Très prolifique en cette fin d'année, Ubisoft livre sa dernière cartouche de 2014 avec The Crew, son fameux jeu de course aux allures de MMO, qui impressionne vraiment par la taille de son monde ouvert... mais qu'en est-il du reste ?
Impossible d'aborder The Crew sans parler de son terrain de jeu titanesque. Jamais monde ouvert n'avait été si grand dans un jeu de course... et dans un jeu tout court ? Probablement, si l'on exclut les univers infinis comme Minecraft ou le futur No Man's Sky. Les développeurs d'Ivory Tower ont en tout cas choisi de proposer aux joueurs d'avaler des kilomètres et des kilomètres de routes, sur l'ensemble des Etats-Unis, du Nord au Sud et de la Côte Est à la Côte Ouest. Ce n'est évidemment pas une reproduction 1 pour 1 des States, l'idée étant simplement de nous proposer de traverser toutes ces régions nord-américaines dans leur grande diversité (Les Rocheuses, Las Vegas, Los Angeles, New York, Miami...), tout en voyant les choses assez grand pour donner l'impression de véritablement voyager lorsqu'on se rend ne serait-ce que d'une ville à une autre.
Et l'effet est franchement réussi. Concrètement, il faut facilement conduire une bonne heure pour traverser la map d'Est en Ouest, ce qui en soi donne un peu le vertige et rend la progression franchement agréable. D'autant que la variété est de mise, forcément, mais aussi et surtout que les développeurs ont placé tout un tas d'éléments surprenants ici et là, de jolis points de vue, et bien sûr... des tonnes de challenges à relever. Ainsi, lorsqu'on se rend d'une mission scénaristique à une autre pour la première fois, et qu'il faut donc se taper toute la route (les fois suivantes on peut faire un "voyage rapide", une téléportation quoi), des tonnes de challenges comme des slaloms, des défis vitesse, etc., viennent rendre ce moment de voyage plus ludique... et littéralement engloutir votre temps de jeu. J'en ai encore des cernes. Mais cette première grande qualité est-elle à elle seule un gage de qualité pour le jeu tout entier ? Pas sûr...
La taille ne fait pas tout
The Crew reste avant tout un jeu de course et un bon jeu de course doit avant tout savoir livrer un gameplay intéressant. De ce côté, on touche cette fois plus à un défaut qu'à une qualité. Le jeu souffre en effet d'un déficit en termes de conduite, pour commencer. Par rapport à un Forza Horizon 2 (ou à un DriveClub dans une moindre mesure), les sensations sont pour le moins "banales", et pour cause : rien dans le moteur physique ne permet de réellement prendre son pied en conduisant. Les choses s'améliorent certes lorsqu'on monte en gamme dans les véhicules, mais concrètement les véhicules donnent la désagréable impression de pivoter sur un axe de manière un peu grossière, et surtout exactement de la même manière quel que soit le revêtement... Pas vraiment digne d'un jeu de caisse en 2014. Rien d'injouable pour autant, rassurez-vous, mais juste un manque flagrant de profondeur dans le pilotage.
D'autres éléments liés au gameplay viennent ternir l'expérience de jeu, comme par exemple les collisions bizarres, que ce soit avec le décor ou les autres véhicules. Elles ne sont absolument pas réalistes et souvent complètement exagérées ou incompréhensibles. Bref, entre ça et la conduite sans relief, c'est à peu près tout le moteur physique de The Crew qui déçoit.
Autre élément assez agaçant : l'intelligence artificielle des adversaires, qui "triche" allègrement durant les courses via cette fameuse " IA élastique" : les premiers ralentissent, les derniers vous doublent en pleine bourre... un principe qui devient d'ailleurs complètement hallucinant avec les bagnoles de la police, qui vous prennent parfois en chasse après quelques infractions dans leur champ de surveillance. Ces dernières sont juste propulsées comme des fusées atomiques venues du futur... et peuvent passer à l'envi à travers les éléments du décor ou les voitures de la circulation (on croirait presque un bug au début, mais non, c'est prévu comme ça !).
Grand = moche ?
Enfin, si Ivory Tower a réussi le tour de force de réaliser un terrain de jeu si gigantesque et varié, cela semble avoir été fait également au détriment de la réalisation graphique... Le jeu n'est pas "moche", comme certains de mes collègues ont pu le dire en passant rapidement derrière moi durant mes sessions de jeu... disons tout du moins qu'il peine à convaincre sur sa "nextgénitude". Concrètement, il souffre de popping (des éléments de décor qui apparaissent comme par magie à l'horizon), d'aliasing (crénelage, ou effet d'escalier qui fait scintiller l'image), ainsi que d'une modélisation disons... "sommaire" sur les différents véhicules de la circulation. Pas de ralentissements venant pénaliser la jouabilité, en revanche. Heureusement dirons-nous, avec un niveau technique si moyen. Ce qui est sûr donc, c'est que malgré des efforts esthétiques (il y a de jolis paysages, la variété est de mise et les éclairages eux, comme souvent sur les consoles new-gen, sont bien foutus), The Crew ne donne pas vraiment une satisfaction immédiate aux joueurs qui se sont payés une console nouvelle génération et attendent de s'en prendre plein la gueule.
Et pourtant, c'est un bien beau brouillon...
Malgré cette enfilade de petites déceptions, je dois pourtant avouer avoir passé un bon moment avec The Crew, car il apporte malgré tout beaucoup de bonnes choses au petit monde des jeux de course. Comme dit plus haut, son monde ouvert énormissime offre d'abord une vraie satisfaction côté découverte, exploration et sentiment d'immersion. Les missions et autres challenges sont vraiment ultra nombreux et, à part dans quelques zones désertiques, ils couvrent de manière efficace à peu près toutes les zones de la map, offrant en permanence des choses à faire avec mine de rien une certaine variété (courses classiques, checkpoints, interceptions, poursuites avec la police, sur route ou hors-pistes, et parfois dans des lieux surprenants comme un aéroport avec ses avions qui décollent et atterrissent...).
Par ailleurs, la structure même du jeu est fort intéressante, avec cette évolution en niveaux qui se fait via l'équipement (qu'on installe à la volée), ainsi que ces voitures qui peuvent être transformées au fil du temps du modèle "full-stock" (voiture de base) aux préparations "street", "dirt", "raid" et enfin "course"... Tout est bien pensé et bien "rangé", le multi compétitif peut d'ailleurs être lancé alors même qu'on est en free-run, avec un matchmaking qui vous laisse vivre votre vie le temps de trouver des concurrents (c'est souvent bien long). En revanche, le multi coopératif, sur lequel est mis l'accent (le terme même "Crew" viens de là, car on peut constituer une équipe de 4 à tout moment) reste un petit échec, tant il manque d'intérêt. Disons qu'il part d'une bonne intention, mais qu'au final les joueurs sont si peu nombreux (ou si mal trouvés par le CPU) et les bénéfices de jouer en coopératif si peu visibles, qu'on abandonne vite l'idée même de faire la campagne principale autrement que seul dans son coin, ce qui est un peu dommage dans un jeu du genre, qui par ailleurs nécessite une connexion permanente et obligatoire aux serveurs d'Ubi (souvent en maintenance durant ma période de test, m'empêchant purement et simplement de jouer, même seul).
A propos de jouer seul dans son coin d'ailleurs, notons la présence d'un vrai scénario vous accompagnant tout au long des sessions de jeu... enfin "vrai scénario"... on est plus proche du vrai nanar en réalité, genre Fast & Furious du pauvre, mais bon... l'effort a au moins été fait pour nous impliquer et donner un but à cette succession de courses, qui pourra durer des dizaines et des dizaines d'heures. J'aurai du mal à quantifier tout cela d'ailleurs, mais au même titre que Forza Horizon 2, vous en aurez clairement pour votre argent de ce côté-là, aucun doute là-dessus.
Bref, à partir du moment où l'on est prêt à lui pardonner ses quelques errances et sa réalisation pas super clinquante (loin de là), The Crew offre un vaste challenge sur un terrain de jeu non moins gigantesque, qu'on prend finalement pas mal de plaisir à parcourir de bout en bout. A vrai dire, il serait de bon ton de croiser les doigts pour qu'Ubisoft tente malgré tout de remettre le couvert avec une suite, car cette équipe d'Ivory Tower a indubitablement des idées et du talent, assez en tout cas pour transformer ce joli brouillon en très bon jeu la prochaine fois. Qu'on leur donne du temps, des ressources et des moyens ! Et de la bière (avec modération).