Licence solide d'Ubisoft, Far Cry a prouvé sa valeur avec les deux derniers épisodes en date. Mais quand bien même il débordait de qualités et changeait de cadre, Far Cry 4 avait une tendance assez nette à reproduire de façon quasi-identique les mimiques de l'excellent Far Cry 3. Avec Far Cry Primal, les développeurs affichent un changement étonnant dans la forme... mais le fond étonne-t-il tout autant ?
Takkar chassait peinard avec son crew. Un petit mammouth, pour se dégourdir les jambes et se remplir la panse avant la nuit. Cela aurait dû être une affaire pliée rapidement. Mais un tigre à dents de sabre vilain comme un pou et passablement énervé a eu des envies de massacre d'humain pile à ce moment-là. Tout le monde y est passé, sauf Takkar. C'était sale. Choquant. Et le héros, en miettes, de devoir fuir avec une mission sacrée en tête : se rendre au Pays d'Oros, retrouver les membres de la tribu Wenja éparpillés pour les réunir en un point où ils pourront enfin prospérer. Mais y'a comme un os : d'autres clans, les Udam et les Izila, qui considèrent les Wenja comme fragiles, ont bien l'intention de les écraser. Et si Takkar prenait les devants ?
J'ai la conquête qui colle
Far Cry se mange 10.000 ans dans les dents et envoie le joueur dans un trip façon La Guerre du Feu. Voilà qui oblige la série, et on ne s'en plaindra pas, à revoir un tantinet son approche globale. On vous rassure : les bases, solides et efficientes, demeurent. Il est toujours question d'action et de discrétion en vue subjective. Toujours question d'explorer librement un monde ouvert, de conquérir la totalité d'une région inhospitalière, dont les contours se révéleront à mesure qu'on libérera des avant-postes contrôlés par des poignées de sauvages - sans escalade de tour de communication, cela va de soi.
Toujours question aussi de composer avec une faune qui n'est pas faite que de paisibles herbivores sans défense. Toujours question enfin d'accomplir différentes missions entre bastons sanglantes et infiltration, de séduire de potentiels alliés et de renforcer ses compétences et ses moyens logistiques. Moyens forcément éloignés des habitudes contemporaines des précédents volets. Oubliez la thune, les flingues, lance-flamme, ULM, barils rouges qui pètent à la moindre étincelle, les bagnoles, jet-skis et même deltaplanes. Place aux sagaies un peu raides, aux arcs silencieux mais faiblards, aux gourdins patauds, aux frondes et à quelques fantaisies un brin anachroniques...
Baby, you can drive Takkar
Le Pays d'Oros regorge de trésors. Le premier d'entre eux : ses environnements. La découverte des vallées verdoyantes, forêts aux herbages denses et hauts, des cours d'eau, chute et lacs ravissants, des zones rocheuses, plus fraîches ou plus arides selon la latitude et des semblants de lieux de vie s'effectue avec des étoiles dans les yeux. Surtout lorsque l'on se retrouve entre chien et loup ou que le soleil ou la lune laisse filtrer leur lumière au travers des arbres ou à la surface de l'eau. Et suivant les lieux, les teintes offrent un spectacle qui donne souvent envie de se poser quelques instants et de contempler, en oubliant le taf. Le moteur date peut-être, le résultat n'en est pas moins somptueux.
Les animaux, nombreux et variés (on trouve des chèvres, cerfs, ours, rhinocéros laineux, yaks, blaireaux, loups, cerfs, mammouths et des tapirs préférant la nuit) ont bénéficié du même traitement, tant en termes de rendu que d'animations. Quant aux humains, les accoutrements rattrapent pas mal de modélisations génériques et gestuelles pas toujours bien assurées. Question ambiance, c'est le sans faute. D'abord parce que, pour soigner l'immersion lors de vos rencontres avec des bipèdes doués de parole, les équipes ont opté pour un langage spécifique (une adaptation du proto-indo-européen chapeauté par deux linguistes). De fait, sous-titres pour tout le monde. Pas trop petits, aucune inquiétude. Enfin, piaillements, hurlements lointains et grognements divers mettent rapidement vos sens en éveil. Et donnent le ton sur la façon d'avancer. Mieux vaut éviter de la jouer Juan Manuel Fangio (surtout dans la pénombre, même si certaines bestioles - pas toutes - fuiront les torches). La furtivité, profiter de la végétation dans la peau d'un chasseur, ça a du bon. Surtout au début.
Tribal j'aime
C'est qu'on commence littéralement à poil. Il va donc falloir faire le plein de ressources. Plantes, arbres, roches et argiles, viande et bien entendu peaux de bêtes vont venir à votre secours pour que vous puissiez sortir de la position accroupie presque obligatoire si vous souhaitez une progression sans mauvaise rencontre et la possibilité de ne pas effrayer du gibier ou attirer un prédateur à vos petites fesses poilues. Les premières armes émergeront, mais pas très efficaces ni résistantes, même si ça suffit à fracasser ou transpercer des crânes.
Pour gagner en force de frappe, il va falloir se faire des compagnons spécifiques. Ils devront être recrutés, vous obligeant à accomplir des missions périlleuses (ou subir des hallucinations, Far Cry oblige) en vue de gagner leur confiance. Mais grâce à eux, vous pourrez accéder à de nouvelles compétences, l'expérience aidant. Vous pourrez vous renforcer physiquement, faciliter la cueillette, les compétences de combat ou l'usage de pièges et de bombes (oui, des bombes, sachez qu'il y a aussi un grappin pour des endroits spécifiques et qu'on se repère avec un GPS...), affiner votre vision de chasseur qui met des éléments en surbrillance jaune ou rouge façon The Witcher III et le domptage. Tout ça pour varier les approches face aux ennemis ou grosses bébêtes.
Animal, animal
Parmi les nouveautés de ce Far Cry Primal, le lien du protagoniste avec certaines espèces dangereuses qui peut s'améliorer en un clin d'oeil. Là où Kevin Costner met des mois à faire copain-copain avec un loup, Takkar, lui, lance un appât et, suivant son degré d'affinité (qui dépend d'une pratique assidue et d'un des arbres de compétences), peut s'approcher accroupi et apprivoiser canidés, pumas, ours, tigres et j'en passe, façon Chris Pratt, les mains en avant. Le voilà alors avec un compagnon velu qui pourra lui obéir et attaquer une cible désignée - décéder aussi, mais heureusement, la réanimation est possible. Et, dans le cas des plus robustes, effrayer certaines meutes et servir de monture.
Une petite opération de dévastation à dos de mammouth ou de tigre à dents de sabre, ça le fait. Sauf que, pour les avant-postes gardés, ça peut vite tourner au vinaigre, des renforts signifiant souvent le décès. C'est là que peuvent intervenir vos capacités en infiltration, sachant que les humains ont des temps de réaction variables, ou d'autres artifices comme les fameuses bombes citées plus haut (à abeilles ou encore à poison, qui font s'enrager ses victimes) ou votre chouette. Le sniper et les jumelles n'étant pas d'actualité, vous disposerez en effet d'un rapace capable de faire du repérage et marquer les ennemis. Plus tard, il larguera même des bombes et effectuera des piqués meurtriers. Ouch.
Légaliser les Wenja
Et on ne vous a pas dit, mais tout le matos ramassé servira autant à confectionner l'essentiel de votre inventaire qu'à bâtir le top du top des huttes pour vos "lieutenants". A chaque niveau de confort supplémentaire pour votre grotte ou leurs bâtisses, des bonus supplémentaires émergent. Et de petites quêtes personnelles, parfois touchantes, parfois très, très drôles, surgissent. Même si on aurait aimé des contacts qui ne se limitent pas à des cinématiques, on apprécie vraiment certaines de ces figures assez atypiques et vous couvrant parfois de sobriquets peu glorieux, mais qui prêtent à sourire.
Cette petite vie de village contribue à rendre la progression toujours plus agréable, et plus simple. A partir de certains paliers, les avantages seront conséquents, dont des ressources qui poppent quotidiennement près des feux de camp et points de voyage rapide. Et autant vous le dire, pour atteindre le maximum d'habitants, comme pour se farcir toutes les missions semées à travers la map et retrouver tous les objets à collectionner, il va falloir préparer le thermos et ne pas regarder sa montre, la carte se montrant des plus fournies.
Pour être libre
Une map pleine d'activités et d'objets à crafter, certes. Mais sur la longueur, ça donne quoi ? Une chose est sûre : les dix premières heures s'opèrent dans la joie et l'allégresse. Prise en mains instinctive, interface bien conçue avec raccourcis vers armes, animaux et soins de bon aloi, plaisir de la découverte, montée en puissance... tout roule. On pardonne les quelques problèmes d'I.A., pas toujours très alerte quand les headshots pleuvent ou par la raideur de quelques corps à corps.
Mais il est vrai qu'une fois acquises certaines capacités, et désarmé par une trame assez grotesque, sans véritable rebondissement, surprise tonitruante, ni antagoniste marquant, on convient qu'une certaine routine s'installe. Et que même si l'on continue sans réellement bouder son plaisir, les mêmes phases aléatoires de délivrance de prisonnier, d'assaut sur un avant-poste, de traque un peu longuette, d'escorte, de récupération de différents artefacts, de défense d'une place forte, sans rebondissement, ça peut user. Si bien que, hormis si l'on est vraiment porté par l'ambiance au point d'être frappé par une collectionnite aigüe (et il y a ce qu'il faut, vraiment), on peut ne plus trouver beaucoup d'intérêt à creuser davantage une fois la quête principale achevée - comptez 15 à 20 heures max. D'autant que tout se fait seul, la coopération de Far Cry 4, qui aurait eu toute sa place ici, ayant été jetée aux orties. Reste une bonne expérience quand même, crue, violente et dépaysante, mais qu'on aurait aimé plus farouche.