Cher Michel Denisot,
Hier soir, sur le plateau de votre émission Le Grand Journal sur Canal +, l'un des thèmes abordés concernait le lancement de GTA IV, le fameux "produit culturel ou sous-culturel" qui, si l'on en croit la récente couverture du quotidien Libération, titrée avec un rien d'emphase : "Le plus grand jeu de tous les temps", semble attirer l'attention de grands médias généralistes.
Le 28 avril 2008, pour parler de ce jeu vidéo événement vous avez décidé d'inviter : un psychiatre/psychanalyste et un comédien/animateur fan de jeu vidéo. Pas un journaliste. C'est votre choix. Un choix qui, d'emblée, donne cependant une couleur étrange à un débat concernant ce qui ne reste finalement qu'un jeu.
Oui, GTA IV est un jeu violent, subversif, souvent amoral. Ainsi lorsque sur votre plateau Salim Sdiri déclare avoir chez lui les précédents épisodes de GTA, y jouer... et qu'il n'est pas pour cette violence pour des jeunes de « 10... à 16 ans », comment ne pas être d'accord avec lui ? Ca tombe bien, GTA IV ne s'adresse pas à eux. Ce jeu est très justement déconseillé (et non interdit) aux joueurs de moins de 18 ans. La mention est clairement apposée sur la boîte, puisque la norme "PEGI" l'impose. Et cela semble justifié vu le caractère adulte explicitement reconnu par son contenu.
Le faisceau des questions posées alors dans votre émission se focalise sur une thématique unique : faut-il en avoir peur ? Faut-il y avoir une quelconque déviance ? Faut-il y voir le défouloir d'une jeunesse marginale ? Appuyer sur une manette de jeu facilite-t-il un passage à l'acte dans « la vraie vie » ?
Le fait qu'un jeu vidéo soit interactif le rend-il pour autant plus dangereux qu'un media où le spectateur est passif ? Les images et faits diffusés aux journaux télévisés, bien réels, eux, sont-ils moins choquants ou moins perturbants pour un jeune enfant ? Aviez-vous invité un psychiatre lors de la venue du sympathique Sylvester Stallone, qui se transforme pourtant en véritable machine à tuer abattant à coups de mitrailleuse des centaines de soldats dans le film John Rambo (film interdit seulement aux moins de 12 ans). Le célèbre jeu bien réel du cow-boy et des indiens est-il à bannir dans les familles ? Le fait, en bas âge, de se poursuivre armé d'un pistolet à pétard est-il un acte passif ? Brise-t-il la barrière du passage à l'acte potentiel chez les jeunes enfants ?
Tout est question d'encadrement. De mise dans son contexte. De prise de conscience de ses actes, et des conséquences qui en découlent. En d'autres termes : d'éducation. A ce titre, le message est clair : GTA IV ne s'adresse tout simplement pas aux jeunes joueurs. A chacun d'en avoir conscience et de prendre ses responsabilités (vendeurs, parents, acheteurs).
En revanche, GTA IV est riche en références cinématographiques, musicales, urbaines. Références qu'un large public peut comprendre ou serait intéressé de connaître. Un public adulte. Car derrière son action tapageuse, GTA IV est aussi un condensé de liberté, d'expérience numérique uniquement accessible via le media jeu vidéo. Un media qui chaque année touche de plus en plus de personnes dans le monde. Probablement pas uniquement des sociopathes en puissance. Et s'il y avait autre chose derrière le mur des apparences ?
J'avoue ainsi avoir été choqué de l'utilisation du mot « drogué » qualifiant Davy Mourier, caution jeu vidéo de votre débat. Le poids des mots est ici d'importance. Les fans de jeux seraient-ils donc des drogués ? Faut-il forcément être totalement « addict » pour être joueur... en tout cas à ce genre de jeu. Je ne le pense pas. En revanche Pete Doherty, que vous invitiez en octobre dernier sur votre plateau, se drogue. Avec de la vraie drogue. Pas de la drogue numérique. Donne-t-il envie aux jeunes qui l'écoutent de passer à l'acte eux aussi ? Si tel est le risque, vous auriez peut-être dû prévenir les parents au préalable.
J'aimerai aussi connaître la pertinence de la diffusion de la célèbre vidéo du jeune joueur allemand en transe devant son ordinateur. Cette vidéo a fait le tour du monde. Elle est aussi pathétique, que marginale. N'est-ce pas là sombrer dans la caricature facile et stigmatiser là où il n'y a finalement pas lieu à comparaison ?
Pour citer le récent article concernant GTA IV publié par le quotidien Libération : « les ligues de vertu de tout poil ne s'y sont pas trompées, qui ont fait depuis longtemps du label GTA le symbole maléfique d'une industrie de toute façon suspecte ». De toute façon suspecte.
Savez-vous qu'aujourd'hui, en 2008, 30 millions de français se disent joueurs de jeu vidéo ? Savez-vous que désormais plus de 40% de ces joueurs sont des femmes et que la moyenne d'âge du joueur français s'élève à près de 30 ans ? Savez-vous qu'en France les jeux vidéo les plus vendus sont des simulations de foot, de courses automobiles, de calcul mental et d'élevage de chiots ? C'est aussi une réalité du marché du jeu vidéo actuel.
Ne pensez-vous pas qu'à l'image des autres médias, qu'il s'agisse de cinéma ou de littérature, le média jeu vidéo se doit de fournir du contenu pour tous les âges, pour tous les publics, pour tous les goûts ? Des jeux drôles, des jeux matures. De purs divertissements, des aventures épiques. Et qu'à ce titre, GTA IV a toute sa place, pour un certain public ?
Le jeu vidéo, en tant que divertissement de masse, a aujourd'hui près de 40 ans d'histoire. Le jeu vidéo est en train de passer à l'âge adulte. Il n'a jamais été aussi ouvert, riche et varié. Le critiquer n'a rien de criminel. Libre à chacun d'apprécier les jeux, ou pas. Libre à chacun de vouloir en parler, ou pas. Mais le garder constamment dans l'ombre et se contenter d'en parler pour présenter de lui un visage hermétique, anxiogène et finalement si décalé de sa réalité de tous les jours m'étonne et j'avoue, me déçoit, de la part d'une émission si ouverte, libre et impertinente qu'est le Grand Journal que vous animez.
A votre disposition si vous souhaitez prolonger le débat.
Julien Chièze & La rédaction de Gameblog.fr