Si vous avez eu la bonne idée de suivre la GamesCom 2011 sur Gameblog, alors vous savez déjà tout l'enthousiasme qu'a soulevé la première présentation du titre à laquelle nous avions eu le privilège d'assister. Véritable héritier de la philosophie du studio Looking Glass (Thief, System Shock, Ultima Underworld), il propose un univers unique, et un gameplay construit autour du thème de la Power Fantasy : l'incarnation d'un personnage puissant, doté de talents et de ressources variées pour atteindre ses objectifs. Dans Dishonored, il s'appelle Corvo Attono, et c'est un assassin royal...
Comme l'illustre le premier trailer en images de synthèse, Corvo était le garde du corps personnel de l'Impératrice Jessamine Kaldwin. Accusé à tort de son meurtre par Lord Regent, qui s'empare au passage du pouvoir, il est jeté en prison. Corvo est finalement libéré par un mystérieux personnage considéré comme une déité, "l'Outsider", qui le marque et lui octroie des pouvoirs magiques. A présent libre d'évoluer dans la ville de Dunwall, Corvo se lance dans une quête pour laver son nom, laquelle prendra, selon les choix du joueur, des allures de vengeance furieuse et meurtrière, ou de mission sacrée pour la justice et le rétablissement de l'ordre.
Question d'approche
A l'image de titres comme BioShock ou Deus Ex, le joueur sera libre d'adopter l'approche de son choix dans Dishonored, et d'utiliser ses pouvoirs, gadgets, armes et ressources de différentes manières. Qu'il opte pour la discrétion et les frappes chirurgicales, ou la sauvagerie que lui permettra ses nombreux et puissants pouvoirs, il devra néanmoins suivre une histoire qui l'amènera, de mission en mission, à éliminer différentes cibles d'importance. Mais éliminer ne veut pas forcément dire tuer, et les joueurs appréciant le choix seront heureux d'apprendre qu'ils pourront donc trouver un moyen d'éliminer toutes les cibles du jeu sans jamais tuer personne. Après, c'est assez dommage, car Corvo est quand même une sacrée machine à tuer, justement, avec tous ses pouvoirs et ses gadgets ! Lors de la démo à laquelle nous avons assisté à Paris, sa brutalité et sa puissance étaient une des solutions dévoilées pour la mission présentée (environ à 1/3 du jeu) : l'élimination des deux jumeaux Pendleton, parlementaires corrompus à la botte de Lord Regent, dans les bains du Golden Cat, l'équivalent d'un hammam / bordel où les riches de Dunwall vont passer du bon temps... et sur cette seconde approche dévoilée, la puissance de Corvo était jouissive... tout autant que sur la première, axée sur sa discrétion.
Ni vu ni connu, j'te tue
Sur le premier run infiltration, Corvo débutait dans les rues. Les points d'entrée d'une mission sont souvent tout aussi variés que les chemins disponibles pour la compléter. De même, la position des cibles est semi-aléatoire, en fonction de l'approche du joueur. A l'écran, pas grand chose en dehors de deux jauges (vie et essence, l'énergie utilisée pour les pouvoirs), et des pouvoirs équipés ; mais les amoureux de l'immersion totale pourront aller jusqu'à désactiver le HUD en entier dans les options. Bref, voici Corvo en phase d'infiltration et de localisation des Pendleton. S'approchant d'un garde, il peut le délester de son portefeuille ou de clés, plutôt que de l'éliminer pour les obtenir. Il peut aussi choisir de les étouffer, si le joueur préfère les épargner, et transporter les corps sur son épaule pour les cacher. Les développeurs parlent de 6 à 8 méthodes pour entrer dans le bâtiment des bains. Corvo peut posséder un rat pour s'infiltrer par les aérations des cuisines, un poisson pour passer par le fleuve, ou encore user des toits et d'un soupirail, puisqu'il est aussi capable d'escalader un peu partout. Tout en s'infiltrant, il surprendra des conversations, observera par les serrures, et glanera ainsi des informations utiles pour sa mission. Côté pouvoirs, il peut choisir de développer différentes capacités. Certaines sont passives : par exemple, s'il tue une cible qui ne l'a pas remarqué, son corps peut se transformer automatiquement en cendres pour lui éviter d'avoir à le cacher. La plupart sont cependant actifs : il y a par exemple la Vision des Ténèbres, qui permet de voir les vivants à travers les murs ainsi que leur cône de vision, la Rafale de vent qui peut les projeter vers leur mort ou plus simplement les repousser au milieu d'un combat, la Nuée Vorace de rats pour créer une diversion ou autre (voir plus bas), ralentir jusqu'à presque stopper le temps ou encore le clignement (blink en VO), sorte de téléportation à la distance limitée. Ce dernier pouvoir se révèle particulièrement utile : pour franchir l'espace séparant deux toits suffisamment proches, se cacher derrière un paravent sans risquer de passer devant deux personnes qui discutent, ou même pour apparaître directement dans le dos d'un garde et l'étouffer. Et il y a aussi la possession, bien sûr, de toute forme de vie animale. Les rats ou les poissons, on l'a déjà dit, mais aussi les humains : rien ne l'empêche par exemple de posséder l'un des jumeaux Pendleton, de le faire marcher jusqu'à un balcon, puis de sortir de son corps et de l'envoyer valdinguer à coup de Rafale pour que sa mort ait l'air d'un accident ou d'un suicide... Les personnages réagissent tout de même à la possession, lançant des "vous êtes sûr que tout va bien" et autres phrases exprimant leur étonnement des réactions étranges liées à ce pouvoir.
Gadgets meurtriers
Si les pouvoirs jouent bien entendu une part importante de l'arsenal de Corvo, ce dernier utilise aussi différents gadgets et armes particulièrement utiles. Il y a son fameux masque d'abord, muni d'une longue-vue très utile pour effectuer des repérages de loin, et le protégeant de la peste. Des pièges, tels que les terribles spirales tranchantes, pourront également couvrir sa fuite en hachant menu les jambes des gardes qui tenteront de le poursuivre. Différentes grenades, et munitions peuvent aussi être améliorées, tout comme ses armes principales : une arbalète discrète aux carreaux variés (somnifères, incendiaires, etc.), une sorte de Tanto affuté, et un pistolet bruyant mais rapide et meurtrier, aux cartouches elles aussi personnalisables. Les joueurs qui opteront pour l'approche brutale mesureront à l'écran toute la sauvagerie de ces capacités. Au sabre, les têtes volent. Les corps pris dans les pièges sont démembrés en une explosion de sang. Même si certains ennemis sauront esquiver ou parer les coups, si Corvo mesure bien ses propres parades, il pourra souvent les exécuter en un seul coup par une riposte bien timée. C'est véritablement une machine de guerre agile, rapide, puissante, suréquipée, et dotée de pouvoirs qu'il peut appeler via une roue de sélection à n'importe quel moment. Jongler d'une arme à une autre, d'une munition à une autre, d'un pouvoir à un autre semble rapide et destructeur. Ajoutez à cela les élixirs : Le remède de Piero, qui restaure l'essence, et l'élixir salutaire de Sokolov qui fait de même pour la vie, et un système économique rudimentaire permettant à Corvo de refourguer certains objets de valeur contre de l'argent pour se rééquiper entre les missions lorsqu'il sera de retour à sa planque, le pub Hound Pits, et on obtient une panoplie vertigineuse à exploiter. Et ça tombe bien, car tout le reste du jeu est conçu pour favoriser la créativité de joueurs qui manieront toutes ces possibilités.
Des choix dynamiques
S'il fait forcément usage de scripts, Dishonored fait néanmoins partie de ces titres qui privilégient la simulation. C'est à dire que les gardes peuvent casser d'eux-mêmes leur routine pour aller écraser un rat (vecteur de peste et de terreur dans ce monde que la maladie a ravagé), lequel est lui-même probablement échappé d'une meute dont la présence n'est absolument pas garantie, mais plutôt dépendante de l'état de la ville que le joueur influence à chaque décision. S'il est violent et tue beaucoup, le chaos ambiant favorisera la multiplication des rats, des rondes de gardes, etc. tandis que s'il se montre discret, il verra d'autres choses. Certains personnages importants lui parleront différemment en fonction de son comportement. Les opportunités et solutions qui s'offriront à lui varieront légèrement en fonction de son style de jeu. Mais au-delà de ce côté dynamique et simulé de la ville de Dunwall, déjà enthousiasmant, ce sont véritablement les capacités que le joueur choisira de développer (via l'acquisition et la dépense de runes) qui lui fourniront un tas de solutions face aux problèmes rencontrés. Car si la structure globale du jeu reste linéaire (on passe de mission en mission), à l'intérieur d'une mission, d'un quartier, d'un bâtiment, les voies disponibles sont extrêmement nombreuses - Deus Ex style. Le tout avec un côté organique et logique très poussé, un univers passionnant qui fournit à chaque détail sa raison d'être.
Un monde cohérent
Nous parlions des rats : ceux-ci sont un bon exemple pour illustrer le souci de cohérence de l'équipe de développement, qui touche à l'univers, mais aussi au gameplay, mettant chaque aspect du jeu en relation. Dans le monde de Dishonored, il n'y a pas de vaccin contre la Peste. Celle-ci a ravagé l'immense majorité de la population, et conduit la civilisation vers ce côté rétro-futuriste, mâtiné de steampunk et de dark fantasy. Le rat, porteur de la Peste, est bien entendu une créature qui fait peur. Les habitants de Dunwall peuvent tenter de les écraser s'ils ne sont pas nombreux, ou fuir s'ils le sont. Corvo, lui, peut posséder les rats. Il peut donc, nous l'avons vu, s'en servir pour s'infiltrer dans un bâtiment, mais devra néanmoins éviter de se faire repérer s'il ne veut pas finir sous une chaussure. Il peut aussi invoquer des nuées de rats, ce qui, du coup, servira de plusieurs manières aux joueurs imaginatifs. Par exemple, détourner l'attention, bien sûr. Mais aussi retourner une situation de combat à son avantage. Ou encore... créer un hôte à posséder ! Mieux encore : une nuée de rats pourrait parfaitement dévorer un corps encombrant, évitant à Corvo d'avoir à le planquer. Le jeu va même jusqu'à gérer différents types de rats, reconnaissables à leur couleur : les blancs, plus rares, se laisseront posséder plus longtemps si le joueur dispose du fétiche correspondant : des charmes d'os à récupérer ou acquérir qui lui octroient encore une autre couche de capacités supplémentaires. Les pouvoirs, ainsi combinables, et souvent inscrits dans l'univers, ouvrent assez de perspectives pour qu'on en ait le tournis. Les joueurs malins ne manqueront certainement pas d'occasion d'utiliser leur finesse pour venir à bout de situations de manières inattendues, mais tout à fait possibles : un plaisir qu'on a tous connus plus ou moins souvent, celui de se sentir plus intelligent qu'un jeu, voire assez malin pour "exploiter" un système. Sauf que ce gameplay émergeant est bien entendu, dans Dishonored, fait pour être exploité. Pourquoi ne pas tenter de posséder le pilote d'un Tall Boy, ces espèces d'exosquelettes bipèdes haut-perchés, par exemple ? C'est une volonté, une philosophie, une "religion", même, disait Raphael Colantonio (co-directeur du jeu avec Harvey Smith), qui dicte une grande partie du game design.
Impatience grandissante
Vous l'aurez compris, je suis pris d'un amour grandissant pour ce titre. Outre que ses concepteurs sont aussi talentueux que sympathiques, il cadre tout à fait avec des goûts personnels qui font la part belle à l'émergence, aux univers un peu barrés, originaux, et qui laissent autant de place à l'imagination qu'à la réflexion. La première fois, j'émettais quelques réserves sur l'aspect technique, mais cette nouvelle démo m'a rassuré. Mieux finie, visuellement plus détaillée, elle se paie même le luxe de faire oublier ce cachet pourtant commun à toutes les productions qui tournent sur Unreal Engine, grâce à un travail tout particulier des textures qui trouve un compromis efficace entre les effets spéciaux et autres shaders, et le travail véritablement artisanal des artistes. L'ensemble ne donne peut-être pas le jeu le plus beau qui soit du point de vue technique, mais il soutient très honorablement la comparaison avec les ténors du genre, tout en imposant sa griffe bien à lui grâce à sa direction artistique soignée, et au travail minutieux de ses lumières. Le développement de l'architecture, inspirée de Londres et de styles anglo-saxons et germaniques mélangés au côté paranoïaque de cette fiction dystopique dans laquelle les rues sont surveillées, les geignards hagards (les infestés porteurs de Peste aux yeux qui saignent) sont chassés, le contraste entre les quartiers riches et la partie inondée des quartiers pauvres laissés à l'abandon, les détails pensés et les mystères suggérés, tout ceci participe à l'édification d'un univers à la fois riche, immersif et original. Mais, surtout, cohérent : la place de l'huile de baleine, principale ressource énergétique du monde qui reste rare et inexpliquée, de la peste, de la politique ou de la religion, le physique mi-caricatural mi-réaliste des personnages, façonnent tous le visuel global, bien sûr, mais aussi le gameplay, les détails, l'histoire... bref, tout.
Dishonored est attendu sur PC, PS3 et Xbox 360 pour la fin de l'année. Rares sont les titres héritiers de cette philosophie, car ce sont des jeux très difficiles à développer, à structurer, et à réussir. Mais au même titre qu'un BioShock Infinite, les amateurs du genre, comme moi, ont probablement trouvé là un jeu à surveiller de près. J'ai hâte de pouvoir enfin l'essayer, et le découvrir plus en profondeur. En attendant, rendez-vous dès la semaine prochaine sur Gameblog pour une interview vidéo avec les développeurs !