Le premier Rayman est un monument de la plateforme 2D. Michel Ancel, son facétieux créateur, le sait. Et quand il a décidé de tirer son héros au gros nez de la retraite, après huit ans d'une absence ponctuée de quelques apparitions aux côtés des Lapins Crétins, il a tout naturellement délaissé la formule tridimensionnelle des derniers épisodes, préférant opérer un retour aux sources. Vous aimiez la philosophie des platformers d'antan, aussi fun et inventifs qu'exigeants ? Alors vous apprécierez probablement l'idée que ce dogme se retrouve dans un jeu profitant pleinement de la technologie actuelle et proposant un multijoueurs endiablé.
Ces dernières années, je me suis souvent demandé pourquoi la 2D n'était pas, dans le cas du jeu de plate-forme, mieux exploitée par les machines de guerre trônant dans nos salons. Ne vous méprenez pas, des titres du genre à l'esthétique léchée, il y en a. Les Kirby, New Super Mario Bros., Donkey Kong Country Returns, Limbo ou encore Braid et Super Meat Boy sont de véritables perles. Mais qui tirent pleinement partie des possibilités offertes par cette génération de consoles, qui mettent une véritable claque dans la gueule, vous en dénombrez combien ? Voilà, vous voyez où je veux en venir. Il aura fallu que les équipes d'Ubisoft Montpellier mettent au point le moteur UbiArt Framework pour que l'on sente enfin une évolution. Rayman Origins est, d'un point de vue visuel, une vraie production "next gen". Le décollement de rétine est instantané. Ses graphismes en haute définition, qui se rapprochent d'une BD ou du dessin-animé interactif, proposent des personnages et décors d'une beauté et d'une variété incroyables. Fins, colorés, terriblement vivants, les différents environnements traversés possèdent, alors qu'ils reprennent des thèmes exploités maintes fois, une identité, un cachet unique. Beau, certes, mais aussi d'une grande créativité, avec quelques allusions à peine voilées à Donkey Kong, Angry Birds ou Boulder Dash, le tout estampillé 100% loufoque. Le monde désertique se compose ainsi d'éléments liés à la musique (didgeridoos, pianos, bâtons de pluie, djembés) ; les niveaux de glace tapent dans le champ lexical du cocktail avec des glaçons, des ombrelles, des morceaux de fruits ; le classique "souterrain enflammé" a des allures de fourneau, avec ses ennemis coiffés d'une toque et ses couverts qui volent de toute part. Du grand art, indéniablement. Mais la partie cosmétique ne constitue pas le seul motif de satisfaction.
Tout le monde aime Rayman
Passée la gifle visuelle, il faut se concentrer sur le jeu. Que dire, si ce n'est qu'il y a à boire et à manger. Chargé de sauver le monde (ce qu'une scène d'introduction tordante, et très explicite bien qu'elle soit muette, vous expliquera à la perfection), Rayman va progresser en prenant soin d'exploiter la moindre de ses capacités. Seul le saut et la course seront disponibles en premier lieu. Suffisant pour écraser quelques ennemis, il sera vite, après sauvetage d'une fée, accompagné de la capacité d'asséner des torgnoles. Puis on pourra planer, rapetisser, nager et courir sur les murs. Cela semble assez peu en termes d'aptitudes. Néanmoins, durant votre progression, vous réaliserez que des pièges inédits ouvriront vers des situations de jeu nouvelles. Effectuer une attaque plongée paraît n'avoir comme seules utilités de fracasser les monstres avec force ou de détruire des planches branlantes. Mais pourquoi pas tenter sur un bumper, histoire de bondir plus loin ? Donner des coups de poings, d'accord, mais en courant, cela ne permet-il pas d'éviter de ralentir son allure ? De même, galoper sur des cloisons verticales sert d'abord à attraper un interrupteur. Par la suite, il faudra remonter des pans entiers en évitant des obstacles et sauter au bon moment. Et je ne vous parle pas des séquences où, un vent violent venant du bas de l'écran, vous devrez choisir quand planer ou non. Il n'y a jamais rien de compliqué concernant les manipulations demandées. Encore faut-il appliquer selon les exigences de chaque tableau.
Die, LOL and retry
Les premiers niveaux, sur un total s'élevant au-delà de 60, sembleront faciles. Vraiment. Mais pour finir le jeu à 100%, voire même simplement atteindre le dernier monde, il va falloir mettre en pratique les connaissances acquises. Sans avoir peur de mourir et de réessayer. S'il propose une jouabilité parfaite, Rayman Origins s'avère intransigeant. En vue d'acquérir tous les Electoons (petites boules roses à queue de cheval) d'un stage, voire du jeu - il y en a 246 -, il faut du sang-froid et un oeil de lynx. D'abord pour dénicher un maximum de Lums, ces sphères dorées équivalentes aux pièces d'un Mario, parfois très bien cachées et dont la valeur peut doubler ponctuellement. Ensuite pour repérer les zones masquées renfermant des Electoons emprisonnés. Enfin, pour parvenir à relever les défis chronométrés, qui pardonnent rarement le moindre temps d'arrêt. Comme je le disais, au début, ce sera peinard. Mais par la suite, de petites saletés viendront vous pourrir la vie. Des piranhas dans l'eau, des plateformes qui rétrécissent, des plafonds ornés de pointes obligeant à doser parfaitement ses sauts, des nuées de bestioles qui vous tueront si vous n'évoluez pas dans la lumière, et j'en passe. A chaque fois, il sera question d'enchaîner plus vite et plus précisément, en faisant abstraction de tous ces trucs qui veulent vous percer, vous écrabouiller, vous envoyer dans le vide. Du pépère et sans stress on passe au speed et au chorégraphié. Ce que proposent les niveaux Coffrapattes, dans lesquels il est question de rattraper un coffre à toute vitesse sans jamais se planter, alors qu'une profusion d'obstacles plus vicieux les uns que les autres se dressent, devient la norme dans les derniers instants. Y compris dans les phases aquatiques. D'abord paisibles et contemplatifs, les instants Grand Bleu, qui brillent eux aussi par une maniabilité en tous points parfaite, se transforment en recherche de la trajectoire idéale. De même, le shoot them up à dos de Moskito (qui tire et aspire les ennemis) aura des allures de promenade de santé avant de vous demander de sacrés efforts. N'oubliez jamais que les tirs ricochent, par exemple... On parlera de difficulté progressive, très bien dosée, tendant petit à petit vers l'épique. Y compris face aux boss, apparaissant dans la seconde moitié du jeu et qui requièrent de clamser quelques fois avant de comprendre leurs patterns. Les plus hardcore d'entre vous devraient apprécier le challenge. Faire le tour des dix mondes, parvenir à la Lande des Frappés (accessible en ayant chopé dix Coffrapattes) et en triompher relève de l'exploit. Personnellement, ça m'a demandé beaucoup de ressources. J'en suis sorti épuisé. Mon ego, lui, a kiffé. Mais je doute que tout le monde aura la même patience, voire les mêmes réflexes. A ceux qui auraient envie de baisser les bras après des dizaines d'essais, je ne dirai qu'une chose : rien n'est impossible. Le level design ne souffre d'aucune faille, il suffit juste d'apprendre, d'assimiler et de rester concentré à la nouvelle tentative (vies infinies et reboot immédiat aidant). Et achetez un punching-ball, au cas où.
Joyeux foutoir
Bien entendu, ce que j'ai expliqué vaut pour une partie en solitaire. Mais qu'en est-il du multi ? Grâce à la participation de quelques bonnes âmes, dont un ancien collègue juste passé pour prendre le café et qui a squatté à mes côtés toute une après-midi, j'ai pu découvrir que le nombre de manettes supplémentaires connectées (quatre maximum, avec possibilité de changer de skin à l'Arbre Ronfleur) pouvait augmenter autant qu'atténuer la difficulté. Dans les premiers instants, on est tous de grands enfants. Les joueurs incarnant Rayman, Globox ou des Pitizêtres se mettent des beignes, parfois par surprise, simplement pour le plaisir de casser les noix aux autres joueurs. Eclats de rire assurés. Puis l'on vient à s'entraider, naturellement, de façon à terminer un niveau dans les meilleures conditions. Là, on n'hésite plus à porter les autres pour atteindre des hauteurs inaccessibles, à se motiver en cas d'échec, à attendre la "bulle" d'un ami pour qu'il ressuscite, à mettre en place des stratégies, notamment dans les phases de shoot, pour éviter que tout dégénère. Ce qui permet, souvent, une progression autrement plus aisée que lorsque l'on joue seul. Sauf que, à un moment donné, il y a un gros lourd qui mate en haut à gauche de l'écran. Et qui s'exclame : "Oh, les gars, je vous ai défoncé, j'ai plus de Lums que vous". Et là, la frénésie. Reprise des hostilités à base de tartes bien placées, de plates-formes désactivées à l'aide de switchs, de l'envie d'agir avant les autres... Une cour de récré. Rayman Origins est le titre "coopétitif" par excellence, pour utiliser un néologisme entendu il y a peu dans la bouche de RaHaN. Les moments qu'il propose à plusieurs sont inoubliables. Même New Super Mario Bros. Wii, qui était pourtant maître en la matière, fait pâle figure à côté. Bon néanmoins, je ne peux m'empêcher de regretter l'absence de jeu en ligne. Mais la philosophie "on s'la met sur le canapé" était préconisée. Alors, respectons-la.
La musique, oui, la musiiiiique
Impossible de terminer ce test sans évoquer quelque chose que je n'ai pas, contrairement à l'ami JulienC, coutume de développer en plus de deux ou trois phrases. Je veux parler de la bande-son. Le moins que je puisse dire, c'est qu'elle m'a subjugué. Le compositeur, Christophe Héral, qui nous a récemment accordé une interview surréaliste, a accompli un travail admirable. Les musiques posent efficacement l'ambiance de chaque endroit et accompagnent toujours avec une extrême justesse vos pérégrinations. Mon passage préféré : lorsque quelques notes de piano émergent doucement alors que vous nagez en eaux profondes et que la lumière vient à manquer. Imparable. Mais il ne s'agit que d'une atmosphère parmi tant d'autres. On trouve aussi des mélodies farfelues avec des voix à l'hélium façon LocoRoco, un banjo survitaminé lorsque l'on course un Coffrapatte. On pense entendre du Danny Elfman ou du John Williams lorsque l'on arrose les antagonistes à dos de Moskito. Plus tard, on croit ouïr le thème de Shaft revisité, ou même celui de Super Mario Bros. au moment de découvrir un Lum couronné. Et puis il y a cet hommage aux thèmes western d'Ennio Morricone, somptueux. Mais là, pour l'entendre, il faudra aller loin, très loin dans le jeu...
Ce Rayman Origins, je l'aime. Comme un fou. Comme un soldat. Comme une star de cinéma. Si je pouvais lui mettre six, sept, même cinquante-deux étoiles, je le ferais. J'y ai passé quatre jours pleins, ai sué sang et eau pour rendre ce test dans les temps. Et en y repensant, tout n'a été que kiff. J'ai du m'adapter à une difficulté de plus en plus monstrueuse, mais pas une seule fois je n'ai été déçu ou frustré. Ce jeu de plate-forme est beau, complètement dingue, ingénieux, balèze juste comme il faut, d'une fraîcheur inouïe et terriblement amusant à plusieurs. Michel Ancel et son équipe ont réalisé le meilleur jeu de plate-forme 2D de ces dernières années. Pour moi, il n'y a aucun doute là-dessus.