En 1988, alors que je suçais encore mon pouce, des ados boutonneux jouaient déjà à Carrier Command sur Amiga ou Atari ST, pour ne citer que ces deux machines rivales. En 2012, mon pouce est plus souvent sur une manette que dans ma bouche et ce RTS / simulation de conduite d'engins, désormais mâtiné de FPS, réapparaît grâce au studio tchèque Bohemia, avec Carrier Command Gaea Mission. Et c'est à moi, que l'on dit vieux jeune, d'indiquer aux jeunes vieux si ce jeune jeu vaut le vieux auquel ils jouaient jeunes. Cocasse, non ?
Quand on voit combien de fantasmes que Jules Verne a pu imaginer dans ses livres sont devenus réalité, il y a aujourd'hui matière à flipper avec les milliers d'oeuvres culturelles qui dépeignent toutes sortes de catastrophes menant à la fin du genre humain, des attaques de zombies, en passant par le dérèglement climatique, les guerres nucléaires, etc. Dans Carrier Command Gaea Mission, la folie des hommes a cette fois rendu la Terre sèche comme un caillou, les obligeant à explorer le cosmos pour trouver une nouvelle planète viable. Cet astre, c'est Taurus, recouverte d'eau, qui pourrait devenir le nouveau foyer de l'humanité mais qui est aussi l'espoir de rendre à la Terre son aspect originel. Mais comme Thomas Hobbes a pu l'écrire, l'homme est un loup pour l'homme et comme l'ont chanté NTM, tout n'est pas si facile, tout ne tient qu'à un fil. En effet, les gentils occidentaux que vous incarnez, l'UEC (Coalition Terrestre), plutôt que d'être accueillis avec des colliers de fleurs ou des régimes de bananes, goûtent au feu nourri des canons antiaériens de l'APA (Asian Pacific Alliance), en gros tout un rassemblement de Kendy Ty qui veut s'accaparer Taurus.
A l'ArmA ?
Si ce postulat de départ plutôt classique vous plaît, sachez que Gaea Mission n'est en fait qu'un fragment d'un projet transmédia nommé Gaea Universe, imaginé par David Lagettie. Et à la vérité, quand on voit la médiocrité aussi bien technique qu'en termes de mise en scène des cinématiques qui introduisent le jeu, on se dit qu'il est parfois préférable d'user des fabuleuses capacités de l'esprit humain pour se faire soi-même sa petite représentation mentale avec un bouquin. Cependant, il faut reconnaître une certaine ambition aux Tchèques de Bohemia, ce studio mêlant dans cette production FPS, RTS et pilotage d'engins futuristes comme des avions ou des genres de chars amphibies, le titre permettant d'alterner phase tactique et pilotage des dits véhicules en temps réel. Mais avant d'explorer les nombreuses îles qu'il faudra arracher aux mains de l'APA dans six environnements aux effets de lumières soignés et changeants selon l'heure de la journée (on se retrouvera dans des marais, un désert aride ou de glace...), il faudra subir la première phase FPS du jeu. Difficile de se dire que ce sont les équipes qui nous ont livré ArmA qui sont derrière celle-ci : murs invisibles, impossibilité de sauter chemins balisés à l'extrême sous peine de se voir mourir si l'on s'écarte un peu de ceux-ci, arme unique imprécise et désagréable à manier, oui, tout ce qui touche au FPS dans ce titre est raté.
"Eglantine ?! Ici Mirabelle !"
Mais alors qu'en est-il du reste me direz-vous ? Cette idée de changer à la volée entre simulation d'engins de guerre et combat tactique doit être séduisante ? Oui, elle l'est. D'autant que les environnements à parcourir sont plutôt beaux et que leur topologie est bien définie, demandant au joueur de prendre en compte des facteurs bien précis pour faire progresser au mieux ses unités. Il faudra gérer ressources, approvisionnement, créations de nouveaux engins et dans le même temps, temporiser correctement toutes ses opérations entre elles, les forces de l'UEC se déplaçant par barges, d'îlots en îlots. La position du vaisseau amiral sera aussi déterminante, celui-ci ne devant pas être trop loin de vos troupes pour ne pas perdre le contact avec elles. Et le grand kiff, c'est que si ça devient un peu chaud pour vos unités, hop, vous optez pour votre vue à l'intérieur d'un des engins de combat et vous renversez la vapeur. Mais à vrai dire, malheureusement, cela ne changera pas grand chose pour une seule raison désastreuse : les meilleurs ennemis de vos troupes, ce sont elles-mêmes. En effet, Carrier Command Gaea Mission souffre d'un problème rédhibitoire, une IA complètement à la ramasse. Alors que vos unités aériennes resteront consciencieusement en vol stationnaire devant les lignes ennemies afin de bien se bouffer les missiles sol-air, les walrus, vos unités au sol, rappelleront les grands moments de la 7ème Compagnie. Un arbre, un caillou, une bosse sur leurs chemin et c'est le drame. Quand ils ne tournent pas en rond pour s'infliger mutuellement des dégâts, ils se retrouvent sur le dos. Le friendly fire est ici la norme. Si un des véhicules a le malheur de se retrouver coincé, il aura beau tenter des demi-tours, toute l'unité le poussera au cul, les collisions multiples entraînant la destruction des véhicules. Bref, un calvaire, à peine évitable si l'on dirige les véhicules un à un, puisqu'on aura alors l'assurance d'y passer trop de temps et de faillir à sa mission. Du coup, on ne déplore même plus tant que ça l'absence de multijoueur tant le jeu est injouable.
Les vieux, vous pouvez ressortir l'Amiga du grenier, ce n'est pas ce Carrier Command Gaea Mission qui fera l'unanimité comme son illustre ancêtre. Et pourtant, copieux sur la durée, plutôt joli, avec cette bonne idée d'alterner à la volée entre phases de stratégie et de pilotage, Carrier Command a des arguments. Mais l'ensemble est flingué par des séquences FPS pas à la hauteur et surtout une IA et un pathfinding désatreux qui annihilent bien vite tout plaisir de jeu. Un patch pourrait-il arranger tout ça pour ce titre sorti peut-être un peu trop tôt ? On l'espère, car comme dirait Luke Skywalker : "Il y a du bon en lui".