Un premier jeu, pour un studio, c'est toujours quelque chose. Et comme KIRO'O Games est camerounais et que le projet, sur lequel il planche depuis 13 ans, devient l'ambassadeur du jeu vidéo issu d'Afrique Centrale, on entre dans le domaine de l'historique. Avec tous les yeux de ceux qu'il a charmé durant sa gestation désormais braqués sur lui, Aurion : L'Héritage des Kori-Odan n'a plus le choix et doit prouver sa valeur.
Enzo Kori-Odan et Erine Evou vont se marier. Cette union va sceller leur destin. Au terme de la cérémonie, ils seront roi et reine d'un pays dans lequel ils sont aimés. Adorés, même. Souverains de Zama, le royaume qui n'a pas de murs, quelle belle (et un peu effrayante) perspective. Mais la cérémonie est interrompue. D'une fête on passe au drame. Des ennemis inconnus surgissent. Le palais est envahi. Un coup d'Etat éclate. C'est Ngarba, le frère d'Erine qu'on rebaptiserait volontiers Tarba. L'affrontement est inévitable. Mari et femme s'unissent pour repousser le gredin. Ils parviennent à faire bonne figure... Avant de s'évanouir. Au réveil, ils sont loin de chez eux. Exilés, ils vont devoir traverser ce monde dont ils ignorent tout pour rassembler leurs forces et reconquérir le trône. Un voyage initiatique qui va changer leurs perspectives. Et celles du monde avec.
L'Afrique, c'est chic
Les jeux de rôles, qu'ils proviennent du Japon ou qu'il soient occidentaux, auraient tendance à se reposer sur les mêmes inspirations, les mêmes mythologies, les mêmes types de musiques ? Les surprises n'existent plus ? Que soit loué Aurion, alors. Car en lieu et place d'un énième univers peuplé de dragons ou de trolls qui pourrait éventuellement dériver vers quelque chose menant vers des affrontements entre mechas - en compagnie d'une bande de jeunes protagonistes stéréotypés à souhait -, on a droit au dépaysement le plus total.
Sur la planète Auriona, on baigne dans l'African-Fantasy, inspirée de mythologies, de traditions et d'histoires venues du Berceau de l'humanité. Et de fort belle manière. Les différents environnement traversés, le character design, les costumes, les architectures, le bestiaire... tout l'univers entièrement dessiné à la main de cet Action-RPG 2D paraît chaleureux, épicé. Des plaines verdoyantes entourant Zama aux villages les plus modestes et les plus reculés, on est immédiatement charmé. Quand bien même les animations des personnages à l'écran, au premier comme au second plan, sont victimes d'un découpage qui apparaît un peu haché, on n'éprouve aucune peine à voir là un dessin-animé interactif qui n'est pas sans évoquer certains produits en France ou au Bénélux dans les années 80, comme l'adaptation de Rahan, ou encore, par certains aspects, le très génial Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot. Ravissant. Quant aux mélodies, elles proposent des sonorités presque inédites, entre tradition et modernité, nous transportant vers d'autres plans. Mais elles ne sont malheureusement pas assez nombreuses et reviennent, pour certaines, un peu trop souvent à nos oreilles.
Ki est Ki ?
L'évasion est-elle totale ? N'y a-t-il rien qui relie le jeu de KIRO'O au reste du troupeau RPG ? En réalité, si. Car s'il a une identité forte, Aurion ne manque pas non plus d'afficher ses inspirations. La première, des plus évidentes : la série des Tales of... La représentation et le déroulement des combats (précédés d'un chargement disgracieux) n'est pas sans évoquer les RPG de Bandai Namco. On est dans l'action en temps réel, sur un seul plan. Et pour rendre le tout plus vivant, les développeurs ont dégainé une seconde inspiration : Dragon Ball Z. De l'oeuvre de Toriyama, on retrouve le dynamisme, le côté aérien. Durant les affrontements, Enzo peut se déplacer à toute vitesse, frapper de sa lame dans des combos quasi-infinis (pour peu que les collisions ne se foirent pas et que l'ennemi ne s'étale pas sur le sol, position qui l'immunise, sûrement pour des questions d'honneur). Le héros, qui a aussi le loisir de transformer son arme en bouclier, peut également compter sur deux atouts de taille...
D'abord, sa maîtrise de l'Aurion, énergie mystique qu'on pourrait comparer au Ki manipulé par Son Goku et ses amis. Se rechargeant en se concentrant ou en gobant les mets dédiés aux Points d'Aurion (AP), cette jauge lui permet de lancer le mode Héritage. Suivant l'élément choisi, il accède alors à un état qui lui permet de lancer des attaques beaucoup plus dévastatrices (et gourmandes), à base d'un des quatre éléments ou encore de lumière, d'ombre ou des forces de sa propre lignée. La suite lui procurera la possibilité de procéder à des fusions pour des résultats encore plus balaises et qu'il faudra manier en fonction des faiblesses ennemies. Indispensable, surtout face à des Boss qui sont presque insensibles aux coups simples, l'Aurion devient vite plus important que le plaisir de réaliser des enchaînements, y compris face à des monstres qu'il faut frapper à des endroits précis. Et une mécanique routinière, s'appuyant en partie sur le deuxième avantage d'Enzo, à savoir son épouse que l'on peut invoquer à l'aide d'une gâchette pour se soigner ou lancer d'autres sorts, s'installe. Elle consiste à littéralement spammer l'adversaire d'attaques aurioniques, avant de s'éloigner, recharger ses AP tout en étant régénéré par Erine. Et, si cela est nécessaire, utiliser les objets consommables. Ce qui peut vite lasser. Heureusement, il n'y a pas que le combat dans la vie.
Aurion, en coeur
Durant son aventure d'une bonne vingtaine d'heures faite d'exploration assez linéaire (avec équipement à récupérer, acheter et revendre et autres bonus à appliquer), de plateforme, de puzzles, et d'une mappemonde sur laquelle on pourra choisir d'enclencher ou non une baston pour grinder un tantinet, Aurion dispose d'une carte maîtresse qui fait oublier nombre de ses maladresses de gameplay : son histoire et ses personnages. De prime abord simpliste, la trame déroule rapidement des figures attachantes, des situations clairement plus matures et complexes qu'escompté et des rebondissements assez inattendus, jusqu'à un final épique qui se déguste avec délectation. Et Enzo et Erine, qu'on a immédiatement envie d'aimer, qui apprennent avec nous, vont voir leur complicité, leur amour, mis à rude épreuve. Leur relation, basée sur un respect mutuel, subira certains tumultes. Pas toujours très sérieux par ailleurs, quand la jalousie commencera à émerger.
En parlant de sérieux, si le ton donné à cette reconquête du pouvoir ne manque pas violence (avec des cinématiques, comme la toute dernière, assez mémorables), de moments tragiques, de trahisons, s'il est très souvent question de thèmes forts impliquant les racines, les rapports entre les peuples, l'esclavagisme forcé, la corruption et des idéaux contestables, la légèreté n'a pas oublié s'inviter à la fête. On citera certains personnages hauts en couleurs, comme un prince porté sur l'alcool et la drague, des dialogues et situations vraiment cocasses et... des dictons et expressions typiques, tellement imagés, tellement simples et tellement drôles, qu'on en pardonne les différentes coquilles aperçues ici et là. La magie africaine, sans aucun doute.