Nous vous en avons déjà parlé plusieurs fois, Eric Chahi est de retour dans le monde du jeu vidéo bien des années après lui avoir légué le cultissime et fondateur Another World. Mais pour ce nouveau projet, rien à voir avec l'aventure cinématographique : ce sont les éléments de la nature et les bases du god-game qui inspirent From Dust. Nous avons donc joué les Dieux (ou plutôt, Le Souffle), pendant quelques heures en compagnie de notre tribu.
Le God Game est un genre aussi particulier que rare. Le principe en est pourtant simple : on incarne un Dieu, ou en tout cas une entité supérieure, qui contemple et agit sur le monde par des pouvoirs particuliers, pour le modeler lui, ou sa population. Dans From Dust, il s'agit du Souffle : recréé au début du jeu par la Tribu, il est à la fois curseur du joueur et âme de la tribu.
Tu prends ou tu relâches ?
En termes de gameplay, le joueur n'a aucune influence sur les membres de la tribu. Ils naissent, vivent et meurent d'eux-mêmes, et s'ils sont assez intelligents pour tenter de nager vers les rives si un raz-de-marée tente de les noyer, il est bien rare qu'ils puissent survivre dans l'environnement hostile de From Dust sans l'aide du Souffle. C'est donc là votre but ; permettre à la tribu de se propager, de totem des anciens en totem des anciens, en fondant des villages jusqu'à pouvoir ouvrir le portail qui mènera une petite troupe de 6 ou 7 individus vers un nouveau monde. Pour les aider, le Souffle et donc le joueur peut prendre de la matière dans le monde, et la relâcher ailleurs. C'est la base du gameplay. Je prends de la terre ici, je la dépose là ; j'ai créé un creux ici et un monticule là. Eau, Lave, Terre... les matières avec lesquelles on peut jouer disposent bien entendu de propriétés différentes, ne serait-ce que la manière dont elles s'écoulent sur le terrain, mais quoiqu'il arrive, le monde continue de tourner (il est entièrement simulé, avec son érosion, ses mécaniques de fluide, le refroidissement de la lave, propagation du feu, de la vie, de la végétation, et tout le tintouin). Dans une des premières maps, où il s'agit de reconstruire une barrière de roche pour éviter que de cycliques raz-de-marées n'engloutissent le second totem, il faudra aussi le faire vite, car le volcan, de l'autre côté, aura tôt fait de faire couler sa lave jusqu'aux abords de la forêt entourant le premier village - et d'y mettre le feu aussi sûrement que régulièrement. L'éteindre en prenant de l'eau est bien possible, mais fastidieux. Il peut en résulter une certaine frustration : les progrès effectués sur une carte, à détourner le lit d'une rivière, ou édifier une barrière de roche, peuvent se retrouver annihilés par la progression naturelle des éléments ailleurs, qu'il s'agisse de la végétation elle-même qui s'étend jusqu'à une zone volcanique, ou les sources naissantes finissant par submerger un village à force de grossir et de se multiplier en emportant de la terre avec elles.
Etre au four de lave et au moulin de sable
Passé les deux premières cartes, on s'aperçoit assez vite qu'il faudra être attentif et constamment sur la brèche pour progresser. Malgré tout, le rythme du jeu reste assez lent et calme, même si tout peut basculer très vite en commettant certaines erreurs. Auquel cas, il vaut mieux recommencer entièrement un territoire... même s'il faudra dès lors se retaper cinématiques d'explications déjà vues et compagnie, puisqu'on ne peut pas les passer. Chaque territoire est sauvé en l'état par le jeu : il n'y a pas à proprement parler de sauvegardes indépendantes, seulement la possibilité de remettre à zéro une carte de la campagne solo. En marge de cette dernière, le joueur débloquera plusieurs trucs. D'abord des pages à lire de l'histoire de la tribu et de sa mythologie, classées par chapitres (les animaux, la tribu, les totems, etc.), mais aussi des cartes défis. Ces dernières reposent sur un principe simple : des situations incongrues et dangereuses, comme une île en crête avec des sources projetant de l'eau sur ses versants de manière régulière, et 5 individus qui doivent parvenir à l'autre bout, sans se retrouver noyés par cette série de toboggans naturels qui obstruent leur passage. A chacun de trouver la bonne méthode pour y parvenir, avec des handicaps (par exemple, on ne peut saisir que de l'eau et pas autre chose ; impossible donc de boucher les sources). La propagation de la végétation sur une carte (jusqu'à en couvrir 100%), et la découverte de petites pierres de savoir cachées, constituent l'essentiel des objectifs secondaires de chaque carte. Pour varier un peu le gameplay et surtout aider le joueur à se tirer de situations souvent pénibles à gérer, certains totems conquis offrent des pouvoirs à activer, avec temps de recharge et effets cadrés : par exemple figer l'eau pour ouvrir un passage dans une rivière trop large, le temps que la tribu la traverse, ou la faire s'évaporer graduellement pour en maîtriser le flot quand les sources se font trop nombreuses.
J'attends de pouvoir en faire plus et découvrir jusqu'où les développeurs de From Dust ont été pour fournir des mécaniques de jeu intéressantes. Il y a notamment des arbres spéciaux (végétation que les tribus ne peuvent pas traverser, arbres-phoenix qui s'enflamment à intervalles réguliers, etc.), et probablement d'autres surprises pour enrichir la simulation, mais il semble d'ores et déjà acquis que From Dust s'adresse plus aux amateurs de bac-à-sable simples qui ont joué trop tard aux LEGO, qu'aux amateurs de God-Games complexes au pouvoirs variés et spectaculaires à la Populous. J'espère surtout que le côté un tantinet fastidieux de balader son curseur et de manipuler la formation du monde, poignée de matière par poignée de matière, ne nuira pas dans la longueur au plaisir qu'on éprouve à voir ses créations prendre forme et sa tribu prospérer.