Après plus de deux heures en compagnie de Lara, l'envie de questionner quelqu'un se ressent.
Le regard se porte immédiatement sur Meagan Marie, la community manager de Tomb Raider, avec qui on tenterait bien une interview "french lover". Mais non, il faut rester professionnel. Et c'est naturellement que l'on se tourne vers l'un des concepteurs du titre présent pour l'occasion : le game director, Daniel Bisson, sémillant québécois, transfuge d'Ubisoft Montréal. Un passionné qui nous explique parfaitement les bases et les concepts développés pour ce reboot tant attendu.
Retrouvez aussi nos impressions
sur les deux premières heures du jeu
Sommaire
Les retours sur les derniers titres en date, Tomb
Raider Underworld et The Guardian of Light, étaient plutôt bons et l'accueil
qui leur a été réservé chaleureux. Qu'est-ce qui vous a poussé chez Crystal
Dynamics à opérer un reboot total de Tomb Raider et de Lara Croft ?
Daniel Bisson : Très bonne question. En fait, on voulait vraiment revisiter la licence, le gameplay, l'expérience et les actualiser. Underworld et Guardian of Light sont d'excellents jeux mais nous souhaitions ramener la licence au sommet de son art. Et puis ce n'est pas qu'un reboot, c'est aussi une histoire d'origines. Lara a 21 ans. Une des raisons pour lesquelles nous avons fait ça, c'était parce qu'il y a un historique de la franchise dont on voulait se libérer. Le but était d'avoir un personnage beaucoup plus actuel, plus réel. Celui d'avant était parfait, dans le sens invicible. Nous voulions une Lara plus accessible, avec des défauts et une vraie vulnérabilité. Cela passait nécessairement par un reboot. Les mécaniques de jeu, portées depuis les tous premiers épisodes, avaient besoin d'un dépoussiérage - sur la demande des fans, qui demandaient une meilleure caméra ou un système de combat autre qu'un simple verrouillage de cible.
Vous pensez que, sous son ancienne forme, la série était à bout de souffle ?
Je pense qu'elle avait besoin d'être ravivée. Même s'il s'agit d'un travail pour l'actualiser, c'est comme s'il s'agissait d'une nouvelle IP, en conservant les "piliers". La plate-forme d'abord ; le combat, qui correspond plus aux critères d'actualité ; les puzzles, qui utilisent des éléments d'environnement et de la physique. Et puis il ne faut pas oublier le personnage. On voulait explorer son côté vulnérable, le représenter, en faire un voyage en lien avec la survie, au niveau émotionnel, intérieur, une redéfinition de l'identité de Lara.
En quoi l'ADN de la série a été respecté et en quoi a-t-il réellement évolué ?
On a ressorti les éléments fondamentaux à l'identité de Tomb Raider. D'abord, qui est Lara ? Les traits positifs : la curiosité, le courage, la force de caractère, la flexibilité d'adaptation, l'acrobatie qui sont propres au personnage. Puis les piliers de gameplay dont je parlais précédemment. Ce qui a évolué ce sont par exemple les proportions de Lara. On voulait créer une expérience très émotionnelle, intérieure à Lara. En gardant ses proportions, ce serait resté superficiel, il y aurait eu un conflit de contexte par rapport au joueur. Un des concepts que l'on utilise beaucoup au sein du studio est celui de synchronisation, entre le joueur et l'héroïne. Cela s'opérer de manière à ce que le joueur ressente ce que Lara ressent. Cela ne peut fonctionner que si Lara est accessible, autant sur un plan physique que psychologique. Le personnage a beaucoup évolué. Le joueur va grandir avec elle, le joueur va apprendre à jouer de la même façon que Lara va apprendre à s'adapter dans ce nouveau monde. Autrefois, Lara était la même du début à la fin, elle terminait exactement comme elle avait commencé. Ici, non. Au niveau du combat, ce n'est plus contraignant, statique. C'est beaucoup plus ouvert. Nous avons aussi voulu explorer la liberté, au niveau du conflit notamment. Il y a plus d'approches : de façon sournoise ou direct, le ciblage est libéré, on peut viser des éléments d'environnement pour amener plus d'interactions. Idem pour les puzzles, nous avons apporté de la physique. Ca ne se résume plus à un levier qui ouvre une plateforme quelque part, il y a une logique. On utilise des éléments - feu, air, terre. Les éléments de puzzles font partie de la fiction. La plateforme est beaucoup plus dynamique, plus rapide, plus efficace et précis. Il y a un sentiment de libération par rapport à ce qu'était Tomb Raider auparavant. Il y a aussi des éléments RPG pour faire écho à cette évolution dans l'arc de la personnalité de Lara. Le joueur va évoluer dans son expérience ludique mais aussi donner à Lara des compétences pour mieux s'adapter.
Le plus excitant pour le studio était-il de reprendre ce qui existait déjà ou bien comme c'est le cas avec ce reboot, tout réécrire de A à Z ?
Le plus excitant et le plus difficile, c'était de marier les deux optiques, de garder l'essence et d'offrir un nouveau souffle. Je ne viens pas de Crystal Dynamics. Je viens d'Ubisoft Montréal où j'ai travaillé sur Rainbow Six. D'autres sont dans le studio depuis 15 ans, cela fait longtemps qu'ils font du Tomb Raider, qu'ils connaissaient comme le fond de leur poche. Le chef du studio a voulu une équipe mixte, en faisant appel à des gens comme moi ou qui ont bossé sur Prince of Persia, Red Dead Redemption, Gears of War... Nous sommes tous fiers, moi le premier. En 1996, je trippais sur Tomb Raider sur ma PlayStation et quand on m'a demandé il y a deux ans de rejoindre le projet j'étais un peu comme dans un rêve ! Bref, le plus excitant, c'était vraiment de marier l'ancien et le nouveau.