Après avoir disparu des radars durant plus d'un an, l'un des jeux les plus attendus de l'année 2020 profitait d'un State of Play singulier pour refaire parler de lui. Et parmi les quelques privilégies qui ont pu pour la première fois poser les mains sur The Last of Us Part II, il y avait Gameblog. Et parce que l'aller-retour entre Paris et Los Angeles demande quelques heures, nous avons profité de notre passage express dans la Cité des Anges pour tailler le bout de gras avec Halley Gross, co-scénariste des nouvelles aventures d'Ellie aux côtés de Neil Druckmann.
Gameblog : Vous êtes donc en charge d'écrire le second chapitre d'un des jeux les plus récompensés de la dernière décennie, comment avez-vous géré la pression ?
Houla ! Eh bien j'ai travaillé très dur et j'espère que tout ira bien. C'était une expérience assez intimidante et excitante. Neil et tout le monde chez Naughty Dog ont tout donné pour créer ces personnages magnifiques et forts, et ce fut un privilège de les aider à pouvoir continuer de donner vie à l'aventure d'Ellie.
Nous avions quitté Ellie alors que Joel lui offrait sa liberté d'être autre chose qu'un objet d'étude : quel fut le point de départ pour aborder l'écriture de The Last of Us Part II ?
Nous nous sommes attachés à décrire l'évolution d'Ellie depuis la fin du premier épisode : elle s'est installée dans la ville de Jackson, et elle a désormais 19 ans, et elle se sent relativement en sécurité dans cet univers. Elle tombe même amoureuse, mais un événement dévastateur se produit, et l'oblige à repartir à l'aventure en quête de vengeance.
Comment expliquez-vous que Joel et Ellie aient pu survivre durant ces quatre années qui séparent les deux chapitres ?
À la fin du premier jeu, nous comprenions que Joel et Ellie prenaient la direction de Jackson, dans le Wyoming, où vivent Tommy, le frère de Joel et sa femme Maria, et c'est là-bas qu'ils ont passé les quatre dernières années. Ils ont donc évolué dans une communauté porteuse d'espoir, dans laquelle ils se sentent en sécurité et entourés. Ils ont donc pu se développer, prospérer, plus que de simplement devoir survivre, et ont donc pu grandir ensemble.
Ellie avait jusqu'ici l'habitude de fonctionner quasi-exclusivement en binôme avec Joel, mais elle se retrouve rapidement seule dans The Last of Us Part II : comment ce changement va-t-il affecter sa personnalité ?
Et bien c'est différent lorsque qu'elle a 14 ans, et que cette figure paternelle est là pour la protéger, prendre soin d'elle, mais aussi lui dire comme vivre sa vie. Ce jeu est centré sur l'évolution de la relation entre Joel et Ellie. Aujourd'hui, elle a 19 ans, et possède désormais une volonté affirmée - elle la possédait déjà à 14 ans - mais elle est capable de choisir par elle-même. Ellie fera parfois les bons choix, mais pas toujours, et nous sommes enthousiastes à l'idée de la montrer trébucher, se relever, pour devenir une véritable femme.
Joel était inexistant dans la communication autour du jeu jusqu'à maintenant, qule rôle va-t-il jouer dans ce second chapitre ? Vous vous êtes amusés à tromper les joueurs sur sa présence...
Ce jeu est véritablement centré sur la relation entre Joel et Ellie : Ellie a grandi, Joel aussi, mais séparément. Comme un enfant vis-à-vis d'un parent, ils s'attirent et se repoussent. Notre but est vraiment de faire honneur aux personnages. C'est évidemment formidable de réussir à avoir ce genre d'impact, et nous voulons toucher les joueurs, mais l'idée est de montrer ce qu'Ellie est devenue lors de ces quatre années qui nous séparent du premier jeu. Qu'il nous faille ajuster la narration, le design d'un personnage, nous nous concentrons toujours sur l'idée de raconter l'histoire d'Ellie, à travers le jeu. Il s'agit vraiment là du thème central.
The Last of Us proposait une très forte narration environnementale : comment avez-vous arbitré sur ce qui devait être explicitement raconté, et ce qui devait l'être de façon plus subtile ?
C'est quelque chose de très motivant : la narration environnementale est extrêmement importante pour Naugthy Dog, et vous avez pu voir dans la démo de The Last of Us Part II à laquelle vous avez joué que l'on découvre des documents un peu partout. L'idée était de raconter à quoi ressemble Seattle sous le joug du Front de Libération de Washington : cette histoire n'est pas racontée à travers Ellie, car elle est là pour libérer Tommy. C'est à travers les notes et la direction artistique que l'on comprend ce qu'il se passe. Nous avons essayé de décrire ce monde à travers tous les éléments présents à l'écran : les personnages, les bâtiments, les environnements... Et je ne pense pas que l'on puisse trop en faire, mais lorsque le rythme se calme, nous en profitons, car nous voulons raconter le plus de choses possible.
Entre les deux démos jouables, le temps semble s'être encore écoulé, et certains éléments se dévoilent, comme le tatouage qu'Ellie porte désormais sur son avant-bras...
Bien sûr ! Quatre ans se sont d'abord écoulés, et elle est passée de 14 à 19 ans, ce qui est une sacrée évolution. Comme vous l'avez vu dans la démo, c'est une de ses ex-petites amies prénommée Cat qui a tatoué le bras d'Ellie. Mais vous avez aussi pu voir qu'elle mettait son masque devant Dina. Comme nous le savons depuis le premier épisode, Ellie est immunisée, et elle n'a donc pas besoin d'en porter. Elle vit donc à travers un mensonge, même pour les gens qui lui sont très proches. Son tatouage en est une représentation : elle cache ce qu'elle est réellement.
The Last of Us proposait quelques ellipses narratives, et ces deux démos semblaient aller dans le même sens : avez-vous choisi de sciemment occulter certaines parties de l'histoire ?
Bien sûr, nous avons commencé avec une intention : parler du cycle naturel de la violence, et placer Ellie au centre de cette thématique. Puisqu'elle part en quête de justice, nous nous interrogeons sur les motivations, comment elle compte s'y prendre, et les répercussions que tous ces éléments auront sur son âme : c'était notre point de départ. Tout le reste a donc été pensé pour la mettre à l'épreuve, la pousser dans ses retranchements, et en faire le personnage le plus profond que vous ayez pu voir dans un jeu vidéo.
La première partie nous montrait une jeune femme encore relativement apaisée : la haine qui animera Ellie va-t-elle jaillir soudainement, ou avez-vous opté pour une construction plus progressive ?
C'est une très bonne question. Il y a un événement particulier qui se produit entre les deux démos auxquelles vous avez pu jouer qui fait jaillir en elle une colère et la pousse à partir pour Seattle. Et à partir de ce moment-là, le jeu se concentre sur la manière dont cette colère va la transformer. Tout le jeu raconte la naissance et l'évolution de sa colère : comment la haine, la colère mais aussi l'amour vont changer ce qu'Ellie était en tant que personne et quelle genre de femme adulte elle va devenir.
The Last of Us était évidemment porteur de violence, mais développait un message bien plus subtil : n'avez-vous pas été frustrée de voir que seule la violence visuelle était présentée dans la communication autour de cette suite ?
Notre espoir est de se concentrer sur la notion de trauma : si nous avons choisi de cycle naturel de la violence, c'est pour évoquer le trauma. Chaque décision que nous avons prise et chaque élément dévoilé au public visent à montrer que nous prenons Ellie au sérieux, que nous nous interrogeons sur le fait de vivre et de grandir dans un univers où la violence est systémique et les peines nombreuses.
La ville de Jackson semble avoir protégé Ellie d'une menace quotidienne, mais peut-on véritablement vivre une vie normale dans cet univers post-pandémique ?
C'est intéressant : certains aspects de sa vie vont forcément devenir une routine. Chaque jour est une lutte pour la survie, que ce soit face au Front de Libération de Washington qui sévit à Seattle, ou les infectés de la ville de Jackson. Mais bien que cette violence ne se produise pas forcément au quotidien, elle va nécessairement avoir un impact négatif sur Ellie. Et nous voulons donc explorer ce que cet effet de dégradation occasionne sur le long terme.
Aurons-nous l'occasion d'expérimenter le quotidien plus pacifié de cette nouvelle vie en communauté ?
Je ne peux que vous parler de ce qui était présenté dans la démo, mais je peux vous dire qu'il est très important pour nous de montrer d'où part Ellie au début du jeu.
Vous avez également souligné l'importance que l'amour aura dans The Last of Us Part II : comment parvient-on à conserver ce sentiment dans un univers aussi menaçant ? Est-ce encore possible d'y penser ?
Tout à fait ! Pour Ellie, l'amour est le plus grand des moteurs. Nous essayons de montrer un nombre de protagonistes très varié, et certains seront animés par leur amour propre, d'autres par la religion ou encore leur communauté. Mais Ellie est portée de tout son coeur par l'amour, et vous pourrez le voir dans la relation qu'elle entretient avec Dina, et son amour nous permet de montrer une part de sa personnalité que nous n'avions pas encore abordée : cette fille dure à cuire peut aussi être apeurée et vulnérable car elle doit puiser dans ses ressources pour survivre au quotidien, mais elle doit aussi prendre des risques. Plus que tout, Ellie n'aime pas à moitié, elle aime intensément, et c'est ce qui la rend si spéciale. Le jeu la présente comme une femme adulte, mais nous souhaitions la faire évoluer dans un lieu propice à ce qu'elle puisse expérimenter de nouvelles choses, des premières fois. Elle va prendre de gros risques, ce que nous avons tous fait lorsque nous étions adolescents.
Le réalisateur Neil Druckmann avait autrefois déclaré qu'il ne lancerait The Last of Us Part II que s'il avait une histoire digne d'être racontée. Cela veut-il dire que vous avez rempli cette exigence ?
J'espère ! Je considère que Neil avait déjà élaboré la colonne vertébrale de l'histoire lorsque j'ai commencé à travailler sur le jeu avec ses propres capacités, et je pense que nous tous, car toute l'équipe de Naughty Dog a été très investie dans la narration, et chacun a oeuvré à donner vie à ce jeu si spécial dans l'histoire du jeu vidéo.
Quelle part de liberté avez-vous eu dans l'écriture du scénario dans ce cas ?
Neil est très ouvert aux nouvelles idées de la part de toute la communauté : le principe chez Naughty Dog, c'est que l'on peut s'exprimer. Si quelque chose ne vous semble pas satisfaisant, ou inapproprié, perfectible... Il y a cette volonté de prendre en compte les bonnes idées d'où qu'elles viennent. C'est très intéressant, car je pense que cela renforce grandement le jeu, et lui confère une personnalité forte.
Quels sont les thèmes que vous avez personnellement voulu mettre en avant dans The Last of Us Part II ?
Le thème central sur lequel nous nous sommes concentrés est la nature cyclique de la violence, que l'impact de chaque acte violent est énorme, cumulatif, et pas seulement sur le monde extérieur, mais aussi sur votre esprit. C'est vraiment l'aspect le plus important.