfois effrayantes et aux animations très moyennes, il y a le recyclage. Encore une idée lumineuse sur laquelle il va plus que falloir compter. Des machines sont disposées pour que vous y mettiez des sortes de bouillons-cubes organiques, synthétiques, minéraux... que vous allez les créer grâce à un autre appareil où vous pourrez fourrer tout ce que voulez : les déchets, les objets en double ou inutiles. Ou en utilisant une grenade très, très efficace qui aspire et opère elle-même la métamorphose, avec un effet visuel qui met toujours en joie. Et une fois le matos en place, pour peu que vous ayez les plans, c'est l'imprimante 3D du futur. Munitions, soins et autres outillages peuvent alors commencer à...hum... abonder. Avant que vous ne soyez à nouveau à sec à cause d'une curiosité mal placée. La survie dans Prey est un éternel recommencement.