C'est toujours muni de ce curieux cocktail fait d'enthousiasme et de fébrilité que les aficionados du ballon rond accueillent chaque automne la sortie du nouveau Football Manager. Un simple nom, vecteur d'émotions fortes mais également gouffre à vie sociale approuvé par la confédération des entraîneurs anonymes. Pourtant, d'une année à l'autre, les innovations paraissent toujours aussi minces sur le tableau noir, ce qui n'empêche pas les plus furieux de tomber constamment dans le panneau en se délestant de quelques dizaines d'euros. Bis-repetita pour cette version 2017 ?
Parait-il que dans le football moderne, l'entraîneur sert de faire-valoir. Il serait devenu un simple accompagnateur de vie, juste bon à gérer les égos d'un vestiaire narcissique et à désamorcer les charges lancées par les vilains journalistes contre ses ouailles en conférence de presse. Mouais. Allez présenter cette thèse, un brin surréaliste, au Paris Saint-Germain, en quête d'identité et de certitudes depuis qu'un coach a débarqué avec une philosophie et des méthodes différentes de celles de son prédécesseur. Allez énoncer cette vision du foot aux acharnés de Football Manager, eux qui croient encore pouvoir valider leur brevet de coach professionnel à force de doubles-clics et de nuits blanches. Depuis deux décennies, la licence chère à Sports Interactive permet aux Unai Emery en herbe de modeler leur club favori comme ils l'entendent en le contrôlant de A à Z, de la mise en place des plots à l'entraînement à la gestion hasardeuse des finances. Aucune variante du métier n'est reléguée sur le banc de touche, pas même la pression inhérente à ce poste précaire : l'obtention de résultats. Car une fois rattrapé par le principe de réalité, l'entraîneur de football devient un salarié comme les autres, en proie aux mêmes vertiges et soumis aux mêmes contraintes... Résumé d'un jour de match pas comme les autres.
Avant-match : L'excitation d'un pupille
Bilan médical validé : check. Capsules de café et boîtes de Guronzan stockées : check. Répertoire téléphonique effacé : check. C'est tel un babtou fragile que je me présente dans mon second jardin - mon bureau - pour l'inauguration officielle de cette saison 2016/17 de Football Manager. Fort de mon expérience sur le banc des précédents opus, je ne devrais logiquement pas être inhibé par l'émotion de démarrer un nouvel exercice, mais l'excitation suscitée par ce lever de rideau dépasse parfois l'entendement. D'autant que ma préparation estivale a été optimale, rythmée par la lecture avisée de communiqués divulguant nouveautés et promesses, et que le staff de Sports Interactive n'a pas opéré de grands changements durant l'intersaison. Ses dirigeants ont seulement pioché dans le budget pour effectuer quelques retouches - esthétiques - nécessaires et me faciliter au maximum la tâche au quotidien pour ne pas perdre de vue l'objectif majeur : la pérennité de mon club. Difficile de se réinventer lorsqu'on empile titres et compliments, jusqu'à enterrer la concurrence.
Il y a l'art et la manière de mettre des gifles. Football Manager 2017, lui, a décidé de mêler douceur et violence. Douceur, comme un travail énorme et une inspiration géniale pour offrir à ses fans la simulation de gestion d'un club de foot la plus complète à ce jour. Violence, comme toutes ces petites améliorations impactantes qui subliment l'expérience et contraignent les fous de tactique à lâcher des euros pour une base de données actualisée et des ajustements de rien du tout mais qui font la différence. Cette année, les développeurs chers à Paul Pogba et Antoine Griezmann ont décidé de bosser sur le moteur graphique, qui commençait à sentir les nineties, et sur le volet social du football avec la gestion des réseaux sociaux dans le quotidien d'un manager. Une cure de jouvence bienvenue qui prouve que FM s'adapte aux tendances du moment pour proposer une formule toujours plus immersive.
Première période : Canal Social Club
A peine le coup d'envoi sifflé, les joueurs chevronnés retrouveront vite leurs automatismes et réciteront leurs gammes. Malgré quelques améliorations cosmétiques dans l'interface, on reste en terrain connu, là où l'on se sent invulnérable, replié dans une bulle où le temps semble arrêté. Le coeur du jeu reste en effet identique aux versions précédentes, avec une approche de la navigation depuis la boîte mail toujours intuitive à l'usage et une arborescence à gauche mettant en exergue les fonctions principales. Tout ou presque est accessible depuis votre boîte de réception, et il n'est plus nécessaire de multiplier les tours de terrain pour trouver l'information qui nous intéresse. Le déroulé de la partie paraît alors calqué sur nos schémas de la saison précédente jusqu'à ce que l'on tombe nez à nez sur les messages de fans, joueurs, clubs, plus ou moins laudatifs à votre sujet. Une opposition des plus musclées.
Ce volet introduit en effet la présence des réseaux sociaux -un Twitter du pauvre- dans votre gestion du club ce qui rend l'expérience plus réaliste, plus vivante. Nombre d'acteurs du football viennent ainsi partager leurs actualités ainsi que leurs avis sur les sujets du jour, comme certains influenceurs se le permettent sur la toile. Cette course effrénée au hashtag rajoute de la pression sur vos épaules, surtout quand des supporters intrusifs manifestent leur mécontentement sur la spirale de défaites du moment ou sur votre politique de recrutement, et que quelques journalistes mal intentionnés viennent mettre le boxon dans votre vestiaire à coup de scoops imaginaires. De même, les relations avec votre staff s'avèrent plus intenses, ses membres n'hésitant pas à vous aiguiller sur la forme de vos protégés, sur son risque de blessures ou sur la démarche à suivre pour battre votre prochain adversaire via des conseils contextuels. Ils peuvent vous être bien utiles, tout comme les statistiques d'après-match distillées par un analyste de données. Plus que jamais, you'll never walk alone !
Seconde période : Joga (moyen) Bonito
A l'heure où la plupart des franchises optent pour des tuniques clinquantes, FM a toujours fait le pari de la sobriété dans sa réalisation. Un style épuré qui sent bon le football à Papa mais qui n'attire pas vraiment les Footix, ceux qui ne jurent que par les hauts de survêtement fluos et qui se déplacent au Vélodrome avec la tenue de Chelsea. Pour cette version, Sports Interactive s'est donc plié au diktat du marketing en changeant son moteur graphique pour un résultat mi-Figo, mi-Jésé. Si l'intention reste louable (nouvelles animations, angles de caméras plus nombreux, mouvements plus fluides, ombres/éclairages perfectionnés, séquences d'introduction) et donne une dynamique agréable aux rentransmissions, la concrétisation de ces efforts ne se matérialise pas au tableau d'affichage. Certaines actions se révèlent encore incohérentes et vos joueurs gardent cet aspect "Playmobil" qui peut déranger les plus esthètes d'entre-nous. Mais finalement, peu importe la forme, on ne joue pas à FM pour ses graphismes, l'essentiel reste d'engranger les trois points.
Et pour cela, il ne faut pas hésiter à prendre son adversaire à son propre jeu. LFP Manager avait certes l'étoffe d'une équipe luttant pour le maintien - et qui a finalement mis la clef sous la porte - mais possédait quelques atouts dans son effectif dont se sont inspirés les dirigeants de Sports Interactive. On pense bien sûr à l'aspect social du titre d'Electronic Arts, mais également à cette quête vers l'authenticité via une interface plus colorée, plus plaisante, plus moderne. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, l'utilisation des logos des clubs ou des photos de joueurs, ainsi que la personnalisation de notre avatar -plus ou moins ressemblant- avec l'outil FaceGen, veut dire beaucoup. Tout comme compte la place prépondérante accordée au système de transferts et au scouting. Ces deux domaines ont été creusés par les développeurs et se rapprochent de plus en plus de la réalité et de l'infernal manège - petits arrangements, magouilles et rebondissements - qui anime les périodes de mercato. De la guerre d'influence entre les agents aux dérives du système (Brexit, TPO), du marché des jeunes cracks à celui des mercenaires du foot, c'est l'envers du décor de ces négociations qui est désormais pris en compte par Football Manager. Soit le temps du rêve et de toutes les possibilités.
Débriefing : La marque des grands
Le football, comme tous les autres sports collectifs, fonctionne par cycles. Gare donc à ne pas faire l'année de trop. On croit en effet maîtriser parfaitement son sujet et une lassitude se crée entre son mode de management et les attentes de sa communauté. Heureusement, Football Manager parvient à s'éloigner de sa zone de confort en trouvant des failles qui parlent aux joueurs, même aux plus anciens. Tout n'est pas parfait, les écueils historiques de la série étant encore présents - légers problèmes d'équilibre, infirmerie jouant à guichets fermés (la Gourcuff Touch, peut-être), manque de renouvellement dans vos répliques à la presse ou à vos joueurs, - mais quelque soit le mode choisi (partie rapide, Fantasy Draft, Create a Club), on retrouve immédiatement ce plaisir de plonger dans les abîmes d'un club qui ne demande qu'à grandir, cette curiosité de farfouiller aux quatre coins de l'Europe pour trouver la star de demain et cette névrose de développer un schéma tactique digne de Pep Guardiola. Il n'y a que nous, finalement, qui restons de grands enfants, prêts à sacrifier vacances, RTT et autres nuits pour une folle aventure en Ligue des champions.