Ce n'est plus un secret pour personne, Star Wars : The Old Republic, le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur à abonnement mensuel de BioWare, LucasArts et Electronic Arts sur l'univers de La Guerre des Etoiles, sorti le 20 décembre 2011 sur PC, est un échec. L'introduction de l'option free-to-play il y a quelques semaines (15 novembre 2012) en est la preuve flagrante. La question est donc la suivante : qu'est ce qui a manqué à ce titre, qui bénéficie pourtant de l'un des backgrounds les plus riches de la culture fantastique, pour s'imposer ?
D'abord, il convient de rappeler que les jeux à abonnement subissent de sévères déconvenues depuis plusieurs années, World of Wacraft mis à part. Bien que le MMO star de Blizzard ait essuyé plusieurs vagues de départs de la part d'une certaine frange de ses abonnés, il se maintient sans trop de mal à 10 millions de joueurs réguliers depuis la sortie de sa dernière extension, Mists of Pandaria. Et ce MMO, vestige d'une époque révolue, est le concurrent direct de Star Wars TOR. La confrontation est donc inévitable dans la mesure ou rares sont les joueurs qui peuvent s'investir dans plus d'un MMO.
Une direction artistique contestable
D'abord, WoW entre dans sa huitième année d'existence et sa direction artistique orientée comics lui permet de vieillir moins rapidement que ses concurrents. Chose qui risque d'être plus difficile pour TOR, surtout en ce qui concerne ses décors qui se veulent finalement plus réalistes. Mais la première chose à noter est que l'univers du titre de BioWare est finalement bien moins vivant que celui de WoW. Plus froid, tant par son atmosphère que dans son ambiance générale, la galaxie de TOR ne supporte pas la comparaison face à l'émerveillement d'un joueur lors de ses premiers pas en Azéroth, le monde de WoW. Nombre de détails qui font la différence sont à souligner mais on notera surtout les multiples manières de se déplacer de chacune des races de WoW alors que tous les personnages de TOR se meuvent à l'identique avec un balai dans le fondement, si vous me permettez l'expression. Des détails ? Certes, mais soyez certain que cela fait la différence lors des premières heures de jeu, ou au bout d'un moment ; cela participe à la lassitude possible des joueurs. De même, la comparaison face à la classe des personnages d'un Guild Wars 2, avec sa direction artistique léchée, montre que BioWare a sans doute eu bien du mal à trouver son équilibre entre son talent créatif et le cahier des charges imposé par la licence Star Wars, marqué par la première déconvenue du précédent MMO adapté de cet univers : Star Wars Galaxies.
Une expérience sociale en marge
Ensuite, WoW profite d'une longue expérience sur un aspect essentiel du MMO, l'interaction sociale. En effet, vivre des expériences entre joueurs est l'essence même de ce type de jeu. Et dans ce domaine, TOR a choisi le pendant inverse, celui de proposer une aventure jouable en solitaire via des événements extrêmement scénarisés. Bien entendu, il est possible de vivre les histoires d'un même donjon à quatre mais cela n'est pas réellement suffisant puisque l'on ressort malgré tout de l'expérience avec la terrible impression d'avoir joué à un MMO en solitaire. Et ne parlons pas des problèmes pour constituer un groupe d'envergure, soucis que l'on doit à un système de chat archaïque et des bugs récurrents... Conclusion, il est difficile de retenir les joueurs une fois qu'ils ont atteint le niveau maximum et qu'ils ont terminé leurs fameuses quêtes de classe en solitaire. Ils pourraient recommencer un nouveau personnage me direz-vous ? C'est une possibilité mais nombre de quêtes, et ceci quelle que soit la classe, se ressemblent. Et puis on a souvent envie de relancer un nouveau personnage uniquement lorsque le premier de ses héros semble complet ; et sans un passage en PVE Haut Niveau il est rare d'avoir le sentiment d'avoir réellement dominé un MMO...
Un contenu de haut niveau buggé
Pour atteindre leurs objectifs les joueurs pouvaient alors se rabattre sur ce que l'on appelle le PVE (joueurs contre environnement dans des donjons à compléter à plusieurs) à haut niveau mais ce dernier était extrêmement buggé dès le lancement de TOR. Il s'agit d'un souci récurrent dans un MMO à ses débuts mais les joueurs sont de plus en exigeants. Le temps de réaction des développeurs a ainsi été considéré comme trop lent, comme ce fût le cas pour Age of Conan en son temps. Mais ce qui a vraiment démotivé les joueurs, ce sont les récompenses récoltées face aux boss de haut niveau qui se sont révélées nettement moins attrayantes que celles que l'on pouvait récupérer en jouant contre d'autres joueurs (en PVP : players versus players). En effet, les équipements étaient simples à obtenir en se contentant de passer des heures dans les arènes du jeu. Dommage, en plus, que là encore la qualité des combats entre joueurs n'ait jamais égalé la fluidité de celle des affrontements arcade de World of Warcraft ou qu'il n'aient eu l'ampleur de ceux d'un Guild Wars 2 ou d'un Dark Age of Camelot. Lags, bugs et architecture nettement moins poussée des arènes ont été fatals à cette partie de l'expérience TOR. Et c'est d'autant plus vrai que le PVP en monde ouvert, sur la planète Ilum, était souvent impraticable (lags furieux, surcharge, etc.), statique (vos actions n'avaient finalement que peu d'incidences sur l'univers) et répétitif. Bref, le MMO de BioWare a clairement manqué d'envergure face à ses concurrents en ce qui concerne le PVP, au point qu'il faudrait se demander si les aspects PVP et PVE à Haut Niveau n'ont pas été sacrifiés sur l'autel des aventures "solo" proposées pour chaque classe de personnage de TOR.
Un passage au free-to-play douloureux
Il est difficile de déloger un jeu comme World of Warcraft. En tête du genre depuis longtemps, il a les reins assez solides pour supporter les assauts de plusieurs challengers pendant de longs mois, voire de longues années. Le concurrent de ce mastodonte devra donc prendre son temps pour se hisser à la hauteur du titre de Blizzard. Et compte tenu du coût de développement de SW TOR (on parle de plus de 150 millions de dollars), le jeu de BioWare devait rentrer dans ses frais au plus vite après sa sortie, défi qu'il n'est pas parvenu à remplir (on parle d'un pic à 1.800.000 abonnés retombé très rapidement sous le million, voire moins). Pressé par le temps, l'argent et les investisseurs, les développeurs de TOR ont décidé de passer au modèle free-to-play et c'est finalement là que le drame a réellement commencé à mon sens.
Première erreur : jamais il ne faut annoncer un passage d'un modèle à abonnement mensuel à la gratuité plusieurs mois à l'avance. C'est en premier lieu un aveu d'échec et c'est surtout dire aux abonnés actuels qu'ils sont en train de payer pour un contenu que d'autres auront gratuitement dans quelques mois. Pourquoi continueraient-ils alors à lâcher leurs deniers entre temps, je vous le demande ? Et s'ils acceptent, ils auront sans aucun doute l'impression de s'être fait avoir. Et lorsqu'une communauté se sent flouée, vous savez que ce n'est jamais bon pour l'avenir.
Seconde erreur : proposer un jeu à la carte. Si l'idée est séduisante de prime abord, elle ne veut dire qu'une seule chose pour beaucoup de joueurs : ceux qui payent auront une expérience privilégiée par rapport à ceux qui jouent gratuitement (ce qui reste logique, dans une certaine mesure, mais a tendance à mal passer auprès des joueurs). Ce n'est pas un réel problème sur certains titres, et plus particulièrement les MMO qui ont débuté avec ce modèle économique, ou les MOBA, à partir du moment où cela n'impacte pas réellement le gameplay. Mais dans le cas de TOR, le passage au free-to-play est déjà douloureux et il semblerait que ceux qui payent profitent réellement d'un grand confort de jeu, surtout à haut niveau. Autre point important, ce jeu à la carte est complexe à expliquer aux joueurs. Vous l'aurez compris, trouver l'équilibre parfait entre joueurs gratuits et joueurs payants sans frustrer personne est extrêmement difficile... Alors autant dire que face au succès inégalé d'un World of Warcraft, ou la formule "acquisition du jeu puis jeu gratuit" d'un Guild Wars 2, Star Wars : The Old Republic est loin d'avoir trouvé la formule idéale qui pourrait le sortir du côté obscur, comme ce fût le cas du Aion de NC Soft disponible depuis 2009.
Les MMO dans la tourmente
Lorsque l'on prend un peu de recul et que l'on constate le passage en free to play de MMO à la base payants, tels que DC Universe, Aion, City of Heroes, Star Trek Online, Warhammer Online ou plus récemment TERA, la tendance parait claire. La grande majorité des joueurs n'est plus prête à investir entre 13 et 15€ par mois, surtout après l'achat d'un jeu de base au prix normal. Et c'est sans doute ce qui a poussé les développeurs de NC Soft à proposer la formule "achat du jeu, sans le moindre abonnement ensuite". Un modèle qui semble déjà plus viable sur le long terme lorsqu'il s'agit de conserver une communauté mais qui doit faire face à une autre formule que l'on connait bien, celle des jeux entièrement gratuits dans lesquels le joueur peut éventuellement acheter du contenu supplémentaire. Mais là encore, la formule ne remporte pas tous les suffrages puisque trop souvent ce qui est proposé à l'achat manque cruellement d'intérêt. Un constat que l'on peut aussi faire dans TOR. En effet, d'un côté on trouve des tonnes d'équipements et autres artifices esthétiques qui sont tout à fait dispensables et de l'autre, on doit payer à haut niveau pour avoir accès au JCJ et au PVE HL sans restriction. Des offres qui ont finalement un goût amer puisqu'elles engendrent soit la frustration, soit carrément le dégoût. Et cela s'avère d'autant plus vrai qu'investir aujourd'hui dans TOR apparait comme inutile puisque même si les serveurs restants ne manquent pas de joueurs la journée, il devient difficile de faire du PVP ou des donjons passé minuit.
Pour avoir pratiqué Star Wars : The Old Republic à haut niveau pendant plus de 8 mois, autant vous dire que j'ai le sentiment d'un incroyable gâchis. Avec un background aussi riche et séduisant, avec un développeur aussi doué et un jeu d'une grande richesse proposant autant d'activités, TOR avait pourtant beaucoup d'atouts dans son jeu. Mais avec son modèle économique mal calibré, dépassé et absolument pas adapté à un marché en pleine transformation, ses coûts de développement exorbitants et la réactivité bien trop lente des développeurs, sans doute à cause d'une tâche à l'ampleur gigantesque à chaque patch et amélioration, le MMO de BioWare n'a pas su trouver un public à la hauteur de ses espérances et surtout de ses besoins. Et il y a peu de chances que les choses changent à l'avenir car dans la tête des joueurs, l'échec d'un MMO est bien souvent définitif une fois qu'on l'a quitté ; et y réinvestir son temps libre et ses deniers n'est pas envisagé si la communauté ne suit pas. TOR est ainsi devenu le symbole d'un modèle économique en fin de vie en passant en free to play moins d'un an après sa sortie... Reste maintenant à savoir quelles seront les formules de titres très attendus tels que Project Titan de Blizzard et The Elder Scrolls Online de Bethesda, pour ne citer qu'eux. Alors d'ici là, que la Force soit avec BioWare, Electronic Arts et LucasArts car ils en auront bien besoin maintenant que vient de se déchirer, le voile du côté obscur.