Espérer de Fallout 3 qu'il nous offre une expérience aussi majeure aujourd'hui que ses ancêtres ne l'ont fait en leur temps était illusoire. L'époque a changé, le développeur, les machines, les habitudes du jeu ont changé. Nous avons changé. Dès lors, deux camps pavent notre chemin de bonnes intentions : celui du "c'était mieux avant", et celui du "il faut vivre avec son époque" ; tels deux factions d'un RPG. Et comme le joueur de RPG que je suis, j'ai tendance à retourner ma veste de l'une à l'autre suivant la situation...
Autant vous le dire tout de suite, pour ceux qui l'ignorent encore : l'époque de Fallout 1 & 2, de Planescape Torment, Arcanum, ou encore Baldur's Gate est celle qui fait référence pour moi en matière de RPG occidental. Et, tout particulièrement les deux premiers Fallout époque Black Isle, qui ont sans aucun doute vieilli (ne serait-ce que techniquement), mais restent des monuments de génie narratif, de finesse ludique, de cohérence et de liberté. Porter un tel nom en 2008, qui plus est lorsque ses créateurs n'ont pas été là pour passer cet héritage d'excellence, c'est lourd. Mais finalement, Bethesda ne s'en sort pas si mal que ça.
Un atroce conflit
Bon sang ! Comme il est difficile d'approcher ce nouveau Fallout 3 sans se laisser consumer par le passé. Sans se rappeler le frisson de Van Buren, le "vrai" Fallout 3 qui n'a pas passé le stade de la démo technique, découvert près de 5 ans après la fermeture de Black Isle. Et pourtant, lorsqu'après l'astucieux prologue de Fallout 3 qui par le truchement des scènes d'enfance, nous fait créer notre personnage, nous découvrons pour la première fois l'étendue du Wasteland en sortant de l'Abri 101, le désir est bien là. Arpenter le désert rocailleux et les ruines modélisés avec un véritable souci du détail par Bethesda capture immanquablement l'imaginaire de l'amateur de post-apocalyptique comme celui du fan de Fallout. D'autant plus qu'il est immense, et ne manque pas de lieux d'intérêt, différenciés, uniques même, cachant maints recoins à explorer, quêtes à entreprendre, personnages ou menaces à découvrir. Et, c'est vrai, dès le début de l'aventure, sitôt refermée la lourde porte blindée isolant l'Abri de notre enfance des radiations et des horreurs du monde extérieur, le choix nous est offert. Suivre la piste de notre père parti de l'Abri sans qu'on en sache la raison, ou partir hors de ce sentier battu pour découvrir le reste. Quoiqu'on choisisse, néanmoins, cet atroce conflit entre les reflets du passé et le dur présent subsiste, autant dans le monde de Fallout crû 2008, que dans notre coeur de joueur conscient de ce que cette licence représente.
L'inévitable parenté
Fallout 3 reste bel et bien un Oblivion with Guns. C'est sûr, désormais, même si c'est un Oblivion survitaminé. Survitaminé techniquement, d'abord, avec une réalisation de grande envergure, et des personnages qui ont enfin une meilleure allure qu'aurapavant. Survitaminé aussi dans sa maturité, avec des situations et des quêtes clairement dépositaires de ce que l'univers de Fallout a de plus noir : crasse omniprésente, menaces visibles et invisibles, violence, traite des esclaves, individualisme nauséabond, désespoir des situations et un traitement qui ne manquera pas de pousser à reconsidérer la moralité de nos actes, tant la plupart de nos choix semblent avoir des conséquences perverses tôt ou tard. Mais aussi un Oblivion encore emprunt de ses défauts les plus rédhibitoires. Une animation des personnages honteusement datée et inapte, une interface certes plus efficace, mais encore perfectible (surtout sur PC), des sensations en première personne qui ne sont pas toujours des plus justes avec nos armes au poing, ou encore le spectre d'une répétitivité dans laquelle on nous pousse, à fouiller chaque caisse, chaque poubelle, chaque casier, souvent pour n'y trouver que des objets plus encombrants qu'utiles. Plus grave : un monde dont la cohérence n'est que très limitée en dehors des événements scriptés pour le besoin de quêtes. La faute à des personnages qui passent le plus clair de leur temps à déambuler le jour sans trop discuter entre eux ou interagir avec ce qui les entourent. Ce fameux syndrome du PNJ qui n'existe que pour le joueur, et répète toujours la même chose à chaque fois qu'on le frôle. Cet insupportable zoom de caméra, d'une lenteur inexplicable, sur le visage d'un personnage à qui on parle, aussi. Et quelques bugs, bien sûr, parfois amusants, parfois nettement plus agaçants.
Il faut faire avec ce qu'on a
Et bien entendu, ce qu'on a n'est pas exempt de qualités. Visuelles, on l'a dit, mais aussi en termes de jeu. Alors, c'est vrai, la plupart des quêtes sont moins subtiles et riches de solutions que dans les premiers Fallout. Mais elles restent variées, intéressantes, et surtout très nombreuses. Parfois drôles, comme le veut la tradition, et en quelques occasions, particulièrement épiques ou amusantes. Certes, l'IA est parfois à la rue, comme cette fois où, tandis que le propriétaire d'une boutique déambule à l'étage, je me suis vu contraint, pour une stupide histoire de vol à la tire, de calmer les ardeurs du garde mercenaire d'une grenade bien placée : la détonation comme le cadavre vite dépouillé qu'elle laissa derrière, ne semblent pas avoir choqué le moins du monde le vendeur redescendu tranquillement de son étage après l'événement. Après un Fable II, pour ne citer que le plus récent, difficile de ne pas penser de Bethesda qu'ils ne se sont pas vraiment penchés sur l'actualisation de cet aspect pourtant crucial des attentes d'aujourd'hui. D'un autre côté, la liberté offerte au joueur est d'un très bon niveau, à l'image de ma réaction à la rencontre de "Three Dog", personnage important de la quête principale qui vocifère sa propagande pour un monde meilleur au micro d'une des rares radios émettant encore dans le Wasteland. Il a eu beau dire qu'il savait où mon père se trouvait, son chantage au ton de faux mentor du futur m'a si vite agacé que je lui ai tiré une balle dans la tête avant de quitter le building délabré de Galaxy News Radio pour me débrouiller sans lui. En le faisant, je n'aurais jamais cru que ce fut possible. Et pourtant...
Faire abstraction
En prenant ses distances avec le mythe, ou pour ceux qui ne l'ont pas connu, Fallout 3 reste incontestablement un très bon jeu, et même un bon RPG. Ce n'est pas le chef d'oeuvre que je n'attendais d'ailleurs pas, mais ça aurait pu être bien pire. Le V.A.T.S., le système de combat qui met la pause et permet de cibler précisément ses adversaires, ne se marie pas parfaitement bien avec le temps réel, et ses ralentis qu'on ne peut pas désactiver pourront vite énerver. Mais il offre tout de même un contre-point salvateur au sentiment de flottement pénible du temps-réel, surtout à la manette pour les versions consoles. Et surtout, les amateurs du genre trouveront là des dizaines et des dizaines d'heures de jeu, au-delà de la quête principale plutôt courte, qui valent définitivement la peine qu'on les découvre, dans un univers unique. Les gros joueurs se lamenteront sans doute de ne pas pouvoir dépasser le niveau 20 et s'ils l'atteignent vite, imposeront leur surpuissance rapidement en sacrifiant une partie du fun au passage, mais les perspectives de rejouabilité restent énormes. Et puis, ceux qui jouent sur PC auront la chance, tôt ou tard, de bénéficier du travail d'orfèvre d'une communauté qui a toujours su récupérer les productions de Bethesda pour en corriger les gros défauts et les sublimer d'un amour que les fans de Fallout cultivent pour leur part depuis si longtemps dans leur coin, qu'ils ne manqueront pas d'aller encore plus loin.
Si j'ai toujours le sentiment que ce Fallout 3 est un américain un peu pataud qui essaie de se faire passer pour un britannique subtil, sa compagnie m'aura tout de même été très agréable.
N.B. : Après vérification suite au craintes émises dans le Podcast n°73, textes et voix sont en français (et corrects) chez nous. Les différentes versions étant très similaires, les tests le sont aussi.