Vous avez sans doute tous déjà retourné la démo disponible sur le PSN. La même qui m'avait laissé un léger goût de doute après l'avoir découverte à l'E3 2009. Et pour cause : même si la plupart des fans auront plutôt été enthousiasmés par cet avant-goût, il est en réalité bien insuffisant à refléter la maestria du titre final que je viens de boucler. C'est dire, pour ceux qui s'en sont suffit, si Kratos saura leur en donner pour leur argent : car moi qui doutait, j'en suis, au final, encore à ramasser mes dents.

Titanesque

La suite du récit de Kratos s'ouvre directement sur la fin du second épisode. Accompagné par les Titans, gravissant le Mont Olympe pour la confrontation finale, le guerrier cendré est accroché à Gaïa, l'épée de l'Olympe au poing, plus enragé que jamais. Sans vous en dévoiler les détails (mais les curieux qui n'ont pas peur des spoilers peuvent la découvrir en vidéo), je peux en tout cas vous dire que cette scène d'intro est sans aucun doute la plus épique ouverture de la série, et probablement du jeu vidéo tout entier. Une baffe phénoménale, jouable, et une première lutte grandiloquente dont la vocation - époustoufler les joueurs dès les premières secondes - s'accomplit au-delà des plus folles attentes, pourtant élevées, que les fans pouvaient concevoir. Si éblouissante de maîtrise, de rythme et de maestria visuelle que la suite en devient presque mineure... jusqu'à la rencontre avec Chronos, bien plus tard. Mais God of War , ce n'est pas seulement des boss épiques. C'est aussi des macro-puzzles passionnants, un système de combat et de progression parfaitement huilés et une relecture de la mythologie grecquo-romaine aussi osée que passionnante.

La surenchère

Plus encore qu'avec les précédents opus, les mythes, personnages, et légendes grecques de God of War sont ici réinterprêtés au travers d'un prisme d'exagération et de mélanges qui fera sans aucun doute fulminer les intégristes des originaux décrits dans les livres d'histoire et de mythologie. D'un Hermès clownesque et pathétique à une Héra délaissée qui se noie dans un nectar qu'on devine très alcoolisé, en passant par une Aphrodite qui n'a d'intérêt que pour son lit et les amants et amantes qu'elle y invite, les Olympiens ont en tout cas gardé toute la décadence des Dieux originaux, incarnations surnaturelles des vices, faiblesses, et caractères humains. À l'image des personnages, tout dans ce God of War III verse dans les extrêmes. À commencer par l'immense violence des combats... Le sang coule à flots (et recouvre Kratos régulièrement, au point qu'un trophée vient même à le récompenser), les tripes se répandent, les membres sont tranchés, et certains passages arrachent immanquablement des hoquets de dégoût au joueur éberlué devant l'audace gore dont les développeurs ont fait preuve. Ils ont été jusqu'à user de vue subjective - mais celle des ennemis de Kratos - pour que la violence du héros soit plus viscérale encore. Et cette audace se retrouve également à bien d'autres égards : le level design, fidèle à la série mais aussi démultiplié par les capacités de la PS3, ou encore la musique plus brutale, orchestrale et réussie que jamais. Tous les ingrédients de cette recette magique sont là, poussés plus loin encore, tandis que quelques nouveautés subtiles mais déterminantes agrémentent le tout pour une douzaine d'heures de montagnes russes.

Raffiner par petites touches

Depuis le premier opus jusqu'à l'épisode prologue sur PSP, Chains of Olympus, les développeurs qui se sont penchés sur l'armement de Kratos ont éprouvé toutes les difficultés du monde à égaler le plaisir procuré par les fameuses Lames chaînées d'Athéna, auxquelles les joueurs revenaient systématiquement. Mais cette fois ça y est, les nouveaux jouets que Kratos récupérera fonctionnent aussi bien, et pour cause : ils sont tous, à l'exception des Cestus présents dans la démo, des variations de ces Lames. Suffisamment différentes, autant dans leur panoplie de coups que dans les magies qui leur sont à présent liées, tout en restant basées sur la force de l'original : les tourbillons meurtriers permettant de faire face à des myriades d'ennemis. Ce raffinement des fondamentaux s'accompagne de petites touches d'importance, comme le mouvement de grappin qui permet à Kratos de heurter ses ennemis d'un coup d'épaule, ou de les rejoindre rapidement s'ils volent, comme s'il maniait un grappin rétractile. Outre une dynamique accrue des combats, cela ouvre quelques mécaniques de jeu supplémentaires, comme l'utilisation des harpies pour franchir un précipice. L'introduction supplémentaire d'un changement immédiat d'arme en cours même de combot (en pressant L1 et Croix) permet de varier d'autant plus les enchaînements et, une fois encore, de pousser les joueurs à utiliser les différentes armes.

Dans le même goût, Kratos peut utiliser la douleur d'un Cyclope qu'il chevauche et poignarde en même temps, pour en faire une arme massive envoyant valdinguer les grunts. L'épée de l'Olympe reste disponible sitôt après avoir rempli une jauge qui lui est dédiée et qui se vide à son utilisation. Les objets, quant à eux, sont régis pas une nouvelle jauge jaune (l'Arc, et ceux que vous découvrirez plus tard). Enfin, parmi les séquences neuves pour la série, citons l'ascension ou la chute dans des tunnels, à toute vitesse (un peu trop utilisées à mon goût, un des rares défauts du jeu), ou des puzzles particuliers comme celui inspiré par Escher dans le Jardin d'Héra, ou l'ensemble du Labyrinthe joue avec les renversements de perspective. Bref, rien de révolutionnaire, mais quelques modifications et enrichissements dont la somme aboutit à un nouvel équilibre particulièrement solide. En revanche, certains pourront reprocher à cet ultime volet une propension aux allers-retours assez inhabituelle. Il faisait en effet partie des fondamentaux de Kratos d'aller toujours de l'avant, mais cette ultime aventure va l'obliger à revoir certains lieux à différents moments du voyage - fort heureusement pour y découvrir et y réaliser de nouvelles choses.

Plein à ras-bord

Il faudra compter une douzaine d'heures en difficulté normale pour boucler l'aventure. On en dira le moins possible sur la fin, bien entendu, mais sachez qu'elle a le mérite d'être sans équivoque. Plus gore et plus violent que les précédents, ce God of War III est aussi, pour la plus grande part, le plus sombre. Les forces que déchaîne Kratos et le sillon de destruction qu'il laisse dans sa folle course après Zeus ont des conséquences dramatiques... jusqu'à un revirement final qui pourrait d'ailleurs déplaire aux fans du chauve sanguinaire. Mais une chose est sûre : on a droit à une vraie fin pour conclure cette épopée magistrale. Et, au fil de découvertes secrètes, on a bien envie d'y replonger en mode Titan (difficulté accrue) ou Chaos (accessible après un premier run), pour débloquer certaines nouvelles choses. Mais en attendant, on prendra une pause bien méritée à profiter de la tripotée de vidéos making-of absolument passionnantes que contient le disque, ou à se casser les dents sur les traditionnels Défis (au nombre de 7) horriblement difficiles à réussir.

Si ce God of War III peine un peu à maintenir l'intensité époustouflante de son combat d'ouverture absolument inoubliable, lequel redéfinit à lui seul ce qu'est une scène d'action épique dans un blockbuster vidéoludique aujourd'hui, il n'en reste pas moins digne de la série, et digne de la PlayStation 3. Habilement raffinés, les systèmes de jeu apportent peu de nouveauté, mais elles s'avèrent essentielles à la fluidité comme à l'intérêt des combats. Enfin, excepté un côté allers-retours un poil trop présent dirons certains, l'épopée s'envole vers de nouveaux sommets et boucle la série avec brio. Le doute s'est donc envolé : God of War III réussit son pari.