ÉDITO. Après l'iPhone et l'iPad, l'AppleWatch est un nouveau coup de poignard dans le dos de Nintendo. Le parcours techno-santé dans lequel Nintendo s'est engagé pour revigorer son bilan économique et créatif va sans doute être beaucoup plus chaotique que prévu.
Parcours de santé
Les opinions et vues exposées dans les éditos ne reflètent pas forcément
celles de l'ensemble de la rédaction de Gameblog.
Souvenez-vous, en janvier 2014, le PDG de Nintendo, Satoru Iwata, surprenait la planète gaming en annonçant que son entreprise allait se lancer franchement dans le business des objets liés à la santé. Baptisée QOL (Quality Of Life), cette nouvelle activité présentée presque comme un reboot de la société centenaire, est ainsi appelée à se développer en parallèle au jeu vidéo qui reste, Iwata le réaffirme, le coeur de l'entreprise depuis sa première console NES en 1983.
Neuf mois plus tard, alors que le projet QOL dont les premiers exemples devraient apparaître en 2015 n'a pas donné signe de vie, Apple révèle une smartwatch pour début 2015 qui va - si l'on en croit l'historique de la marque à la pomme et ses intentions - imposer son pouls au balbutiant marché des smartwatchs et s'installer en leader des objets connectés liés à la santé. En une phrase, malgré l'annonce de son plan de bataille de santé sur 10 ans, Nintendo s'est une nouvelle fois fait grillé au poteau par Apple, cet insaisissable concurrent non déclaré depuis la sortie de l'iPhone en 2007.
Nintendo en phase kiss QOL
Qu'un Nintendo en crise économique dans le secteur jeu vidéo tente de s'inventer de nouvelles formes de croissance dans le domaine de la santé, comme disent les économistes, n'a rien de si surprenant surtout que l'entreprise a eu avant tout le monde de violents succès sur ce terrain avec les Brain Training de la DS (19 millions vendus) ou le Wii Fit et sa Balance Board (23 millions vendus environ). Lancée déjà plus discrètement fin 2013, la version Wii U de Wii Fit se couple même avec un petit gadget portatif, le Fit Meter, à prendre avec soi dehors pour enregistrer des données (nombre de pas effectués, calories brûlées etc) puis à connecter au Gamepad Wii U à son retour.
La 3DS enregistre déjà depuis un moment des données de mouvements du porteur, calcule les pas... Mais en dehors de produits encore directement liés au concept de jeux vidéo, et après l'abandon brusque du projet Wii Vitality Sensor, Nintendo n'a encore présenté aucun produit software ou hardware de sa ligne QOL.
Tous les observateurs s'entendent pour voir arriver le boom du marché des objets connectés portables et souvent capteurs de données physio-biologiques personnelles. Mais malgré les multiplication de smartwatchs ou de variations de Fuelband Nike à mettre au poignet, le dit marché attend encore le produit miracle susceptible d'intéresser toutes les couches de population. De toutes façons, Nintendo a précisé que sa ligne QOL se déclinera en objets mobiles évidemment connectés, transportables mais pas... portables, c'est à dire pas assimilés à des bijoux ou des accessoires vestimentaires. La montre Apple au contraire embrasse ouvertement le concept fashionista. À l'ère du bling-bling, du m'as-tu-vu littéral, du selfie donc, du jeu vidéo au parcours santé modèle, Nintendo va-t-il encore longtemps se résumer à jouer les utilitaires ?
Humain "augmenté" avec l'Apple Watch
Quoique l'on pense en bien ou mal de l'Apple Watch révélée le 9 septembre, celle-ci va immanquablement donner le la des relations physiques humain-machine au quotidien au milieu des années 10 (du XXIe siècle). Y compris si l'appareil échoue à entretenir le lien physique et affectif personnel attendu, pour des raisons mécaniques (le poids et l'autonomie restent un mystère) ou propres à chacun (habitudes de vie, ressenti pour ou contre la technologie...). Car cette fois, la montre "intelligente" Apple doit être en contact permanent avec l'épiderme et ce, toute la journée.
Pour être adopté de façon si intime, l'appareil au fond ne pouvait que se présenter sous une forme rassurante et utile, c'est à dire en assistant santé plutôt qu'en danger potentiel. Le corps high-tech "étranger" ne l'est plus du moment qu'il a vocation à devenir symbiotique. Après le pouvoir pas très inédit de donner l'heure, la première raison d'adoption de l'Apple Watch consisterait donc à suivre le rythme de vie de son corps biologique : battements du coeur, mouvements physiques, élimination de calories... Comme de nombreux produits plus ou moins bancals déjà sur le marché. Si aujourd'hui la responsabilisation de chaque être humain autour de l'hygiène de son corps va créer plus d'inquiétudes que de réconforts, il est probable qu'à terme, comme l'éducation et l'éveil de ses sens, cet ensemble de fonctions d'auto captation biologique agrandisse la conscience de soi.
"Watch out !" Nintendo, Apple est en meilleure santé
La différence Apple va consister bien sûr dans l'UI inédite de sa smartwatch, baptisée Watch OS, et dans le système de captation biométrique sur le dos de la montre en contact avec le poignet. Baptisé Taptic Engine, celui-ci déclenche un capteur haptique (1) supposé entretenir des variations nuancées de contacts vibrants avec le poignet. Les porteurs d'Apple Watch pourront par exemple se poker discrètement ou s'envoyer réciproquement leurs pulsations cardiaques. Cela pourrait faire sourire si ne venait pas très vite à l'idée des utilisations plus franchement ludiques.
Le malicieux P.T. de Konami continue par exemple de faire sa promo en montrant d'abord les réactions affolées des joueurs (joueuses surtout) emberlificotés dans le couloir sans fin qui conduit à Silent Hills. Que se passerait-il si chaque spectateur à distance recevait sur son poignet la pulsation accélérée du joueur cobaye effrayé ? N'y croirions nous pas encore d'avantage ?
Extrapolons. Demain au cinéma un film pourrait demander d'un bref signal complice aux spectateurs des rangs impairs de toucher l'épaule des spectateurs devant eux au moment où un monstre surgit dans le noir. Gros sursaut garanti ! Ou éclats de rire. Du plaisir interactif nouveau en tous cas. Si une technologie embarquée sans gros frais et portée par une majorité le permet, pourquoi pas ? L'Apple Watch ne se présente pas vraiment comme une machine à jouer même si des jeux sont déjà en développement, mais avec un AppStore dédié et les appels du pied d'Apple à la créativité des développeurs qui ont environ 6 mois pour s'y mettre avant la sortie, il n'y aucune raison de douter que le jeu vidéo ne vienne pas aussi s'immiscer de cette façon dans nos vies. Et ce qu'un produit Apple invente, suggère et commercialise, en général il phagocyte en priorité, et sans même le chercher, le marché Nintendo.
Nintendo et Apple pourraient boire à leur santé réciproque
C'est entendu, 2015 n'est pas encore là, et Nintendo a encore le temps devant lui pour annoncer et lancer des initiatives QOL d'ici la sortie de l'AppleWatch. Mais quels que soient ses projets hardware ou software, ils sortiront désormais dans l'ombre de la smartwatch Apple dont chaque produit inédit, de l'iPod à l'iPad, devient maître étalon. Depuis longtemps déjà les deux entreprises partagent un fonctionnement et des ambitions communes. Fondamentalement, elles livrent chacune de leur côté le même combat pour la domestication douce de la technologie.
Menées d'abord par des créatifs, les deux entreprises font émerger leurs projets de façon organique à partir des labos de R&D, donc de manière créative plutôt que marketing. Apple et Nintendo conçoivent en symbiose les interfaces, les logiciels et le hardware qui deviennent des ensembles unifiés. Le japonais et l'américain visent la même sophistication interactive pourtant destinée au grand public.
Apple et Nintendo attachent une attention singulière et souvent similaire au design, aux couleurs (en 1998, les arcs-en-ciel des Game Boy Colors faisaient écho à ceux des premiers iMac fluorescents, à moins que ce ne fut l'inverse). Même si Nintendo communique beaucoup plus en amont qu'auparavant, les deux entreprises partagent enfin un goût du secret industriel et une vocation à l'innovation "disruptive" susceptible de créer ou provoquer des changements de paradigmes. Le célèbre slogan "Think different" d'Apple pourrait s'appliquer sans jalousie à Nintendo... (Rappelez-vous de la fameuse "Nintendo Difference", NDLR).
Le bilan santé couci-couça de Nintendo
Depuis 2007 et la sortie de l'iPhone à tout faire, y compris du jeu vidéo mobile de qualité, Apple innove systématiquement le premier sur les interfaces et le hardware. Ultime indice d'un Nintendo à la traine techniquement malgré son vivier inépuisable d'idées, le lourdaud Gamepad Wii U fait pâle figure d'abord et surtout à cause des iPad multi-touch bien plus vifs et multi-tâche (et peut-être même des tablettes Android les mieux loties). Nul doute que, tout en surveillant Apple attentivement (la smartwatch attendue depuis un moment n'est pas tout à fait une surprise) Nintendo a ses propres idées et lancera des... gadgets de santé connectés inédits ou intrigants par rapport à la concurrence. Mais si le constructeur japonais veut étendre son influence au-delà des frontières du jeu vidéo, notamment au-delà du Japon, elle devra inexorablement lutter frontalement contre le, ou les, produit(s) Apple et en particulier l'Apple Watch avec des fonctions de ludo-santé forcément et scrupuleusement brevetées.
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Si à moyen terme Nintendo devait être sauvé de lui-même et de son enfermement sur des méthodes trop autarciques, là où tous les observateurs auto attitrés voient le salut absurde de Mario, Zelda et consorts dans la publication de leurs jeux sur les mobiles de toutes les autres marques, osons plutôt avancer un scénario pas si catastrophe où les frères ennemis de toujours Nintendo et Apple fusionneraient. En dehors du fonctionnement corporate aussi mystérieux que japonais et américain pour l'un et l'autre, les deux concurrents passifs partagent un ADN créatif commun. Nintendo et Apple réunis auraient en tous cas plus de sens qu'une acquisition des personnages par le boulimique et toujours menaçant empire de blanchiment culturel de la Walt Disney Company (Pixar, Marvel, Star Wars...) (2).
Toutefois, puisqu'il est plus que jamais question de santé, publique, commerciale, économique et personnelle y compris dans des secteurs de loisirs qui ne devraient que donner à s'occuper de distractions, la vraie question en ce moment n'est pas seulement la santé de l'entreprise Nintendo mais l'état de santé de son PDG Saturo Iwata dont l'industrie est sans nouvelle directe depuis sa défalcation de l'E3 en juin dernier.
En 2007, pour vendre son concept de Wii Fit, Shigeru Miyamoto vantait les mérites de l'exercice physique qu'il appliquait lui-même quotidiennement. Aujourd'hui, pour les actionnaires, l'intérêt de Nintendo dans le domaine de la santé s'appuie sur l'exploitation d'un secteur technologique et économique d'avenir, mais pour les salariés et cadres Nintendo vieillissants, l'intérêt pour les problèmes de santé est peut-être plus intime. Et malheureusement, en regardant impuissant disparaître Steve Jobs d'une longue maladie, l'entreprise Apple encore en convalescence a pris de l'avance même à ce titre là. Et si ni l'Apple Watch ni les initiatives QOL de Nintendo ne prétendront guérir quelqu'un ou sauver l'humanité, le simple fait que de tels objets puissent servir de prévention devra suffire à panser les plaies du passé et à assurer un avenir, si possible en meilleure santé.
(1) Terminologie de la science du touché https://fr.wikipedia.org/wiki/Haptique utilisée par Mi crosoft pour décrire le mode de vibration évolutif des gâchettes de la manette Xbox One)
(2) Il s'agit ici de pures hypothèses de réflexion, aucune information sérieuse ne circule à ce jour autour d'éventuels rapprochements entre Nintendo et Apple ou Disney.