Aragami est un jeu d'infiltration qui vient de pointer le petit bout de son nez sur PS4 et PC, et j'ai eu l'occasion de me pencher sur la version console de ce projet atypique, mêlant des mécaniques "old school" à une ambiance résolument plus moderne en termes de réalisation.
Depuis son annonce par le studio Catalan Lince Works en 2014, Aragami à parcouru pas mal de chemin. Il est produit par une toute petite équipe, dont les membres sont issus de la même école à Barcelone. Leur projet de fin d'études, un jeu nommé Path of Shadows, n'est ni plus ni moins qu'un prototype du titre qui nous intéresse aujourd'hui. Mais ce dernier a su évoluer, en passant par un Kickstarter notamment. Et malgré l'échec de ce dernier, le studio est parvenu à survivre, le jeu à changé de nom pour devenir Twin Souls, puis enfin, il y a quelques mois, après 3 années de travail, Aragami. Mais que vaut donc ce titre à l'aspect visuel si particulier ? Confirme-t-il les promesses de son prototype en nous proposant une expérience plaisante ?
Shadow Warrior
L'histoire commence par une nuit sombre, dans un Japon féodal de toute beauté, avec tout le charme que l'on peut lui trouver. Vous êtes un "Aragami", un esprit vengeur invoqué par Yamiko, une des servantes de l'impératrice locale. Cette dernière possède quelques pouvoirs occultes, qui lui ont permis de vous appeler, et d'apparaître sous forme de fantôme devant vous, alors qu'elle est emprisonnée avec sa régente par les forces de l'armée de lumière. Elle requiert donc votre assistance pour se libérer, et votre quête commencera par la récupération de cinq artefacts qui vont permettre de briser le seau qui la maintient enfermée. Au fil de votre avancée dans le scénario, chaque contact avec un de ces objets qui ont appartenu à un moment où un autre à Yamiko, va réveiller dans l'esprit de l'Aragami des visions, certaines liées au passé de votre invocatrice, mais aussi d'autres, que l'on imagine liées au passé humain de votre avatar fantomatique vengeur.
Dès lors, plusieurs questions se posent. Ces guerriers de lumière que vous assassinez à la chaîne, sont ils si mauvais que ça ? Les conversations que vous allez pouvoir épier entre eux, et leur clarté globale opposée à la noirceur de votre costume, posent véritablement la question de savoir quel est votre véritable but dans cette histoire. Faut il suivre aveuglément Yamiko dans sa quête de libération et de vengeance ? Ou faut il plutôt s'inquiéter de ce qui va arriver à votre enveloppe charnelle dont le destin s'annonce funeste, avec une disparition programmée si elle subit le contact de la lumière du jour... La narration se montre assez efficace, avec des cinématiques sous-titrés, puisque doublées à base de bruitages à la Zelda, entre chaque niveau et à chaque fois que l'histoire doit avancer, mais aussi quelques éléments plus cachés, comme ces conversations à épier ou des morceaux qui se déverrouillent en même temps que les objets à collecter. Mais la palme revient aux flashbacks, constitués de superbes dessins réalisés à la main, ce qui rappelle furieusement le procédé utilisé dans Alice Madness Returns.
Aragami Solid
Le scénario se montre donc assez convainquant, tout en étant soutenu par une direction artistique de haute volée. Le Japon moyenâgeux est très bien représenté dans des décors atypiques et variés allant du cimeterre à la forêt, en passant par de traditionnelles "tsunoyas" et leurs bassins zens, ainsi que moult "Torii", ces arches rouge-orangées si caractéristiques. On voyage vraiment, et le style graphique retenu, une sorte de cel-shading sans contours, qui n'est pas sans rappeler ce que l'on a pu voir sur certains titres comme Killer is Dead ou son ancêtre Killer7, renforce encore plus la prestance globale de l'univers. Ajoutez à cela les compositions musicales du Studio Two Feathers, qui bien que ne possédant pas un CV très folichon (Angry Birds 2 et pas mal de jeux mobiles, dont certains de la série des Toca, que vous connaissez forcément si vous avez des enfants/neveux), se montrent de bonne qualité générale, japonisantes au possible tout en gardant une bonne dose de modernité, et vous obtenez un mélange global détonnant, avec une identité très forte qui ne pourra pas vraiment vous laisser indifférent. Aragami est clairement une grande réussite sur tous ces points d'ordre artistique !
Et ce qui est bien dans tout ça, c'est que ce n'est pas sa seule force ! Le gameplay répond lui aussi présent, avec un aspect infiltration old school des plus réussis, tout en apportant son lot de subtilités et de spécificités. Dans des zones de plus en plus grandes et complexes au fil de votre avancée, patience et observation seront de mise, pour anticiper les déplacements ennemis, les isoler avec une diversion, puis les éliminer un par un sans se faire repérer, au risque de déclencher une alerte qui vous mettrait en bien mauvaise posture, vos adversaires étant sans pitié et vous tuant en un seul coup s'il vous mettent la main dessus. Pour vous aider, vous aurez accès à plusieurs techniques dévastatrices à débloquer en récoltant les parchemins disséminés dans le jeu, telles qu'un kunaï pour les attaques à distance, un vortex capable d'aspirer plusieurs ennemis ou encore d'autres pouvoirs plus passifs qui vous montrent la position des ennemis à travers les murs. Tous ces éléments ajoutent un tout petit aspect de customisation puisque ces compétences vont pouvoir être améliorées avec encore d'autres parchemins à ramasser.
Jeux d'ombres et de lumières
Néanmoins, il convient de le dire que le jeu reste assez difficile pour celui qui manque de patience, comme n'importe quel titre de la trempe d'un Metal Gear ou d'un Tenchu, et qu'il faudra recommencer de nombreuses fois certaines zones, apprendre le déplacement et la position de vos ennemis par coeur, et échouer à de nombreuses reprises avant de finalement réussir à passer cet obstacle qui vous à tant posé de problèmes. L'aspect old school, voire même "arcade", est aussi renforcé par un scoring omniprésent, associé à un système de classement en ligne, qui va pousser le joueur à refaire encore et encore les niveaux pour optimiser son efficacité ou tenter de décrocher une des médailles qui visent l'invisibilité absolue, l'anéantissent de tous vos ennemis ou, au contraire, le fait de n'en tuer aucun. Et dans cette idée de communauté en ligne et de score, les espagnols de Lince Works ont incorporé une fonctionnalité plus qu'appréciable, puisque la campagne est entièrement jouable en coopération, toujours dans un esprit de compétition et de scoring !
Comme dans d'autres titres du genre, l'ombre sera votre meilleure alliée. C'est d'ailleurs sur ce point que se cache véritablement la plus grande force de ce gameplay. De part votre statut d'Aragami, mystique et ténébreux, vous allez avoir accès à une fonctionnalité plus que sympathique : le déplacement des ombres. Si vous attendez dans une zone sombre, vous pourrez vous téléporter dans une autre se situant au loin, pour vous rapprocher d'un ennemi, ou fuir ce dernier ! Ce principe s'avère assez jouissif, puisque si un des guerrier de la lumière vous fait face dans la pénombre, vous pourrez vous téléporter juste derrière lui pour un assassinat furtif des plus stylés ! Vous pourrez faire de même avec d'autres surfaces telles que des murs, des poutres, ou même le plafond pour varier les plaisirs et les possibilités d'exécution. Ajoutez à cela la possibilité de créer une zone d'ombre dans le dos ou en face d'un ennemi qui se trouve dans la lumière, et vous obtenez une jouabilité vraiment grisante, ou votre toute puissance dans la pénombre n'a d'égal que votre vulnérabilité dans la lumière. En effet, outre l'aspect téléportation, l'ombre revêt une autre importance de taille. Vos pouvoirs de téléportation et de création d'ombre ne sont pas illimités, et ne se rechargent que lorsque vous vous tenez dans la pénombre. Dans la lumière, l'histoire est toute autre : votre cape, qui sert de HUD en affichant le remplissage de vos pouvoirs, devient alors rouge, pour bien signaler le fait que vous êtes visible, et vos pouvoirs se déchargent. Un excellent moyen de laisser le joueur vulnérable et garder la pression sur lui.
Des imperfections
Mais alors, avec ce gameplay aux petits oignons et cette ambiance plus que réussie, le studio Lince Works serait-il en tain de friser la perfection avec ce qui est seulement son premier jeu commercial ? Pas tout à fait. Agamari n'est pas exempt de défauts. Surtout dans son aspect technique. À commencer par un framerate loin d'être optimal sur la version console que j'ai pu tester. Bien souvent, lors des exécutions ou des grands mouvements de caméra, ce dernier chute de façon assez spectaculaire. Les graphismes, sublimés par la charte visuelle du titre, ne sont pourtant pas parmi les plus fin que j'ai pu observer dans ma vie de joueur. Les modèles 3D restent assez réussis, mais les décors souffrent un peu plus d'une modélisation et de textures parfois grossières. Et toujours dans la partie visuelle, le jeu sur les ombres et les lumières n'est parfois pas très fin, la distinction entre une zone d'ombre et une autre de lumière ne se faisant pas toujours du premier coup d'oeil. On peut aussi noter quelques imprécisions dans les commandes, et surtout la visée, qui s'avère bien souvent capricieuse lorsque l'on veut se téléporter dans une zone au loin ou en hauteur... Et si d'autres petites erreurs de game design se sont aussi glissées, avec une IA pas toujours super réactive après une alerte, ou encore des objectifs de missions pas toujours très clairs, ne montrant pas forcément la toute petite grotte à emprunter dans la gigantesque zone que vous venez de nettoyer, il est vraiment difficile de faire la fine bouche tant le jeu regorge de qualités et d'une durée de vie pouvant aller de 10 heures à bien plus pour les "complétistes", le tout pour un prix plus que raisonnable.