Soyons lucides. Les années 2000 n'ont que rarement brillé dans le domaine du RPG japonais. L'Omaha Beach est encore plus flagrant quand on se souvient des années 90, rythmées par des jeux cultes qui peuplent encore assez nos mémoires pour nous être régulièrement servis en remake. Xenoblade Chronicles nous arrive en point final de cette décennie, puisant dans ce qui s'y est fait de mieux (car il y a eu du bon), à la manière d'une F.A.Q. labélisée "Comment faire des RPG cultes en 2011".
Ceci est une mise à jour du test de la version import. A noter que la version européenne propose les voix en japonais ou anglais, et l'intégralité des textes et sous-titres en français.
Mais tout d'abord, accueillons tout de même le professeur de cette session exceptionnelle, Monsieur Tetsuya Takahashi, vieux routard au CV conséquent puisqu'on y trouve l'exceptionnel Xenogears (et si par miracle ou malheur, vous ne connaitriez pas, direct Wikipedia et cie, voire Ebay pour les plus friqués). Après avoir trainé sa bosse de Squaresoft à Namco, il finit par atterrir chez Nintendo où il traficote des jeux non-mémorables en attendant son heure. Son truc à lui, c'est le RPG ambitieux, qui a des trucs à dire. Mais il sort quand même d'un Xenosaga en multiples épisodes, universellement reconnu comme une déception si ce n'est moins, dévoré par les ambitions et bouffé par l'envie de trop en faire. Les années 2000, pour lui, c'est comme la nouvelle trilogie de Star Wars, personne ne lui a dit que parfois, faut pas se forcer. Aujourd'hui, il met son honneur sur la table en reprenant la Xeno-dénomination. Juste pour le style, pour se souvenir des temps anciens. Y'a plus le droit à l'erreur, là.
Matsuno-style
Premier point de cet exposé : s'inspirer des meilleurs. Takahashi ne s'est pas trompé car ici, Final Fantasy XII sera le maître étalon. Xenoblade Chronicles reprend complètement l'approche de son auguste ainé, cette approche quasi MMORPG du monde, sans coupure pour les combats. Des plaines immenses à explorer avec des monstres variés, exactement comme dans les meuporgs. Les coups, comme dans FFXII, se donnent automatiquement et le joueur intervient pour placer ses combos, ses techniques et parfois pour donner l'un des 3 ordres en stock à ses compagnons. Oubliés les gambits, l'heure est à la confiance quasi aveugle et votre équipe de persos vous le rendra bien, elle vous tapera sur l'épaule quand il le faudra. Toute une IA simplifiée en 3 commandes, magique. Xenoblade Chronicles récupère tout ce que Final Fantasy XII offrait de meilleur.
Briseur d'anathème
Deuxième point, bousculer l'ordre établi. Évidemment, ça nous choque moins qu'avant, cette manière de rendre automatiquement de l'énergie à toute l'équipe dès la fin des échauffourées. FFXIII en avait d'ailleurs remis une couche. La radicalité de Xenoblade suit cette même voie : pas de points de magie. On utilisera désormais des "Arts", des techniques qui se rechargent automatiquement. Plus d'objets non plus pour se soigner, il faudra vraiment compter sur cette IA pour secourir ses héros le moment venu. Heureusement, elle fait ça bien. Mais Xenoblade Chronicles réussit quand même un tour de force, celui de doter son héros d'un pouvoir de divination. Voir l'avenir, le concept de prémonition si difficilement adaptable en rpg, devient plus qu'un gimmick ; il est intégré comme élément de gameplay à part entière, via un flash qui vous prévient quelques secondes avant qu'un boss n'envoie sa super attaque. Il faudra parer, se soigner, bourriner l'adversaire ou au contraire se préparer au choc. Et avec l'habitude, on deviendra un vrai pro, capable de modifier le cours d'un combat avec quelques "Arts" ou combos bien placés. Mais tout ça, ce n'est que du système. C'est ce qui fait qu'on s'accroche mais si c'est uniquement pour du système qu'on est là, il existe d'autres trucs bien bricolés qui suffisent, du genre Etrian Odyssey. Car Xenoblade Chronicles en fait des kilos-tonnes. Pour s'éviter les longues étendues dignes de la toundra, le jeu permet d'effectuer une téléportation encore plus pratique que celle de Dragon Quest - et encore moins justifiée, aussi. Simplement par commodité. Doit-on y voir la main de Nintendo, qui a prodigué moult conseils à l'équipe de Takahashi ? Après tout, niveau RPG, Nintendo s'est débrouillé pour révolutionner les usages et marquer les esprits au moins une fois tous les dix ans. Il y a eu Fire Emblem dans les 90's, Mother 3 il n'y a pas si longtemps, ils ont peut-être à cœur de bien commencer la décennie.
Anti-High Concept
Troisième point, le plus important : ne pas tromper le joueur sur les émotions. Les gens savent quand les RPG se la jouent trop pour pas grand chose. L'illusion ne marche pas longtemps et on l'oublie très vite après sa sortie. Que reste-t-il comme RPG flamboyant dans cette next-gen qui arrive à ses 5 ans d'existence ? Xenoblade, et son graphisme low-cost en mode PlayStation 2, ne peut surfer que sur son efficacité. En partant d'une histoire assez classique qu'on a déjà vue des dizaines de fois (le jeune Shulk, désireux de venger ses amis tombés sur le pavé un jour où sa ville fut attaquée, va partir avec sa super épée mystique pour un long voyage initiatique où il découvrira qui il est vraiment), Monolith Soft. nous embarque pour un périple un peu fou, jouant avec les ficelles du drama classique. En fait, tous les humains vivent désormais dans des colonies sur le corps d'un géant, encastré dans son rival titanesque au cours d'un combat qui a eu lieu il y a des lustres. Depuis, la végétation a fait des miracles et des parties de leurs corps sont devenues habitables. La mythologie à fond la caisse, le gigantisme Shadow of Colossus en prime, Shulk et les siens vont se retrouver face à des robots géants, bien décidés à les bouffer. Ce sont des Kishin, apparemment des divinités mécaniques tout droit sorties d'un croisement entre Z.O.E et Evangelion. Les personnages, véritables melting-pots de clichés sympathiques allant de la guerrière avec des seins en boules énormes à la petite mascotte en forme de poire même pas crispante, en passant par le guerrier qui te répond avec la voix qui met tout le monde d'accord (celle de Vegeta), tout est parfaitement dosé pour qu'on s'y attache. Même Shulk, le héros donc, a l'amabilité de ne pas se la jouer triste et muet, une maladie trop souvent répandue chez les héros de RPG (merci Nomura).
Le clou du spectacle
Mais Xenoblade va encore plus loin et se permet de rajouter ce qui manquait à FFXII, c'est à dire cette émotion qui nous lie aux personnages. Remember, Van, traité en gosse et trainé comme un boulet dans un conflit aux enjeux politiques qui le dépassent. Shulk, téméraire jeune gaillard, pas poseur pour un sou, n'est pas le genre à chialer les yeux dans le vide sur un .jpg de coucher de soleil, les cheveux dans le vent. Loin de l'émotion préfabriquée que l'on a trop souvent vue dans les RPG next-gen (coucou, Lost Odyssey), Xenoblade nous balance ces moments purement shonen en brassant un peu les mêmes thématiques que Xenosaga. Les dieux, le rapport de l'homme à la machine, tout ça est là pour donner du coffre à une histoire qui commence simplement par un jeune type qui veut se venger d'odieux robots maléfiques idolâtrés comme des dieux.
Xenoblade Chronicles nous apparait comme le RPG qui résume ce qui s'est fait de mieux durant les années 2000. Il trainera sans doute toute sa vie cette image de jeu classieux mais décalé, car développé sur Wii. Ça le fait rentrer directement dans la catégorie "RPG maudit", adoubé seulement par une minorité de joueurs : le propre d'une œuvre culte. Xenoblade n'est sans doute pas en course pour le meilleur RPG de tous les temps, mais il est en lice pour rafler celui de "meilleur de sa génération". Sans doute aussi, il ne ravira pas tous les adeptes des images nettes en HD. Mais un tel miracle de RPG emballant, parfaitement goupillé, ça n'arrive pas souvent. Alors on s'accroche à celui-là et on veut y croire. Le cours est fini. On pourrait naïvement les remercier pour tout ce taf bien fait, mais on va préférer donner rendez-vous dans une dizaine d'années. On aura encore des étoiles plein les yeux grâce à Xenoblade.