Il est 5 heures du matin un vendredi soir, quelque part près des Champs Elysées, dans un petit bar discret à côté de la rue de Ponthieu. Tandis que dans la rue ne cessent de passer de superbes mini-jupes surplombant des talons souvent aiguilles, votre serviteur vide des boissons alcoolisées en compagnie des sympathiques développeurs de High Moon Studios, venus de San Diego pour présenter The Bourne Conspiracy (La Mémoire Dans La Peau chez nous). Le métier est difficile, vous savez.
C'est l'avantage quand on se pointe en dernier lors d'une journée de présentation à la presse : on peut toujours accaparer plus de temps autour d'une bière avec des gens de bonne compagnie pour parler de jeu (ou de fesses). Dans le cas de High Moon, et de leur jeu The Bourne Conspiracy, je ne m'attendais vraiment pas à trouver un titre aussi novateur, visiblement le résultat d'une réflexion vraiment intéressante sur l'aspect cinématique de la narration dans le jeu vidéo.
Et le gars, il joue là ?
Une certaine personne de la profession dont je tairai le nom, alors témoin pour la première fois de la présentation de The Bourne Conspiracy, se disait intérieurement : "purée, j'espère que c'est pas juste de la cinématique leur démo". Commençant à douter, il s'est rendu compte peu après que ce qu'il voyait à l'écran n'était autre que le jeu, que dirigeait manette en mains un développeur de High Moon, pendant qu'un second expliquait les idées derrière ce jeu d'action à la 3ème personne. Mais une chose à la fois, parlons déjà des bases... Comme beaucoup l'auront déjà deviné, The Bourne Conspiracy reprend toute la mythologie de Robert Ludlum, déjà adaptée depuis le premier livre au cinéma, sous les titres - en français - de La Mémoire Dans la Peau, La Mort Dans la Peau, et tout récemment La Vengeance Dans La Peau. Trois films blockbusters avec Matt Damon dans le rôle titre, celui d'un super espion, Jason Bourne, transformé en machine à tuer par la CIA, mais qui finit par se retrouver dans la ligne de mire de ses propres employeurs. Un cauchemar à la mise en scène cataclysmique tout au long de la trilogie, et un personnage aux capacités faramineuses, qui semble toujours capable de se sortir de situations désespérées grâce à un talent unique pour utiliser son environnement. Un personnage qu'on imagine immédiatement dans un jeu vidéo, prêt à servir le fantasme de tout joueur avide d'action ciné et de bottages de fesses bien pêchus. Et bien évidemment, c'est précisément ce que les gars de High Moon se sont dit quand il a fallu en faire un jeu.
Etendre plutôt qu'adapter
"Beaucoup de jeux se targuent de proposer une action hyper cinématique, proche du cinéma", m'explique Meelad Sadat, un des responsables de High Moon, devant les images d'un Jason Bourne virtuel lancé dans une course poursuite le long des couloirs de l'ambassade américaine de Zurich. Les balles fusent et ses poursuivants mettent tout en oeuvre pour lui barrer la route. "Mais en réalité, on est encore dans des shémas visuels assez classiques ; nous avons voulu pousser tout ça beaucoup plus loin, notamment grâce à une caméra qui puisse rentranscrire vraiment les capacités incroyables de Jason, avec des cadrages dynamiques rendant justice au personnage", poursuit-il. Je regarde l'écran, assez impressionné de voir en images ses propos prendre tout leur sens. Confronté à ses adversaires, Jason enchaîne coups de poings, de pieds, alors que la caméra choisit toujours le meilleur angle de vue pour que l'action explose à l'écran comme on peut le voir au cinéma. Celle-ci change régulièrement de cadrage, s'agite comme si elle était portée par un cadreur, et appuie l'action trépidante comme je ne l'avais jamais vu dans un jeu d'action de ce genre. L'aventure se déroule juste avant le début du premier livre, alors que Bourne est encore au service de la CIA : "La mythologie qui entoure Bourne est très étoffée, et plutôt que d'adapter les films ou les livres, nous avons la chance de pouvoir l'enrichir. Après la littérature et le cinéma, c'est au tour du jeu d'apporter sa pierre à l'édifice Bourne". Pour y parvenir, quelques grands noms ayant travaillé sur les films apportent leur contribution : Jeff Imada, coordinateur des séquences de combat, ou encore Tony Gilroy, responsable du scénario de chacun des trois films. Une préquelle qui se déroulera plus ou moins sous forme de flash backs, permettant aux joueurs de découvrir et surtout de vivre le passé de Bourne, et la manière dont il en est arrivé à ce qu'on a pu voir dans les livres et les films.
Maître du contexte
Une des spécificités de Jason est son extraordinaire conscience de ce qui l'entoure. Dans le jeu, cela se traduit de plusieurs manières. D'abord, le joueur a accès à ces sens ultra développés, lui donnant pendant de cours instants, à la pression d'un bouton, un aperçu de ce que perçoit Jason. Ennemis cachés, éléments potentiellement utiles dans son environnement, etc. Ensuite, lancé en plein corps à corps avec un ou plusieurs adversaires, le jeu se charge d'interpréter de manière contextuelle les actions du joueur. S'il est prêt d'une table, Jason écrasera le crâne de son ennemi dessus, tirera partie automatiquement des objets alentours, murs ou rembardes, dès que le joueur saura se mettre en position pour un ou une série de "take downs". Chaque combat remplit peu à peu une jauge d'adrénalyne divisée en trois niveaux, chacun équivalent à un ennemi abattu lorsqu'on lance le take down. Celui-ci utilise les bons vieux Quick Time Event, de plus en plus présents dans tous les jeux d'action (NDJulo : eh oui, merci Yu, merci Shenmue, hum), tout en évitant de forcer le joueur à la réussite. S'il manque ses take down, il revient simplement en situation de combat "classique". Les animations, grâce à moult effets de blending et de techniques procédurales, affichent une fluidité exemplaire et renforcent plus encore le caractère cinématographique des combats. Mais le corps à corps n'est pas le seul élément du game design de The Bourne Conspiracy. Armes à feu bien sûr, courses poursuites, un soupçon d'infiltration, combats de boss... l'ensemble se mélange pour introduire un peu de variété dans tout cela. La transition d'une situation de combat au corps à corps à celle de combat avec armes à feu se fait extrêmement rapidement, à la manière de films une fois encore, et au choix du joueur.
Prendre des risques, ça peut payer
Quand on a l'habitude du jeu vidéo, de critiquer des jeux, et qu'on est témoin de ces caméras complètement inédites en jeu d'action, ou que l'on découvre les éléments qui constituent les mécaniques de jeu proposées au joueur, on se pose immédiatement des questions empruntes de réserves. Est-ce que ces cadrages dynamiques ne risquent pas de nous dérouter manette en mains ? Cette action trépidante et hautement cinématgraphique saura-t-elle se renouveler suffisamment pour ne pas être lassante passé quelques missions ? Vous devinez ce que c'est ; on offre un oeil automatiquement interrogateur, en se posant de légitimes questions de "professionnel". Toujours est-il que le coeur, lui, ne peut s'empêcher d'être attaché à ces développeurs qui, au travers d'un simple jeu d'action à la 3ème personne, tentent de faire progresser le genre en prenant ce genre de risques. Reste à voir si l'essai s'avère bel et bien transformé, auquel cas The Bourne Conspiracy pourrait bien rester dans les mémoires de nombreux amateurs comme une étape importante en la matière, d'autant qu'une trilogie de jeux est déjà envisagés si le succès est au rendez-vous. En tout cas, en tant que spectateur, ça donne sacrément envie de se glisser dans la peau de Jason Bourne... ce qui n'arrivera pas avant mi-2008.