De la stratégie temps réel sur consoles, plus proche de la tactique, dirigée à la voix, avec une représentation 3D au plus proche du conflit : ça aurait pu être World in Conflit : Soviet Assault de Massive Entertainment, mais avec la débâcle de Sierra suite à la fusion Activision / Vivendi Games, le privilège d'être le pionnier en la matière reviendra finalement à Ubisoft Shanghai avec Tom Clancy's EndWar... Voix de son maître, voix enrouée ou mauvaise voie ? Parlons-en de vive plume.
Les ressemblances entre EndWar et World in Conflict dans sa version console (pas encore sortie) sont proprement ahurissantes. C'est même pour ainsi dire, en surface et univers mis à part, le même jeu. D'abord, dans les principes généraux du genre : à la place d'un minage de ressources comme d'autres titres traditionnels le font (de Warcraft à Command & Conquer), des points de ressources pour appeler des renforts directement sur le champ de bataille ; le commandement de groupes d'unités plutôt que d'unités individuelles ; un aspect stratégique très en retrait par rapport à la tactique ; un micromanagement réduit à sa plus simple expression ; et un gameplay alternant possession de territoire, annihilation des forces ennemies, ou défense de positions.
La guerre, sans se salir les mains
Le postulat de EndWar ne manque pas de séduire : contrôler toutes ses troupes à la voix, directement... Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt, au lieu de tenter désespérément d'adapter des interfaces traditionnellement faites pour 105 touches et une souris, à des manettes d'une douzaine de boutons ? D'autant qu'en termes d'immersion, difficile de faire mieux. "Unité 1 ! Attaquer cible 2 !", "Unité 3 ! Capturer Alpha !", "Unité 8 ! Retraite !" ; voilà ce qu'on braille dans le micro, face à sa télé, pour manoeuvrer ses troupes et atteindre les différents objectifs des missions d'EndWar. Si la reconnaissance vocale et ce système d'arborescence d'ordres (Qui > Quoi > Où) n'est pas nouveau (SOCOM sur PS2 l'avait brillamment inauguré), il convient de reconnaître que la technologie mise au point par Ubisoft est sidérante d'efficacité. A moins de chuchoter, d'être frappé de bégaiement ou d'une sévère dyslexie, ça marche du feu de Dieu, au prix d'un simple calibrage au premier lancement du jeu - une procédure qui prend à tout casser 10 minutes. Le reste du game design accompagne cette méthode de contrôle (néanmoins secondée par des contrôles contextuels plus traditionnels et facultatifs) pour épouser et répondre, lui aussi, aux contraintes du format Console. Mais c'est, à vrai dire, là que le bât blesse : peut-être les épouse-t-il un peu trop...
Pierre, feuille, ciseaux
Fort de l'expérience de Massive qui fut peu ou prou l'inventeur de ce type de jeux de tactique temps réel sans véritable gestion de ressources et cette caméra à peu près libre avec Ground Control, World in Conflict avait su proposer des missions assez variées et une IA d'une redoutable efficacité, le tout enrobé dans une réalisation d'éclat. EndWar s'avère clairement moins performant sur chacun de ces points. D'abord, les unités d'EndWar obéïssent naturellement à la règle du "pierre bat ciseaux qui bat feuille qui bat pierre", courante dans ce type de jeux, mais avec un léger manque de variété des unités (il y en a sept types en tout), le schéma devient vite un peu trop simple pour les gros amateurs de tactique, d'autant plus qu'il est extrêmement rigide. C'est à dire que si un type d'unité est faible face à un autre, même avec un déséquilibre numéraire exagéré en faveur de l'unité faible, on ne s'en sort pour ainsi dire jamais ; c'est un peu tout ou rien. C'est d'autant plus dommage que les trois camps de cet univers frappé du sceau Clancy (Etats Européens Unis, Etats-Unis et Russie), sont quasiment similaires. Au début, le temps d'installer un scénario téléphoné de conflit conspiré naissant autour d'une station spatiale militaire et de réserves de pétrole russes, et qui débouchera sur une guerre mondiale, on passe sous la bannière des trois camps tour à tour à chaque mission du didacticiel (une douzaine). Lorsque s'engage la vraie campagne, EndWar ne s'encombre pas de scénario. Conquête de la planète comme sur un jeu de plateau, front après front, avec des retours fréquents sur les mêmes cartes réparties aux quatre coins du globe. D'autant plus préjudiciable, sans doute, que le manque de renouvellement a tendance à frapper également les missions, de quatre types. Raid (détruire ou défendre des bâtiments en dix minutes), Assaut (annihiler l'ennemi), Siège (attaquer ou défendre un "uplink" stratégique pendant un certain temps), et Conquête (Capturer et maintenir la possession d'une majorité des uplinks d'une carte pendant au moins cinq minutes).
La guerre, c'est lassant
Ce n'est pas tant les objectifs des missions qui sont finalement responsables du sentiment de satiété qu'on éprouve trop rapidement en jouant à EndWar. C'est plutôt les limites stratégiques elles-mêmes. Après avoir bien intégré quelles unités battaient lesquelles, puis maîtrisé la tactique enchaînant retraite de la faible, poussée de la forte réserviste, en fonction des avancées ennemies, on procède finalement quasiment toujours de la même façon avec succès. Sauf quand se pointent les derniers reproches que je puisse faire à EndWar et que je suggérais déjà plus haut : une IA qui cafouille. Globalement performante, elle rencontre néanmoins trop souvent des soucis de Pathfinding : c'est particulièrement gênant lorsque qu'on ordonne à une unité d'infanterie de se mettre à couvert, ou d'investir un bâtiment, et qu'elle choisit le chemin le plus exposé pour y aller. D'autant que la vue choisie oblige à naviguer souvent d'une unité à une autre, rapidement certes, mais sans visibilité suffisante de ce qui se passe près des autres. La carte générale remédie partiellement au problème, mais on aurait aimé pouvoir en afficher une version en surimpression en toutes circonstances. En outre, il est frustrant de tomber sur une unité dont la couverture a disparue, et qui n'a pas pris seule l'initiative d'en gagner une autre, au plus proche, ou encore l'impossibilité de permettre à des unités d'utiliser automatiquement leurs capacités spéciales. Enfin, la touche frustrante : le camp perdant peut avoir accès aux armes de destruction massives, normalement débloquées par capture et possession de territoire, et retourner la situation à la Mario Kart, à la dernière minute, dans l'injustice la plus agaçante. Et le fait de pouvoir répliquer à l'identique juste derrière est une bien maigre compensation lorsque ce genre de choses survient.
Hors batailles, le renouveau
Heureusement, EndWar compense sa répétitivité sur le terrain par un bon système de gestion des unités entre les batailles. Chaque mission rapporte un capital de points qui peut être investi pour entraîner et améliorer ses troupes, lesquelles gagnent aussi, si elles survivent, en expérience. De quoi ajouter la profondeur manquante dans certains autres aspects de la formule. L'interface, sans aucun doute la plus grande réussite du titre, aurait aussi tendance à montrer un peu ses limites dans les missions les plus avancées avec beaucoup d'unités à gérer, mais j'imagine que de meilleurs tacticiens que moi n'y verront sans doute qu'un regain d'intérêt. Reste un mode en ligne qui part d'une excellente idée sur le papier : proposer un conflit persistant pour le contrôle du globe, dont les lignes de front sont réévaluées en fonction des réussites de joueurs qui jouent pour les différents camps. Malheureusement, comme cette réévaluation n'a lieu que toutes les 24 heures, on se retrouve à jouer les même cartes jusqu'à plus soif en espérant que le lendemain, on pourra en visiter d'autres.
Vers des jours meilleurs ?
Au final, EndWar reste un bon titre, dont il sera surtout intéressant de surveiller l'éventuelle évolution. L'ajout d'événements particuliers pimentant les batailles, de profondeur stratégique, d'une réalisation plus soignée et de menues corrections concernant la caméra trop fixe et certaines lacunes de l'interface (notamment pour une meilleure vue d'ensemble) en feraient sans doute un excellent titre... mais il réussit déjà l'exploit de proposer une formule tout à fait adaptée à la console, qui peut être une bonne entrée en matière avec le genre, mais s'avérera sans doute trop légère pour les vieux briscards de la stratégie temps réel.