Après Kirby, c'est au tour de Yoshi de passer entre les petites mains de Good-Feel pour se faire rhabiller de laine. Un simple changement de look, ou une manière d'affirmer chaleureusement sa différence ?
Voilà bientôt vingt ans, Yoshi's Story avait ébahi les possesseurs de N64 grâce à ses graphismes saisissants. Leurs textures très détaillées laissaient transparaître la nature des matériaux utilisés dans la fabrication des décors, comme le carton, le bois ou le tissu. Un rendu certes moins artistique que le crayonnage de Yoshi's Island, mais dont l'aspect organique flattait langoureusement la rétine. Yoshi's Woolly World s'inscrit dans cette approche, avec la laine en guise de matière première pour façonner son univers, dans la lignée de Kirby : Au Fil de l'Aventure. Si le Pays de la Courtepointe se montrait déjà fort soyeux, la haute définition permet à Tricot'île d'étaler toute la finesse de ses textiles, au point de les confondre avec de véritables fibres. Les personnages sont ainsi retricotés, parfois d'un simple liseré de fil du plus bel effet, tandis que les environnements mêlent une multitude de maillages, du jersey aux torsades en passant par la dentelle. Au regard d'un travail de couture si soigné et inspiré, cet ouvrage fait main mérite d'emblée de figurer parmi les oeuvres vidéoludiques les plus abouties sur le plan visuel.
Cachemire Land
D'autant que ces tapisseries ne sont pas non plus figées à l'amidon, à l'image de la neige cotonneuse dont on doit s'extirper, ou des flammes filandreuses que Yoshi peut transporter dans son bec. De même, le sol duveteux s'enfonce sous les pas de notre dinosaure, qui détricote les ennemis pour les gober et les transformer en pelotes plus ou moins grosses. A part cette touche de laine, sa panoplie de mouvements s'avère quasiment identique. Tout juste remarque-t-on un surcroît d'aisance dans l'enchaînement des sauts planés, probablement en raison de la légèreté du mohair qui diminue l'impact de la gravité. Cela rapproche encore le gameplay de Yoshi et de Kirby, a fortiori de l'opus également signé Good-Feel, jusqu'à se demander si le studio nippon ne se serait pas contenté de tricoter une suite rhabillée à la mode préhistorique. Les similitudes sont frappantes, en témoignent les éléments à dénouer pour faire apparaître des passages ou obtenir des objets dissimulés dans les murs molletonnés. Cependant Kirby avançait un peu à contre-courant, privé de sa bedaine et donc de son pouvoir d'absorption des aptitudes adverses, alors que pour Yoshi, cette démarche semble cousue de fil blanc.
Filiation assumée
En fait, Woolly World s'apparente à un patchwork de toutes les composantes traditionnelles de la série retissées en laine, et cette tenue lui va comme un gant. Ainsi nombre de situations proviennent de précédentes aventures de Yoshi, voire de celles d'autres compères du Royaume Champignon, par exemple la grimpette sur des toiles d'araignée qui rappellent les grillages de Super Mario World ou les lianes suspendues façon Donkey Kong. Du coup ces stratagèmes fonctionnent non seulement sans accroc, mais leur délicate déclinaison textile en renforce le charme. Car le tricot nécessite de suivre ses règles point par point, une méthode que Yoshi applique méticuleusement, grâce à une maniabilité de velours. Évidemment, l'innovation se situe plus dans la forme que sur le fond, ce qui n'empêche pas l'émergence de quelques bonnes idées, à l'instar des rideaux en contre-jour pour n'en citer qu'une. Les plus audacieuses exploitent toute l'étendue des possibilités de Yoshi et résident dans les fameux niveaux spéciaux, qui donnent davantage de fil à retordre. Woolly World se révèle en effet sensiblement plus rêche que le Fil de l'Aventure, malgré son air si douillet soutenu par des musiques guillerettes à souhait.
Doux comme un dinosaure ?
Au delà d'un scénario qui a encore rétréci au lavage - le vilain Kamek a détricoté les congénères de Yoshi pour les kidnapper - il est de nouveau possible de mourir ici. Les vies demeurent néanmoins infinies, avec un retour au dernier point de contrôle en cas d'échec. Dans l'absolu, terminer un niveau relève d'une partie de plaisir pour les habitués du genre, de même que d'en découdre avec les Boss, franchement rigolos à défaut de disposer d'accoutrements vraiment originaux. En revanche la collecte de tous les items, souvent malicieusement cachés, constitue une quête nettement plus ardue, et longue. En plus de requérir un certain doigté, la plupart des stages encouragent l'exploration, en particulier ceux qui disposent d'une architecture labyrinthique. Dommage que les check points quelquefois maladroitement placés rendent ces promenades un tantinet moins exaltantes qu'escompté. Pas de quoi se mettre les nerfs en pelote, puisque le mode "relax" activable à tout moment sans le moindre malus permet de voler indéfiniment, de profiter d'un gain de santé et de revenir directement au Boss suite à une (improbable) défaite.
Badges sur mesures
Ces aides ne conviennent pourtant pas à toutes les circonstances, y compris avec l'invincibilité octroyée lors d'un sévère blocage. Heureusement, des badges de puissance glanés au fil de la progression répondent à des besoins spécifiques, tels que l'immunité au feu, l'aimant à objets ou la visualisation de ceux camouflés. Les bonus se destinent donc majoritairement à compléter les objectifs, mais quelques-uns font redécouvrir les niveaux sous un angle différent, par exemple avec le fidèle Poochy ou des (cryo)pastèques à volonté. Ce principe prend carrément des allures de système d'évolution, fatalement limité par l'impossibilité d'utiliser plusieurs badges simultanément, de leur durée restreinte à un stage et de la coquette somme de perles que coûtent les plus puissants. Une chose est sûre, terminer chacun des niveaux avec l'ensemble des fleurs, des écheveaux, des tampons et éventuellement des coeurs se révèle stimulant, dans la perspective de déverrouiller respectivement les stages spéciaux, des Yoshis d'autres couleurs et des motifs voués au Miiverse. Surtout que ces recherches peuvent s'effectuer en duo, pour peu que l'on sélectionne ce mode avant de se lancer.
La fibre conviviale
Les fonctionnalités ergonomiques du GamePad n'étant aucunement mises à profit, à l'exception de son rôle d'écran secondaire, chacun a loisir d'opter pour n'importe quelle manette. Encore une illustration du classicisme de Woolly World, tant la Wiimote s'impose comme un excellent choix avec la visée au gyroscope héritée de Yoshi's New Island. Cette facette coopérative calquée sur le modèle de New Super Mario Bros. Wii facilite certaines manoeuvres : Le second Yoshi sert tantôt de trépied ou de projectile de fortune, des usages bien pratiques pour atteindre des objets en hauteur. Revers du chandail, ces interactions suscitent des anicroches dès qu'on s'emmêle les peluches. Il arrive régulièrement que l'on avale par erreur son camarade (avec ses pelotes) pour le recracher bêtement dans le vide, ou qu'un de tir de pelote perdue le déséquilibre. Naturellement, de tels accidents ne sont pas toujours involontaires, toutefois ces moments chaotiques surviennent durant les sections plus tendues, encore aggravés par le manque de lisibilité qu'occasionnent le bref clignotement d'un Yoshi blessé et le léger zoom arrière de la caméra quand nos deux dinos commencent à s'éloigner.
Angoraphobes s'abstenir
Ensuite, celui qui reste à la traîne se retrouve dans un oeuf volant, idem après une malencontreuse dégringolade, le temps que son compère le délivre, sachant qu'appuyer sur un bouton permet de forcer le sort. Hélas celui-ci s'avère parfois funeste, notamment au cours des séquences de métamorphoses, toujours aussi sympathiques en solo. S'il est jubilatoire de se muer en géant pour détruire tout ce qui se dresse sur son chemin, ou en avion afin de se livrer à une petite séance de shoot'em up, la "rééclosion" quasi automatique rend les phases en moto assez pénibles. Les joueurs expérimentés auront donc tendance à garder les néophytes sous leur aile pour éviter de se chamailler, quitte à donner l'impression qu'ils (sur)vivent à leurs crochets. Mais c'est tellement plus chaleureux que de se débrouiller tout seul avec un double Yoshi, qui apparaît en posant son amiibo sur le GamePad. L'intégralité de la gamme de figurines étoffe ainsi la liste des costumes, interchangeables à la volée, un argument irrésistible pour les plus jeunes. Par conséquent tout le monde y trouvera son compte, Yoshi's Woolly World parvenant réellement à lier les générations. Comme le tricot, l'art de la plateforme colportée par notre dinosaure n'appartient pas au passé, tant qu'on y accorde suffisamment de soin pour le remettre aux goûts du jour.